SOMMAIRE
Introduction 4
PREMIERE PARTIE: GENESE ET FORMATION DE L'ETAT 10
Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des
peuples Mossi: la réalité du
mythe 15
Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat 34
DEUXIEME PARTIE : DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR 53
Chapitre A: La question de la parenté dans le
système politique Mossi 54
Chapitre B : Enjeux philosophiques et politiques du
rapport parenté/pouvoir 66
TROISIEME PARTIE: DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI »DE
LA
GOUVERNANCE 88
Chapitre A: De l'effectivité de l'Etat et du
système de dévolution du pouvoir 89
Chapitre B: Des principes de désignation des
Naba 102
CONCLUSION 110
BIBLIOGRAPHIE 114
INTRODUCTION
4
5
Faut-il revisiter philosophiquement le patrimoine
sociopolitique et économique des civilisations africaines ? A quelles
conditions et selon quelles modalités spécifiques cette
étude va-t-elle s'opérer ? En quoi cette analyse constitue un
intérêt et que représente-t-elle pour les Etats africains
modernes ? Quels apports la compréhension des structures politiques qui
ont régi les sociétés traditionnelles africaines et
partant Mossi pourrait-elle avoir dans l'échiquier politique africain
moderne ? Quelles sont les caractéristiques particulières de ses
structures et quelles fonctions jouent-elles dans la gestion du pouvoir ?
Ces interrogations constituent l'espace théorique dans
laquelle nous essaierons d'inscrire ce travail. Il s'agira pour nous de
réfléchir sur les mécanismes traditionnels de gouvernance
de la société Mossi notamment celle de Ouagadougou dans leur
manière d'acquérir, de gérer et de transmettre le pouvoir
d'une part, et de l'autre, dans leur capacité à harmoniser la vie
politique et économique et de mettre en vigueur des lois, fussent-elles
coutumières, qui sauvegardent l'unité et la stabilité
sociales. En d'autres termes, le politique faisant toujours l'objet d'une
invention1 qui suscite bien des astuces stratégiques, des
procédures techniques et des approches méthodologiques, il s'agit
pour nous, ici, de décrire mais surtout d'analyser afin
d'interpréter ces technologies de la politique africaine traditionnelle,
d'en montrer la nature et les formes spécifiques, le sens et les
finalités qu'elle s'assigne. En général, il consistera
donc à déterminer et à réfléchir sur les
assemblages et les configurations possibles qui ont coexisté dans
l'histoire politique des peuples Mossi ; ce qui permettra, nous semble t-il, de
saisir le tréfonds des grands défis que doit relever l'Afrique et
parmi lesquels figure le problème de la résolution de la crise de
l'Etat et du développement.
La faiblesse de nos Etats, du fait de leur instabilité,
se ressent de plus en plus sur le continent. Elle met en évidence les
problèmes relatifs à l'intégration nationale des peuples
et de leurs traditions préexistantes dans la gestion du pouvoir. La
difficulté pour les Etats africains à rendre citoyen les peuples
et leurs différentes cultures semble se justifier par le fait qu'ils ont
tendance à perdre leur force mythique, leur capacité à
faire peur, à imposer leur volonté, à créer
l'altérité et à l'uniformiser afin d'exercer leur
ascendance au nom de la centralité.
1 Ce que nous voulons exprimer ici c'est que la
pratique du pouvoir doit à chaque fois être associée
à l'esprit de créativité, à la création de
nouvelles règles car comme le remarque Savonnet-Guyot : « Il y a si
longtemps que, chez nous, le pouvoir, s'il s'exerce encore, ne s'invente plus
». Cf. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA. Essai sur le politique
africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.7
6
Autrement dit le principal problème de nos Etats
réside dans leur difficulté à gouverner dans la
différence. Car comme nous le montre Savonnet-Guyot : «
après avoir créé de la différence, tout l'art du
politique est de tenter d'utiliser cette différence, puis la
réduire jusqu'à soumettre l'autre et en faire son semblable.
Soumettre l'autre, c'est le subjuguer, c'est supprimer
l'altérité, mais à son profit à
soi».2 Ce qui revient pour l'Etat et son appareil à
effacer tous les replis identitaires, les différences pour le compte de
l'harmonie et de la quiétude sociales. Dans nos sociétés
modernes, l'Etat perd de plus en plus sa dimension transcendantale et
redoutable car il ne se dérobe plus du regard du commun populaire, il
n'est plus caché et semble ne plus jouir de sa suprématie
originelle. Il semble ne plus refléter l'image de Dieu et incarner cette
«force divine ». Cette démythification de l'Etat et de sa
puissance fait que les chefs d'Etat et les institutions nationales se voient
destituer de tort à travers, manipuler sans raison objective,
instrumentaliser pour des intérêts privés au
détriment des causes générales. A l'image des rois qui
inspiraient la crainte, nos chefs d'Etat doivent incarner la force afin de
solidifier les bases et les fondements étatiques, sociaux et culturels
des peuples.
Cette crise des Etats peut se comprendre aussi par le fait que
l'édification de nos Etats postcoloniaux et l'établissement des
institutions juridiques et politiques ne sont pas accompagnées de
mécanismes valorisant une certaine conscience nationale de la part des
citoyens au sens propre du terme capable de servir de répondant. Cette
crise constitue un soubassement par rapport à celle du
développement. Sans une réponse citoyenne aux sollicitations de
l'Etat, il semble avérer qu'on ne peut concevoir de développement
durable car les deux sont liés. Une maîtrise parfaite des diverses
espaces géographiques et politiques permettra d'user et de ruser des
potentialités humaines et des ressources naturelles pour
développer aussi bien l'espace économique que politique.
Notre conviction quant à l'étude du peuple mossi
et plus spécialement de son système politique et administratif
n'est pas une fin en soi. Elle ne constitue pas à proprement parler une
approche exclusivement exceptionnelle mettant en branle des jugements
subjectifs de valeur c'est-à-dire de le présenter comme la
meilleure forme de gouvernement ou d'en faire un archétype par rapport
aux autres entités politiques contemporaines. Mais pour plus de
concision et de rigueur et surtout pour éviter de tomber dans les abus
de comparaison, nous jugeons utiles, surtout à ce stade de la recherche,
de procéder par espace politique afin de
2 Savonnet-Guyot, C. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA.
Essai sur le politique africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.10
7
pouvoir ultérieurement travailler sur les études
comparatives. Cela, nous semble t-il, n'entrave en rien la bonne connaissance
que l'on peut avoir de l'Afrique dés lors que nous sommes conscients de
la possibilité, en ce qui concerne l'étude des systèmes
traditionnels africains, de les appréhender tous sans les dissocier ; et
cela, comme le montre d'ailleurs Pathé Diagne, lorsque rapportant le
propos de Cheikh Anta Diop, à cet effet, il rappelle : « Diop
suggère au terme de son inventaire l'unicité des principes qui
donnent leur consistance aux structures politiques de ces Etats ouest-africains
».3
Ainsi, à l'instar de la plupart des
sociétés africaines traditionnelles, le pays Mossi a toujours
été caractérisé par un type d'organisation
rigoureux dans sa gestion du pouvoir à travers une politique
d'élaboration et de structuration de mécanismes susceptibles de
garantir une certaine sécurité sociale et une stabilité
économique et culturelle. Ce dispositif préventif constituait un
support non négligeable quant au respect des lois établies
lesquelles statuaient sur la manière de transmettre le pouvoir, de
l'exercer et de fonder une justice pour tous. L'implication de tous les acteurs
dans la gouvernance de l'empire constitue un aspect fondamental. Toutes les
catégories sociales sont représentées au sein des
instances de décision ; ce qui autorise à concevoir dans une
telle société, dans un tel model d'organisation une tendance
à la démocratisation de la vie politique. Dés lors, ne
serait-il pas logique pour les Etats africains de s'approprier
philosophiquement cet héritage traditionnel et de l'intégrer
à leurs institutions ?
C'est d'ailleurs dans cette optique que des textes relatifs
à la vulgarisation des politiques de démocratisation et de
rationalisation des structures juridiques et économiques ont
été mis en place. Ainsi la Charte africaine des Droits de
l'Homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à
Nairobi, s'engageait déjà dans son préambule à
prendre en considération le legs historique africain en matière
de respect des Droits de l'Homme. Ainsi elle déclarait les propos
suivants:
« Tenant compte des vertus de leurs traditions
historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et
caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de
l'homme et des peuples » ;
3 Diagne, Pathé. Pouvoir Politique
Traditionnel en Afrique Occidentale. Essais sur les Institutions politiques
précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.16
8
« Fermement convaincus de leur devoir d'assurer la
promotion et la protection des droits et libertés de l'homme et des
peuples, compte dument tenu de l'importance primordiale traditionnellement
attachée en Afrique à ces droits et libertés,
».
Toutefois ces théories sont loin d'être
observées dans l'échiquier politique des Etats africains : coups
d'Etat, abus de pouvoir, instrumentalisation des institutions, violation des
droits humains, dévolution monarchique arbitraire, tensions pré
et post électorales, conflits inter religieux et inter ethniques...
à tel point que la question africaine apparait de nos jours comme une
équation quasi irrésoluble. Ayant perdu ses repères du
fait de l'aveuglement de l'impérialisme et du néo-colonialisme,
de la faiblesse de ses institutions et de la perte croissante de ses vertus
ancestrales, l'Afrique « indépendante » nage désormais
dans l'incertitude, la tentation, l'imitation. Devant toutes ces
difficultés, ne devient-il pas donc opportun et urgent de repenser
davantage notre patrimoine historique afin d'en saisir le fonds commun
susceptible de promouvoir un développement effectif ? L'Afrique ne doit-
elle pas, au lieu de se focaliser uniquement sur la question du
développement, penser comme le souligne Ki-Zerbo, à ressusciter
son passé ? Ceci relève d'une exigence de la part des africains
car comme il le montre, « un peuple ne peut vraiment affronter son avenir
sans avoir une vision de son propre passé. On ne peut vivre avec la
mémoire d'autrui »4.
C'est dans cette logique d'étude du passé que
nous situons l'intérêt suscité par ce travail lequel
consiste à réfléchir sur la Nation Mossi. Celle-ci se
caractérise, à l'image de tous les empires africains, par un
model d'organisation sociopolitique à travers laquelle elle a
résisté tout au long de son histoire. Comme l'a bien
remarqué d'ailleurs Skinner: « Leur remarquable
société a conservé sa forme tout au long de la domination
française et ce n'est qu'à l'aube de l'indépendance que
l'organisation politique traditionnelle des mossi s'est effondrée
».5
Dés lors, comme l'existence d'une authentique
civilisation africaine ne fait plus l'ombre d'un doute suite aux travaux de
chercheurs émérites tels que Bekri, Khaldoun, Tempels, Cheikh
Anta Diop, Kwame Nkrumah entre autres, il convient donc d'accentuer davantage
l'examen. En effet, comme l'a remarqué Alassane Ndaw en rapportant un
proverbe africain : « la science est le tronc d'un baobab qu'une seule
personne ne peut embrasser »6.
4 Ki-Zerbo, J. Histoire de l'Afrique Noire,
Paris : Hatier, 1972, p.29
5 Skinner, E.P. LES MOSSI DE LA HAUTE-VOLTA.
NOUVEAUX HORIZONS. Paris, 1972, p.22.
6 Ndaw, A. LA PENSEE AFRICAINE, recherches sur
les fondements de la pensée Négro-africaine. Dakar : NEA,
1983, p.37.
Ce qui aura comme finalité la valorisation de cet
héritage dans le but de l'adapter à nos réalités
pour un accroissement progressif. Ainsi dans l'analyse de ce sujet portant sur
le pouvoir politique tel qu'il peut s'appréhender à travers les
rapports entre parenté et gouvernance dans le système
traditionnel Mossi, nous nous proposons d'examiner d'abord la genèse et
la formation des Etats mooses. Cette étude nécessitera, nous
semble t-il, un recours aux formes symboliques notamment au discours mythique.
Car comme le montre Skinner, « l'origine de la société Mossi
est enfouie dans des mythes qui non seulement sanctionnent le pouvoir des
familles dirigeantes, mais aussi étayent le système politique
grâce à un riche passé de migrations et de conquêtes
».7 Une tentative d'approche interprétative de ce
discours mythique serait en mesure de favoriser une meilleure
compréhension des politiques administratives et sociales
opérées après la période des conquêtes et
constituera une phase déterminante dans ce travail.
Il s'agira ensuite de faire l'examen du rapport entre la
parenté, en tant que système d'organisation sociale et
culturelle, et le pouvoir politique afin d'en saisir les implications et les
enjeux philosophiques dans le système d'organisation de l'empire moose.
Il sera enfin question, dans ce travail, d'analyser la texture du
système Mossi de gouvernance, entendant par là, l'architecture
idéologique et la superstructure matérielle et institutionnelle
mises sur pied pour une bonne gestion du pouvoir et une conduite des affaires
publiques. Pour cela nous estimons procéder par une déclinaison
de son système politique et étatique et des principes de
transmission du pouvoir à l'intérieur de son organisation sociale
et politique. Ceci permettra, nous semble t-il, de jauger l'ensemble des
structures politico-sociales, culturelles et économiques qui fonde la
société voltaïque traditionnelle dans la gestion du pouvoir
et de susciter une certaine prise de conscience par rapport au legs culturel
des ancêtres.
9
7 Skinner. Op.cit. p.35
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