Conflits enAafrique centrale: le cas de la RCA de 1960 à 2013. Dynamique récurrente d'une trappe de conflictualité( Télécharger le fichier original )par Yannick Stéphane NGBWA ESSO Université de Yaoundé II - Master-Recherce en Science Politique, option: Relations Internationales 2014 |
PARAGRAPHE 3 : LES FACTEURS DE L'ECHEC DES MECANISMES DE GESTION DES CONFLITS EN RCAFace aux nombreuses crises qui secouentla RCA depuis 1960, la communauté internationale apporte des solutions. Elles s'avèrent malheureusement inefficaces à cause des problèmes de mise en oeuvre et de fonctionnement des missions(A) et leur caractère extraverti (B) maintenant ainsi le pays dans l'instabilité.Leur bilan très mitigé explique en partie la persistance de l'insécurité et l'enlisement des conflits en RCA. A- LA FRAGILITE DE LA COOPERATION INTERNATIONALE ET REGIONALE Les missions internationales connaissent des problèmes de fonctionnement liés à certains vides juridiques(1), au financement et au fonctionnement desdites missions (2). Ces problèmes expliquent partiellement les difficultés à restaurer une paix durable en RCA et leur échec cuisant. La conséquenceest la résurgence des conflits dans le pays. 1. Les obstacles juridiques et politiques à la gestion efficace des conflits en RCA L'échec des solutions aux conflits centrafricains étaitprévisible dans la mesure où les organisations internationales en charge de leur règlement comportent en leur sein des freins à leur déploiement. En effet, on note dans l'action de ces organismesdes contradictions sur le plan juridique. Deux cas sont fort édifiants à ce sujet : il s'agit del'UA et la CEEAC. Ilest plus qu'impératif de clarifier le champ d'action du CPS. La question de savoir qui détient l'initiative dans la gestion des conflits en Afrique n'a de cesse d'être posée. En analysant l'Acte Constitutif de l'UA, notamment son article 9-2, on constate que tout organe de cette institution n'a de pouvoir que celui et/ou parce que la Conférence lui en délègue. Si l'article 7-1, a, b c et d du Protocole semble reconnaitre la responsabilité et la compétence conjointes du CPS et du Président de la Commission dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits sur le continent, l'article 7-1, e lui, vient rappeler que le CPS conjointement avec le Président de la Commission, «recommande à la Conférence, conformément à l'article 4 (h) de l'Acte constitutif, l'intervention au nom de l'Union dans un Etat membre» dans des situations jugées suffisamment graves (crimes de guerre, génocide, etc.). D'où l'interrogation sur la souveraineté réelle du CPS et le véritable organe sur lequel repose l'initiative de la gestion des conflits en Afrique. En effet, il peut avoir conflit de compétence entre la commission, la Conférence voire le CPS187(*). Cet exemple permet de mieux comprendre l'échec des solutions régionales. Surtout que toutes les structures de cet organisme ne sont pas encore totalement mises en place. La CEEAC fait également face à des manquements, d'ordre institutionnel notamment. Jusqu'en 2007, le MARAC n'était pas totalement opérationnel. Pourtant, c'est cet organe stratégique qui collecte, analyse et transmet les informations sur l'état de sécurité de la sous-région à la Commission de Défense et de Sécurité (CDS).La CDS à son tour propose et donne des conseils au Conseil des Ministres qui les soumet à la Conférence des Chefs d'Etat. Celle-ci prend des décisions et mène des actions de prévention et de gestion des conflits. Si déjà le premier maillon de la chaine n'est pas efficient, quoi de plus normal que les objectifs de paix ne soient pas atteints ? 2. Les problèmes de fonctionnement et de financement L'échec des solutions internationales en RCAs'explique également par l'éternel problème du financementdes organisations régionaleset des OMP. Une entité dépendante financièrement parlant comme c'est le cas de l'UA n'est ni libre, ni efficace sur le terrain. La faute incombe notamment au retard dans les cotisations des Etats membres qui affecte sérieusement son fonctionnement188(*) et à la grande contribution des partenaires occidentaux189(*) qui ont une mainmise sur la sécurité et la défense en Afrique. Or, pour venir à bout des conflits en Afrique et en RCA particulièrement, il faut entre autres priorités, être en mesure de s'autofinancer.Le remplacement régulier d'une OMP par une autre, incapable de faire respecter les accords de paix et à restaurer la paix en RCA, est une autre preuve de l'échec des solutions internationales. Concomitamment, on note à « un manque de volonté politique et à une faible capacité d'analyse »190(*) de la part des différents organismes qu'il s'agisse de l'UA ou de la CEEAC. Dans leurs principes fondateurs, ceux-ci condamnent les coups d'Etat. Pourtant, ces organismes se retrouvent paradoxalement en train de reconnaitre des gouvernements anticonstitutionnels en RCA. Tel fut notamment le cas au lendemain de la prise de pouvoir de François BOZIZE en 2003 et de celle de Michel DJOTODIA en 2013. Egalement, les organismes régionaux brillent par leur lenteur à mettre sur pied des OMP. Les belligérants ont le temps de se livrer à des crimes et exactions de tout genre dans l'irrespect total du droit international humanitaire et le mépris des droits de l'Homme. Lors du coup d'Etat de Michel DJOTODIA et la crise qui s'en est suivie, la communauté internationale a mis des mois à créer la MISCA et à lui faire prendre ses fonctions.Alors que le coup d'Etat a lieu en mars, ce n'est qu'en décembre 2013 que la MISCA devient opérationnelleavec un effectif pléthorique de 4500 soldats191(*). B. L'INEFFICACITE DES SOLUTIONS INTERNATIONALESLes solutions de la communauté internationale en RCA brillent par leur inefficacité. D'abord, parce qu'elles sont imposées de l'extérieur (1) mais également à cause des excès dont se rendent coupables les missions censées faire appliquer ces résolutions (2). 1. L'extraversion des solutions Les méthodes pacifiquesmises en oeuvre permettent d'obtenir des belligérantsdes cessez-le-feu etla signature des accords de paix. Or, ces cessez-le-feu apparaissent plus comme un moment où les belligérants se réorganisent, se réarment, peaufinent leurs stratégies et mettent sur pied de nouvelles tactiques de combat. Tout comme les accords n'ont jamais vraiment été une garantie parce que imposés d'une part et non respectés la plupart du temps par les belligérants d'autre part. L'échec des accords de paix entrainent des interventions militaires. Ces dernières échouent à leur tour à cause de leur caractère à la fois intéressée, non neutre et impartial. On n'observe pas « un traitement égal de toutes les parties tout le temps qui peut mener à une politique d'apaisement »192(*).Ceci entraine une certaine passivité, renforce l'hostilité des autres en donnant le sentiment à certains camps d'être lésés au profit d'autres. Naturellement, le sentiment d'animosité ne peut que subsister et se démultiplier à la limite. A chaque fois qu'il y'a une crise et un semblant d'arrangement en RCA, la situation se dégradeau bout de quelques temps. Elle va même en s'aggravant parce qu'on applique la stratégie qui consiste à « bombarder pour mieux négocier et convaincre »193(*). On assiste par conséquent à la résurgence des conflits. L'insécurité demeuremalgré la présence des OMP. La FOMUC par exemple n'a pas empêché le coup d'Etat de François BOZIZE en 2003. Ces missions visent principalement la protection des régimes, la protection des réfugiés, le désarmement des milices et l'organisation des élections. Cependant, elles ne s'attaquent pas vraiment aux problèmes de fond comme la pauvreté, le renforcement des institutions, la présence effective de l'Etat sur toute l'étendue du territoire centrafricain. Au contraire, elles mènent des actions qui enveniment davantage une situation déjà explosive. 2. Les exactions des soldats des forces multinationales Depuis leur première implantation en 1997,certains soldats des forces internationales sont constamment accusés par la société civile centrafricaine et les ONG de s'adonner à des pillages de diamant dans les zones où elles sont stationnées, notamment au Nord dans les villes comme Bria. Profitant de la pauvreté ambiante et de l'inactivité minière dans ces régions, certains des casques bleus achètent les diamants à vil prix et les revendent dans les marchés noirs mis en place dans les pays de la sous-région. Sont généralement pointés du doigt les soldats français, burundais et congolais. Les soldats des forces multinationales s'adonnent également à des exactions. On parle d'exécutions sommaires, de passages à tabac, de tortures. Toutefois, les crimes les plus récurrents sont les abus sexuels. Les soldats sont généralement accusés de viols sur des filles mineures et d'actes à connotation homosexuelle sur des petits garçons. Dans un pays où les groupes armés s'en prennent régulièrement aux civils, les casques bleus devraient être des protecteurs et non pas des prédateurs. Face à ces dénonciations, les pays respectifs desdits soldats les rapatrient afin de les protéger. Ils ne sont pas souvent poursuivis, ni inquiétés. Ceci envenime davantage les crises dans le pays en créant plus d'animosité, de mécontentement, de frustration et de vengeance. Les soldats censés participer à l'application des résolutions sont donc par moment les premiers à les enfreindre. L'échec de leurs missions précipite leur départ du pays. Leur départ crée généralement d'autres conflits. * 187 Cf. l'affaire togolaise et la crise de compétence entre le Président de la Commission et OBASANJO alors Président de la Conférence, Alain FOGUE TEDOM, «L'Union Africaine au défi titanesque de la prévention, du règlement et de la gestion des conflits», Juridis Périodique numéro 75, Revue de droit et de science politique, 2008, p. 85. * 188Le fait que certains pays appartiennent à la fois à la CEMAC, à la CEEAC et à l'UA pèse sur leurs portefeuilles respectifs. * 189 Les Etats-Unis et l'Union Européenne sont les principaux bailleurs de fonds de l'Union Africaine. Pour le déploiement de sa première mission de paix au Burundi en 2003, l'UA a dépensé 6,239 millions de dollars dont 1,950 provenaient de ses Etats membres et le reste de ses partenaires étrangers. * 190 Alain FOGUE TEDOM, « RCA. Crises et guerres civiles. Essai encore non concluant pour l'Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (AAPS) de l'Union Africaine (UA) », www.diploweb.com, 22 février 2015. * 191 Cf. « Centrafrique : La MISCA prend officiellement le relais de la FOMAC », Jeune Afrique, 19 décembre 2013. * 192Rapport BRAHIMI, ONU, New-York, 21 aoùt 2000, p. 25. * 193 Pascal VENESSON, « Bombarder pour convaincre ! Puissance aérienne, rationalité limitée et diplomatie coercitive au Kossovo », Cultures de conflits, numéro 37, 2000. |
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