A- L'intérêt de l'étude
La présente étude à laquelle nous nous
livrons n'est pas un fait nouveau. Beaucoup en effet ont exploré le
vaste champ des processus électoraux en Afrique noire francophone et
notamment les modalités de création du support normatif et
institutionnel des élections. L'on pourrait à cet égard
nous reprocher de peindre de nouveau la réalité d'un tableau
jadis servis. Au contraire, « faire de la recherche, c'est chercher
à nouveau, examiner quelque chose une seconde fois, plus attentivement
pour découvrir plus. Nous revenons sur le phénomène parce
qu'il peut y avoir quelque faille dans ce que nous savons déjà
»22. De ce postulat, l'on pourra noter que l'analyse des
pratiques électorales n'aura cessée de nous livrer ses secrets
tant que nous n'aurons arrêté de nous pencher sur les processus
normatifs qui les accompagnent. La réévaluation du «
consensus en droit électoral camerounais » nous est
avérée nécessaire eu égard à la
recrudescence de la contestation des règles et des résultats
des élections23.
En s'accordant avec BAUDOUIN DUPRET, l'on dira qu'à ce
jour « le droit est devenu, non plus seulement une source de
véridiction ou un instrument normatif, mais un objet d'enquête
sociologique (...) »24. Ainsi, l'analyse du consensus
appliquée à la matière électorale nous permettra au
plan théorique de mettre en lumière la dynamique institutionnelle
qui a permis d'inscrire le consensus sur le terrain du droit électoral.
L'élaboration préalable de cette grille de lecture servira dans
une approche pratique, de mesurer l'adhésion du consensus dans le
système politique camerounais, et plus spécifiquement encore dans
le processus électoral. Mais il reste toutefois impérieux de
clarifier les termes de notre sujet au sens où nous entendons
l'aborder.
22 CLAIRE (Selltiz), LAWRENCE S. (Wrightsman),
STUART W. (Cook), Les méthodes de recherche en sciences
sociales, éditions HRW, 1977, p.2.
23 Ce constats s'établit aisément en
Afrique noire francophone si on considère les crises Ivoirienne
(2000-2010 et 2011), burundaise (2015), gabonaise (2016), camerounaise. Pour ce
dernier cas, même si les crises ne se sont pas
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Le consensus en droit électoral camerounais
B- Précisions terminologiques
L'analyse préalable de notre sujet nous a permis de
mettre en relief les termes qui se rapportent directement à
l'intitulé, et ceux dont l'utilisation s'est avérée utile
à notre recherche. Nous avons pu les regrouper de la manière
suivante:
- Consensus :
Notion centrale de notre recherche, le consensus mérite
qu'on observe une attention particulière. Ce mot aussi complexe que
fascinant vient du latin « consentire » qui veut dire « accord
», au sens de « sentiment commun ». Lexicalisé au
XIXème siècle dans la langue française sous le
sens de « large accord », le terme consensus n'a cessé
d'évoluer. Ainsi, dans ses récentes évolutions, il se
distingue désormais de l'unanimité et de la
quasi-unanimité. On parle dans ces deux derniers cas de « consensus
absolu » ou de « consensus parfait » pour faire allusion
à un accord qui ne recueil aucune opposition, bref un accord
complet25.
En d'autres termes, le consensus peut être entendu au
sens du Dictionnaire Larousse comme « un accord de plusieurs
personnes, de plusieurs textes » ; mieux « du plus grand
nombre, d'une majorité de l'opinion publique
»26.
Le Lexique des termes juridiques quant à lui le
définit comme un « un accord général sur les
valeurs sociales essentielles (...) ce qui a pour effet de modérer les
antagonismes politiques ».Ou davantage « une méthode
d'adoption des décisions consistant dans la recherche d'un accord mutuel
sans que l'on procède à un vote formel
»27.
Il se dégage à la lumière de ces
définitions que le consensus est envisagé à deux points de
vue : « au sein d'une collectivité, il entérine la
reconnaissance d'une opinion ou d'un sentiment qui est largement partagé
soit parce qu'une forte majorité penche en faveur de cette position
donnée soit qu'elle repose sur le constat de l'absence d'une opposition
réelle ou sérieuse », d'une part. « Dans la pratique
collective, le consensus est le résultat visé et obtenu par
ponctuées par des affrontements violents, cela
n'enlève en rien au fait que toutes les élections de 1990
à 2013 n'ont été émaillées que de
contestations.
24 DUPRET (Baudouin), Droit et sciences
sociales, janvier 2008, p.2.
25 Eléments définitionnels de consensus,
tirés dans la 9e édition du dictionnaire de
l'Académie française.
26 Dictionnaire Larousse, Maxi Poche, Ed.
Larousse, Paris, 2009, p.141.
27 Raymond GUILLIEN, Jean VINCENT, Lexique des
termes juridiques, sous la direction de GUINCHARD Serges et MONTAGNIER
Gabriel, 12e Edition, Dalloz, Paris, 1999, p. 138.
Le consensus en droit électoral camerounais
l'emploi d'une méthode de prise de décision, ou
après avoir fait exprimer et reconnu la validité des opinions
exprimées par chacune des parties en présence, le groupe ou ses
animateurs s'efforcent de dégager et de recueillir un accord (...)
»28, d'autre part. Toutefois, JEAN RIVERO alerte sur le fait
que si l'idée de consensus doit nécessairement s'entendre d'un
accord fondé sur des valeurs, elle ne renseigne pas cependant sur la
nature de cet accord ni sur celles des valeurs
évoquées29. Partant de là, il recommande de
prendre en compte la double dimension sociale et politique du consensus. La
première, souligne-t-il, concerne les bases de la vie collective, les
structures des principales cellules qui la composent (famille, entreprise,
règles éthiques). La seconde est relative à la forme du
pouvoir et à son mode d'exercice, au régime, à la
République, à la démocratie, etc.30 En
considérant donc l'application variable du consensus, l'on s'accordera
avec JACQUES RIGAUD31 sur le faite qu'une analyse de cette notion
doit intégrer les réalités politico-sociales de chaque
nation. L'étude du consensus qui est au coeur de nos propos sera
entendue certes sous angle politique, mais également
complété par l'approche proposée par GUY
LACHARRIÈRE.
Dans son Annuaire de droit international, ce dernier
défini en effet le consensus comme « une procédure de
prise de décision, exclusive du vote, consistant à constater
l'absence de toute objection présentée comme étant un
obstacle à l'adoption de la décision en cause
»32.
- Droit électoral :
Mot composé du nom « Droit » et de l'adjectif
« électoral ».
- Droit : C'est une notion
polysémique. Le mot Droit s'entend à la fois au sens objectif et
subjectif. Seul sera retenu le sens objectif du mot, mieux adapté
à notre étude. À la lecture du Lexique des termes
juridiques, le mot droit réfère à « un ensemble
des règles régissant la vie en société et
sanctionnées par la puissance publique »33.
28 Notes tiré du site de recherche Google.
29 Il explique que, non seulement l'accord qui se
trouve à la base du consensus peut revêtir des significations
très différentes, mais les valeurs sur lesquelles il porte
accentuent encore cette polyvalence. Cf. RIVERO (Jean), « Consensus et
légitimité », In Pouvoirs, n°5, 1978, p.60.
30 Ibidem.
31 RIGAUD (Jacques), « Réflexions sur
la notion de consensus », In Pouvoirs, n°5,1978, p.8.
32 LACHARRIERE (Guy De), L'Annuaire de droit
international, 1968, Cité par Jacques RIGAUD, op.cit., p.8.
33 Lexique des termes juridiques, sous la
direction de Raymond GUILLEN et Jean VINCENT, 5e Edition, Dalloz,
Paris, 1981, pp.164-165.
Le consensus en droit électoral camerounais
- Électoral : C'est ce qui se rapporte
aux élections, au droit d'élire34.
Le droit électoral peut donc être cerné
comme la branche du droit public régissant le domaine des
élections et des opérations de vote et de façon plus
générale l'inscription sur les listes électorales, aux
campagnes électorales ou à la contestation de l'élection.
Selon JEAN-CLAUDE MASCLET, « le droit électoral est celui qui
régit les élections par lesquelles le citoyen désigne ses
représentants »35.
- Élection :
Du latin « eligere » c'est- à- dire choisir,
l'élection est, au sens du Dictionnaire de la culture
juridique, un « mode de dévolution du pouvoir reposant sur un
choix opéré par l'intermédiaire du suffrage universel
»36. En claire, c'est un « mode de
désignation des titulaires des rôles politiques octroyant aux
membres d'une collectivité concernée le droit de choisir leurs
représentants »37.
- Processus électoral :
D'après MATHIAS HOUNKE et ISMAILA MADIOR FALL le
processus électoral est une notion extensive revoyant à
« une série d'étapes nécessaire dans la
préparation et la réalisation d'une élection. Le processus
électoral généralement inclut la promulgation de la loi
électorale, l'inscription sur les listes électorales, la
désignation des candidats et/ou des partis politiques ou de
l'enregistrement des propositions, la campagne, le vote, le comptage et le
dépouillement des voix, la résolution des différends
électoraux et l'annonce des résultats
»38.
À l'aide des éléments
dégagés plus haut, l'on peut tenter de construire une
définition opérationnelle de notre sujet au sens où nous
l'entendons dans la présente étude. D'un point de vue juridique,
si l'on considère que le consensus s'entend à la fois d'un accord
général sur certaines valeurs sociales essentielles à
l'effet de modérer les antagonismes politiques, et d'une
34 Dictionnaire Larousse, op,cit., p.463.
35 MASCLET (Jean-Claude), Droit
électoral, Paris, PUF, 1989, p.11.
36 Dictionnaire de la culture juridique, sous la
direction de Denis Alland et Stéphane Rials, Quadrige PUF, Paris, 2003,
p.946.
37 Dictionnaire de la science politique et
institutions politiques, Colin, pp.93-94.
38 Cité par Serge Paulin AKONO EVANG, «
L'administration et le processus électoral au Cameroun : le
désir étatique constant de l'administration », R.A.P.D,
Volume III, n°7, août 2013, p.73.
Le consensus en droit électoral camerounais
méthode d'adoption desdits accords sans que l'on
procède à un vote formel 39 ; appliqué
spécifiquement au droit électoral, et en considération de
l'idée d'une majorité gouvernante, on est donc en mesure de dire
que le consensus en droit électoral est un accord relatif aux
règles électorales devant bénéficier d'un
aménagement juridique nécessaire à son ancrage en vue de
« modérer les antagonismes politiques ».
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