Les droits de la défense au cours de l'information judiciaire au Cameroun.( Télécharger le fichier original )par Esther NGO BAHA UNIVERSITE CATHOLIQUE D'AFRIQUE CENTRALE - MASTER EN DROITS DE L'HOMME ET ACTION HUMANITAIRE 2013 |
PARAGRAPHE 2 :L'INFORMATION JUDICIAIRE, UN POUVOIRSOUS L'EMPRISE DU JUGE D'INSTRUCTIONLa phase d'information judiciaire a pour objectif de recueillir les indices permettant d'identifier la ou les personnes susceptibles d'avoir commis l'infraction et de déterminer si elles l'ont commise. Dans la mesure où les indices constituent des charges suffisantes, ces personnes seront renvoyées devant une juridiction de jugement. L'instruction est menée à charge et à décharge par le juge d'instruction dans notre pays. Cette phase judiciaire peut être confrontée à des atteintes dans un plan interne et externe. Ceci nous amène à nous interroger sur l'effectivité de l'indépendance des juges d'instruction (A) et sur la super puissance de ces derniers (B). A-LES ATTEINTES AU PRINCIPE D'INDÉPENDANCE145(*) OU D'IMPARTIALITÉDU JUGE D'INSTRUCTION ET LES CONSÉQUENCES SUR LES DROITS DE LA DÉFENSEL'indépendance de la justice remplit une mission sociale double. D'une part, le public mesure à son aune le degré de professionnalisme et d'efficacité de ceux qui exercent le pouvoir judiciaire. D'autre part, l'indépendance de la justice est un principe régulateur de l'ordre social librement consenti par les citoyens. C'est dans ce sens que PASCAL affirmait : « la vraie justice se moque de la justice ». Cependant, l'indépendance du juge d'instruction peut être confrontée à des atteintes institutionnelles (1) et aux diverses interventions externes entrainant la non-partialité du juge (2). 1-Les menaces institutionnelles portant atteinte à l'indépendance du juge d'instructionLa mise en oeuvre du principe de la séparation des pouvoirs implique la fonction constitutionnelle de la justice qui constitue un principe fondamental du pouvoir souverain du juge et se décline par la liberté d'interpréter le droit, pour le peuple et au nom du peuple. Constitutionnellement protégée, cette fonction est le moyen d'action des institutions judiciaires, dont la mission est de dire le droit au nom du peuple et, par suite, faire en sorte que « le pouvoir arrête le pouvoir », pour la sécurité de tous. L'idée fondamentale étant d'organisée une coopération harmonieuse prévoyant une juste répartition du pouvoir « politique » entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, ériger comme un principe fonctionnel d'organisation de la société. Aussi, une règle de gouvernement posée peut leur permettre, chacun en ce qui le concerne dans son domaine réservé exclusif, d'exprimer la souveraineté nationale. D'après l'AHJUCAF146(*), l'indépendance du Pouvoir judiciaire est institutionnelle ; mais elle peut être reflétée par l'indépendance personnelle des juges par rapport aux éléments extérieurs et par rapport à eux-mêmes. Dans la pratique, on réalise que l'exercice de la fonction de juge d'instruction n'est pas du tout aisé. Il se trouve que la relation entre les différents pouvoirs juridictionnels ou d'autres institutions n'est pas toujours chose simple. Le juge d'instruction est un décideur, il doit avoir le potentiel réel de donner un contenu concret à la sécurité des citoyens, comme ne cessent de le mentionner les associations des droits de l'homme. De plus, cette indépendance du juge d'instruction est garantie par l'État de droit. Ce magistrat doit pouvoir affirmer son autorité, face aux droits et libertés des citoyens dont il est le protecteur naturel, le juge doit prendre librement ses décisions, y compris contre l'État et les pressions d'où qu'elles viennent. Convoquer, l'examen de l'indépendance du juge d'instruction s'est rappelé qu'il est un magistrat du siège et les « magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur conscience »147(*). La remise en cause de l'indépendance du juge d'instruction au Cameroun peut également être opérée de manière duale c'est-à-dire sous l'angle organique et fonctionnel. Ainsi, il faut souligner de manière claire que le juge d'instruction est d'abord et avant tout un fonctionnaire et à cet effet il est enclin à la subordination hiérarchique (au plan administratif). Aussi, se retrouve-t-il sous la responsabilité directe du Président de Tribunal148(*). Il en découle également que le Président de Tribunal a la responsabilité de s'assurer de la bonne marche des cabinets d'instruction149(*) et sanctionne les dysfonctionnements. Plus loin encore, le juge d'instruction ne pourrait agir dans les tribunaux où il y a plusieurs autres juges, si celui-ci n'a pas été désigné par le Président du Tribunal. Nous ajoutons également que les juridictions sont sous-tutelle du Ministère de la Justice. Selon Alexis DIPANDA MOUELLE, président de la Cour Suprême du Cameroun aujourd'hui : « L'indépendance du juge est l'essence même de la justice, sa dépendance en est la négation »150(*) Nous tenons à souligner que l'indépendance du juge d'instruction répond à une exigence de justice, celle de la protection des droits de la défense. Cette exigence est largement consacrée dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (art.10), le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (art.14) et dans la Charte Africaine des droits de l'Homme et des Peuples (art. 7). Alors, cette indépendance du juge d'instruction devrait pouvoir s'étendre à la collaboration directe avec la Chambre de Contrôle de l'Instruction sans pour autant passer par l'intermédiaire du Président de Tribunal. Cette indépendance doit être également à l'égard du Président de Tribunal, du Procureur de la République, des juridictions de jugement et plus encore à l'égard des parties notamment des justiciables et des victimes. Quid d'autres interventions constituant un recul dans l'impartialité du juge ? * 145Monsieur Pierre Arpaillange, alors Procureur Général près la Cour de cassation française, affirmait que : « la justice ne règne pas seulement par ses décisions ; elle domine surtout par la confiance qu'elle inspire ». * 146 L'Association des Hautes Juridictions de cassation des Pays ayant en partage l'Usage du Français est créée en 2001 et regroupe 48 cours suprêmes et cours de cassation. * 147 Art. 37 al.2 de la constitution ; art. 5 décret n°95 portant statut de la Magistrature au Cameroun. * 148 Le Président de Tribunal propose la notation et l'avancement du juge d'instruction au Président de la Cour d'Appel du ressort (art. 34 du décret n°95/048 du 8 mars 1995). * 149 Les articles 14 et 17 de la loi portant organisation judiciaire porte la mention que le cabinet d'instruction constitue un organe à part entière du siège des tribunaux d'instance. * 150 Alexis DIPANDA MOUELLE, alors Procureur Général près la Cour Suprême, requérant à l'audience de prestation de serment des magistrats Sept. 1988. |
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