TROISIEME PARTIE
LA MORALE DU FUTUR : ENJEUX ET
PERSPECTIVES
46
L'humanité entière traverse de nos jours
unepériodecaractérisée par une ouverture des
marchés, une montée de la démocratie et l'échange
d'informations qui sont des éléments déterminants d'une
croissance mondiale. Plus que jamais l'explosion de ces techniques de
l'information et de la communication bouleverse les modes de fonctionnement
économiques, sociaux et politiques ; une mondialisation évolutive
qui modifie les rapports entre personnes et les choses. Une montée en
puissance d'un certain individualisme conduit chacun à se
réaliserindépendamment de toute classe.
47
A la lumière de ces changements,
chaquesociétédoit réfléchir aux évolutions
de son système éducatif pour préparer les jeunes à
un monde qui sera différent de celui d'aujourd'hui tout en les
sensibilisant aux enjeux fondamentaux de l'humanité et de la
planète.
L'émergence de la pensée critique apparait donc
de nos jours comme un paradigme éducatif à partir duquel on peut
bâtir une citoyenneté responsable, mieux une société
soucieuse de trouver des solutions auxdifférentsdéfis auxquels
elle est confrontée. La moralisation de la vie en société
peut conduire à une vie citoyenne qui prend en compte les enjeux et les
perspectives d'un développement durable où l'individu ne vit pas
pour lui-même, mais prenant en compte les intérêts de son
prochain et ceux des générations futures. C'est pourquoi nous
évoqueront ici des aspects à prendre en compte pour faciliter
cela. Cette démarche à notre sens iciest essentiellement
prospective dans l'espoir de voir un jour des conduites morales bonnes se
généraliser dans notre société.
Toutefois, l'enseignement de la morale en
général connait un certain nombre de difficultés
liées spécifiquement aux contenus disciplinaires et à
certaines pesanteurs sociales qui ne sont pas favorables à
l'assimilation de certaines connaissances rationnelles. Ces difficultés
seront plus grandes lorsqu'il s'agira d'inciter à des comportements
moraux responsables dans la société. La prise en compte des
écueils aussi bien endogènes qu'exogènes apparait à
notre sens opportunafin que la morale rationnelle puisse contribuer à la
résolution des défis du monde contemporains.
48
CHAPITRE I : LES FACTEURS ENDOGENES.
L'enseignement de la morale doit prendre en compte les causes
d'échecs. Il s'agit autrement dit, de facteurs endogènes
liés soit au caractère dynamique et universel de la
citoyenneté qu'elle prétend cultiver, soit à la nature de
l'homme même qui peut constituer un obstacle majeur.
I. 1 L'école face à la morale.
L'espèce humaine se caractérise par sa
perfectibilité à l'infini. Cela la condamne à ne pas
demeurer dans un état stable et immobile. Il faut donc marcher vers la
perfection ou s'exposer à être entrainéen arrière
par le choc continuel et inévitable des passions, des erreurs et des
événements.
Ce constat s'applique parfaitement à l'éducation
morale qui n'est pas un supplément, une amélioration contingente
de l'éducation qu'on pourrait accepter ou refuser, mais une
nécessité absolue, une condition d'ériger un nouveau
paradigme éducatif capable d'assurer une insertion sociale harmonieuse
de l'enfant que l'éducation veut élever à un niveau
supérieur. D'où cette nécessité de prendre en
compte le caractère dynamique de l'éducation morale de
l'école.
Le caractère dynamique de la morale réside
d'abord dans la mutation des valeurs. L'école s'assigne par tradition
une triple mission qui est celle de transmettre des savoirs, apprendre des
méthodes de travail, enseigner des valeurs.Cependant, elle est
aujourd'hui confrontéeà plusieurs défis importants tels
que l'accélération du progrès scientifique et technique
avec toutes les questions éthiques que cela soulève ainsi que
l'accélération du changement qui pose le problème de la
capacité d'adaptation des individus.
Aujourd'hui plus qu'hier, l'un des grands défis
à relever est de savoir-vivre avec la diversité qui nous entoure.
Ce défi prend une forme plus spécifique pour les africains dont
les pays sont à la fois des terres d'accueil et des Etats multiculturels
et multi-ethniques.
49
De même, l'école doit faire face à
l'émergence du « village planétaire » qui peut
conduire à des ethnocentrismes, à des
réactionsxénophobes, intégristes, racistes porteuses de
conflits, voire la dégradation de l'environnement.
Lanécessité de la promotion des valeurs de paix par
l'école s'impose face à un monde en pleine mutation. Cette vision
semble être partagée par l'Unesco,institution mondiale s'occupant
de l'éducation, la science et la culture lorsque celle-ci déclare
que,« dans des pays et à une époque où les
cultures sont contraintes de vivre les unes avec les autres et
s'interpénètrent de plus en plus, l'éducation doit
désormais enseigner en priorité les valeurs et les
compétences indispensables pour apprendre à vivre ensemble
».62Autrement dit, la promotion des valeurs de
tolérance est une porte ouverte à la promotion de la paix dans le
monde.
L'école n'a donc pas le droit de faire enseigner des
opinions comme vérités, mais en revanche elle peut et même
doit admettre que l'enseignement des valeurs morales génère un
ensemble d'attitudes et de représentations qui ne sont plus tout
à fait de l'ordre de l'opinion au sens classique du terme.
Mais, une ambigiiité se retrouve lorsqu'il s'agit de
caractériser la morale laïque du point de vue de sa forme et de son
extension. En effet, elle se présente en pleine conformité avec
l'éthique kantienne, comme une morale pure, c'est-à-dire
indépendante de tout conditionnement empirique, valable universellement
et en tout temps. C'est pourquoi elle ne saurait être définie car,
toute définition recourt plus ou moins à une
énumération des règles qui la caractérisent. Face
à ces différentes mutations, comment l'école doit-elle s'y
prendre pour transmettre des valeurs universelles gages d'une vie communautaire
paisible ?
Nous pensons que deux voies s'ouvrent aux éducateurs,
mieux aux enseignants soucieux de transmettre un système de valeurs : le
geste et la parole, c'est-à-dire l'exemplarité et le discours.
Il ne fait guère de doute que les contenus
disciplinaires définis par les programmes scolaires sont porteurs de
valeurs. A cet effet, la contribution de la
62Federico (MAYOR), Directeur général de
l'Unesco, Préface du livre de Betty. A. Unesco-Paris 1997.
50
philosophie à la culture de la paix peut aussi se faire
par l'explicitation et la pratique de la tolérance.Comme pratique du
sens, la philosophie peut montrer que la tolérance n'est pas une passive
indifférence des uns et des autres ; mais une pratique communautaire de
la reconnaissance de l'autre.
Par la pratique de la tolérance, il s'agira d'inculquer
aux enfants et aux jeunes un esprit d'ouverture et de compréhension
à l'égard des autres peuples, à l'égard de la
diversité de leurscultures et de leurs histoires. Pour consolider
l'unité nationale et apprendre à mieux seconnaitre par exemple,
on doit initier et encourager des rencontres entre jeunes de
différentesrégions, sans distinction d'origine ethnique, de
religion, de sexe. Cela contribuera à la reconnaissance profonde de
l'humanité que tous les hommes ont en commun.
De même les valeurs relatives à la
tolérance, la bonne gouvernance, la liberté et la dignité
de la personne doivent être enseignées dans le cadre de la
philosophie. Celle-ci est à même de forger dans les
générationsprésentes et à venir des sentiments
d'altruisme, d'ouverture et de respect d'autrui, de solidarité et de
partage. Tout en se basant sur la confiance en leur identité, ces
générations pourront alors reconnaitre les multiples aspects de
la personne humaine dans des contextes culturels et sociaux différents.
L'expérience et la pratique de mon prochain m'ouvrent les voies de la
connaissance de moi-même.
Mais que vaut le cours le plus brillant s'il est
infirmé par les actes de l'enseignant ? C'est pourquoi on prétend
souvent que l'éducateur, le maitre ou plus généralement
l'adulte, transmet d'abord des valeurs à travers ses attitudes et
comportements. L'égalité est-elle une valeur ? Il n'est pas
inutile de faire de cette question un cours d'éducation civique ou de
philosophie. Si l'on veut que l'égalité soit effectivement une
valeur pour les jeunes, on ne doittolérer aucune manifestation
d'exclusion, de xénophobie, d'ostracisme quelconque sur les bancs de
classe ou dansla cour de l'école.De même, si La fraternité
une valeur, on doit organiserconcrètement des occasions d'exprimer une
solidarité active avec ceux qui en ont le besoin, à
l'école, dans la cité. Le respect de la personne, la
dignité
51
humaine sont-elles des valeurs ? 0n pourrait multiplier les
exemples ; la transmission des valeurs s'effectue principalement par
imprégnation culturelle, notamment à travers les relations que
les adultes nouent avec les enfants et les jeunes, et dans l'école les
enseignants avec les élèves.
Prenons l'exemple de l'honnêteté, valeur à
la fois privée et publique, morale et politique, dont l'importance saute
aux yeux. A travers une étude menée par
l'inspectiongénérale des établissements et de la vie
scolaire française, « l'on découvre qu'au lycée
une majorité de justificatifs d'absence sont des faux motifs
».63 Les surveillants le savent bien et les lycéens
savent qu'ils le savent. Alors pourquoi ce système malhonnête
perdure-t-il ? Sans doute parce qu'il est efficace. Efficace, car la
pressionmatérielle et morale qu'exerce l'institution pour que les
élèves justifient leurs absences par un document écrit
permet de contenir l'absentéisme dans les limites compatibles avec
l'institution scolaire.
Les valeurs se transmettent donc aussi par le fonctionnement
et l'organisation des institutions scolaires. La transmission des valeurs fait
partie de la mission des enseignants et responsables mais ceux-ci ne peuvent le
faire efficacement que si l'institution qu'ils servent les adopte
elle-même dans son fonctionnement interne.
Enfin, la transmission des valeurs est liée même
à l'exercice de la démocratie car elles sont diverses,
hétérogènes, irréductibles, en tension les unes
avec les autres.Les valeurs morales et politiques introduisent des
possibilités de choix. Elles sont dépositaires de nos
désirs de perfection et, à ce titre chacune d'elle alimente notre
aspiration à l'unité, notre rêve d'unité.
C'est pourquoi l'école publique, l'école de la
démocratie, devrait non seulement se consacrer à la transmission
des connaissances, mais aussi à la formation du jugement, de l'esprit
critique toute chose qui concourt à la préparation sur la
pluralité des choix éthiques.
Ainsi, de la même manière que la
spécificité de l'espèce humaine peut constituer un
écueil pour la transmission des valeurs morales, il est aussi
important
63Toulemonde (B), L'absentéisme des
lycéens, Hachette-CNDP, 1998.
52
que soit pris en compte le caractère dynamique de
l'enseignement de la morale par l'institution scolaire pour une transmission
des valeurs laïques et universelles. Cependant, nous reconnaissons que
l'école à elle seule ne saurait être efficace dans
l'éducation morale de l'individu. Quel peut être alors le
rôle de la société, c'est-à-dire son
éducation face à la morale ?
|