II. 3 Pensée critique et protection de
l'environnement
Les problèmes environnementaux sont des enjeux
complexes, regroupant des questions,sphères et
intérêtsdifférents. Cette complexité fait en sorte
qu'on ne peut pas aujourd'huiprétendre aborder ces problématiques
sans une analyse rigoureuse des forces en présence et des
intérêts sous-jacents. En retour, cette analyse critique permet de
remettre en question des dogmes socio-économiques qui sont très
souvent à l'origine d'une gestion irresponsable de l'environnement. Cela
fait que l'exploitation de plus en plus frénétique des ressources
naturelles a permis certes d'améliorer le sort de populations en
croissance rapide, mais ce
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développement s'est fait aux prix d'une
dégradation accélérée de la plupart des
écosystèmes vitaux. Ainsi produire sans arrêt davantage,
c'est consommer la nature de manière également croissante. Face
à une telle réalité. Le développement de la
pensée critique doit alors jouer sa contribution dans le diagnostic et
les de remédiations aux problèmes environnementaux.
La pensée critique peut êtredéfinie selon
Robert STERNBERG comme, « l'ensemble des stratégies et
processus mentaux qu'une personne utilise pour résoudre ses
problèmes, pour prendre des décisions et pour acquérir de
nouveaux concepts ».57Elle implique l'étonnement,
l'interrogation, et se caractérise d'abord par l'habileté
à poser des questions qui s'accompagne de l'analyse du
problème.
En d'autres termes, l'homme devrait créer en lui de
saines habitudes de pensée. Il doit faire l'effort de dépasser
les apparences, se détacher du sensationnel ou du spectaculaire
(phénomène observable lors des joutes électorales ou des
crises citoyennes), se départir des préjugés subtils et
tenaces du milieu social afin de mieux observer pour davantage comprendre les
phénomènes observés.
Aujourd'hui plus que jamais, les enjeux de la protection de
l'environnement demeurent d'actualité au regard des graves
conséquences engendrées par les actions destructrices de l'homme
sur celui-ci. Pour satisfaire aux besoins technologiques de l'humanité,
les industries rejettent des déchets toxiques issus de leur production,
nocifs à l'environnement. De même, la production et la
consommation d'énergie par les industries technologiques ne sont pas
sans conséquences sur la couche d'ozone. Il est admis par exemple que
les causes des catastrophes dites naturelles ou climatiques comme les
inondations du 1er Septembre 2009 au Burkina Faso, le tremblement de
terre du 12 Janvier 2010 en Haïti sont entre autre des
désordresécologiquesrésultant de l'augmentation des gaz
à effet de serre.
Plus que jamais, le pouvoir technologique rend la nature
manipulable et de plus en plus altérable à volonté. Alors,
celle-ci est devenue un être fragile et
57Robert (STERNBERG), cité par Lipman(M), A
l'école de la pensée, Bruxelles ; De Boeck, 1995 p .144
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menacer. Comment donc concilier notre aspiration
légitime au bien-être avec les limitesde la nature ?
Hans Jonas, dans l'éthique de la responsabilité
indique qu'il s'agit d'empêcher que le pouvoir de l'homme ne devienne une
malédiction pour lui. En effet, la promesse de la technique s'est
inversée en menace. Autrefois l'homme pouvait penser à tort ou
à raison que ses interventions techniques sur la nature étaient
superficielles et sans danger, que la nature rétablirait elle-même
ses équilibres fondamentaux, et qu'au fond pour chaque
génération nouvelle la nature était exactement telle que
la génération précédente l'avait trouvée.
Aujourd'hui nous savons que notre technologie peut avoir des effets
irréversibles sur la nature. Ainsi par exemple le recours au
nucléaire produit des déchets qui resteront dangereux pour des
siècles. La puissance technologique moderne crée donc un type de
problèmes éthiques inconnus jusqu'à ce jour que la
pensée Jonassienne appelle, « transformation de l'essence de
l'agir humain ». L'éthique nous dit-elle à affaire
à l'agir. 0r comme l'essence de l'agir s'est transformée une
nouvelle éthique s'impose.
La capacité destructive de l'homme sur la nature, voire
cette «transformation de l'essence de l'agir humain », est
à la base de l'idée de Jonas de nouvelles obligations à
imposer à l'homme dans son rapport avec la nature prenant en compte
l'avenir de celle-ci. Elle nécessite une transformation radicale de
l'éthique traditionnelle purement anthropocentrique vers une
éthique moins anthropocentrique qui permettrait à l'homme de
retrouver ses racines biologiques et naturelles. Cette nouvelle éthique,
l'éthique de Responsabilité prend en considération la
condition globale de la vie humaine et son avenir lointain ainsi que
l'existence de l'espèce elle-même rompant ainsi d'avec celle
traditionnelle.
Si l'impératifcatégorique de Kant affirmait,
« agis de telle sorte que tu puisses également vouloir que ta
maxime devienne une loi universelle », l'impératif
adapté au nouveau type que nous sommes sera formulé comme suit :
«Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles
avec la Permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre
».58La
58HANS (Jonas), Principe
Responsabilité ; Les Editions du Cerf.1990, p40.
responsabilité est une relation non réciproque
unilatérale. Je suis obligé par l'humanité à venir
qui, n'existant pas présentement, ne saurait être dite
obligée à quoi que ce soit à mon endroit. Il s'agit de
maintenir réelle la possibilité d'une existence après
nous.
0n voit sans peine que ce type d'impératif n'inclut
aucune contradiction d'ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en
sacrifiant le bien futur. De même, que je peux vouloir ma propre
disparition, je peux aussi vouloir la disparition de l'humanité.
Les théorieséthiques traditionnelles avaient une
vision réductionniste de la nature. L'homme était
considéré comme un élément en dehors de la nature,
ce qui fait que celle-ci ne méritait aucun respect de sa part. La
conception scientifique même dominante de la nature refusait à
l'homme tout droit théorique de penser à la nature comme à
quelque chose qui mérite le respect puisqu'elle réduisait
celle-ci à l'indifférence de la nécessité et du
hasard et qu'elle l'avait dépouillé de toute dignité des
fins.
Dans la perspective de la protection de l'environnement, un
nouveau type d'agir s'impose comme nous dit Hans Jonas. Puisque, «
l'essence de l'agir humain s'est transformée et comme l'éthique a
affaire à l'agir, l'affirmation ultérieure doit être que la
transformation de la nature de l'agir humain rend
égalementnécessaire la transformation de l'éthique ».
59L'agir humain doit donc chercher non seulement le bien
humain, mais
également le bien des choses extra-humaines,
c'est-à-dire étendre la reconnaissance des «fins en soi
» au de-là de la sphère de l'homme et intégrer
cette sollicitude dans le concept du bien humain car, « la soumission
de la nature destinée au bonheur humain a entrainé par la
démesure de son succès, qui s'étend maintenant
également à la nature de l'homme lui-même, le plus grand
défi pour l'être humain que son faireait jamais entrainé
». 60
Le recours à la philosophie en tant qu'exercice critique
et autocritique de la raison est nécessaire pour faire face à
certains défis de l'environnement. Plus que
59 HANS (Jonas), Principe
Responsabilité, Les Editions du Cerf ; 1990, p21. 60HANS
(Jonas), Principe Responsabilité, Les Editions du Cerf ; 1990,
p15.
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jamais, la philosophie apparait de nos jours comme le nouveau
messie de notre monde en déclin, comme une prescription «
infaillible » pour le redressement d'un monde chavirant, l'antidote
de tous les maux sociaux. Le document préparatoire de la 171ème
session du conseil exécutif de l'UNESC0 stipule sans équivoque en
son introduction que : « L'analyse et la réflexion critique
philosophique sont indéniablement liées à
l'établissement et au maintien de la paix. Dans la mesure où elle
construit les outils intellectuels à l'analyse et à la
compréhension des concepts essentiels de justice, de dignité et
de liberté, où elle permet d'acquérir une pensée et
un jugementindépendant, où elle stimule l'esprit critique
nécessaire à la compréhension du monde et de ses enjeux,
dans la mesure enfin où elle favorise la réflexion sur les
valeurs et les principes, la philosophie est une école de liberté
( ...) à mettre au service de
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l'éducation internationale des nations
».
L'humanité toute entière est de nos jours
désillusionnée par la science et la technique, scandalisée
par des scènes troublantes étalées par la religion
pourvoyeuse jusque-là de sens de l'existence et de quiétude. Et
la réflexion philosophique peut apporter des réponses à
des problèmes scientifiques là où le rationalisme
scientifique n'y est pas parvenu mais aussi attirer l'attention de nos
dirigeants sur les dérives possibles d'un système, toute chose
qui les permettra de s'en prémunir et de préserver la paix.
Notons dans le même ordre que la crise de l'écologie fut pendant
longtemps une préoccupation de la réflexion philosophique avant
d'être de nos jours celle de nos gouvernants au niveau mondial. Cela a
permis de nos jours une prise en compte des impacts environnementaux par les
politiques publiques dans la réalisation des entreprises d'envergure
nationale. Des questions qui, jamais auparavant ne faisaient l'objet de la
législation entrent dans le cadre des lois que des pays se donnent pour
qu'existe un monde pour les générations futures. Mieux, certains
pays africains à l'image du Sénégal ont pris à
coeur cette préoccupation en accordant une place à
l'écologie au sein de leur exécutif en nommant un ministre de
l'écologie.
61Document préparatoire de la
171e session du conseil exécutif de l'UNESCO, pu ;
printemps 2005.
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