SECTION 2 : LE MONITORING DES ELECTIONS : UNE PRATIQUE
STRUCTUREE PAR DES ENJEUX MULTIPLES
Le monitoring des élections présidentielles se
structure autour de multiples enjeux. Une analyse des faits laisse
transparaître un ensemble d'enjeux de la part des acteurs du monitoring
des élections, notamment les Etats-Unis et la France, à
l'occasion de l'élection présidentielle du 11 octobre 1992. Pour
comprendre ces enjeux, il convient d'analyser d'une part les enjeux
politico-stratégiques, (Paragraphe 1) et d'autre part les enjeux
économiques et culturels (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le monitoring des élections : une
pratique structurée par les enjeux politiques et stratégiques
économiques cas de l'élection présidentielle de 1992
L'élection présidentielle du 11 octobre 1992 au
Cameroun nous servira de cadre d'analyse les enjeux politiques et
stratégiques (A), d'une part et d'autre part des enjeux
économiques et culturels (B), à la fois des Etats-Unis et de la
France.
A. Les enjeux politiques du monitoring des
élections : Cas de l'élection présidentielle de 1992
Le Cameroun représente un enjeu politique et
avéré pour de nombreux acteurs du monitoring des
élections, notamment les Etats-Unis et la France. Situé au plan
géographique à la charnière respectivement de l'Afrique
Centrale et Occidentale, de l'Afrique francophone et anglophone, «
pièce centrale » de la zone CEMAC, ce pays s'identifie en
un maillon important de la zone d'influence française en Afrique
noire103.
Dans le cadre de l'élection présidentielle du 11
octobre 1992, les enjeux politiques des Etats-Unis et de la France sont
considérés comme vitaux dans la mesure où leur
négligence compromettrait la sécurité de la nation, voire
son existence en tant qu'entité souveraine104. Pendant que la
France jouait la carte de l'incertitude, la stratégie américaine
était la recherche de nouveaux partenaires sociaux. Dans une large
mesure, cette recherche est consubstantielle au double visage
hégémonique et pragmatique de la politique
étrangère des Etats-Unis et de la France depuis la fin de la
guerre froide. En effet, dans un texte de janvier 1995 qui définit la
« stratégie de sécurité américaine,
d'engagement et d'élargissement », le Président Clinton est
formel :
« La ligne de partage entre les politiques
intérieure et extérieure est en train de disparaître. Nous
devons revitaliser notre économie si nous voulons préserver nos
capacités militaires et notre influence à l'étranger. II
nous faut nous engager activement sur la scène internationale, si nous
voulons voir s'ouvrir des marches et se créer des emplois pour
les travailleurs
américains»105.
Ainsi, en s'engageant en faveur de 1'instauration d'une «
démocratie de marché » en Afrique en général
et au Cameroun en particulier, la diplomatie américaine joue à
fond le jeu de la préservation de l'intérêt national. Car,
pourquoi ne
103 Sur la création et le maintien d'une zone
d'influence française en Afrique, lire, entre autres, Djoba, (S), Les
interventions militaires françaises en Afrique Centrale : Etude de cas
(Gabon, Zaïre, Centrafrique et Tchad), Thèse de Doctorat
3ème Cycle en Relations Internationales, Université de
Yaoundé, IRIC, 1987, p. 138.
104 Bonnefous (M), «Les enjeux nationaux : quelques
repères», in Défense Nationale, janvier 1991, p.
141.
105 Faure, (M), « Le Monde selon Washington », in
L'Express, n° 2329, du 22 au 28 février 1996, p. 23.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
pas reconnaître que la libre entreprise,
consubstantielle à la démocratie favorise la promotion des
investissements d'un pays dont les entreprises sont en mesure de rivaliser avec
n'importe quelle autre entreprise exerçant en Afrique ? Au Cameroun,
l'on a pu relever à la fois une certaine sympathie américaine
à l'endroit de l'opposition radicale et une tendance à traiter
directement avec les acteurs sociaux non officiels. Ainsi, l'on a vu
l'activisme de 1'ambassadeur américain d'alors, madame Frances Cook en
faveur du SDF et la condamnation, sans réserve, de l'instauration de
l'état d'urgence dans la province du Nord-ouest par la
déclaration du Département d'Etat du 13 novembre 1992
susmentionnée. Par ailleurs, il y a lieu de signaler les multiples
tournées de monsieur Ni John Fru Ndi aux Etats-Unis et surtout son
invitation à assister à la cérémonie de la
première investiture du Président Clinton le 20 janvier
1993106.
Cette main tenue en direction des acteurs non officiels
participe de la multiplication des occasions de contact ou d'échange
avec le « pays réel » en dehors du carcan officiel
pas trop formaliste. Les activités de l'Agence américaine
d'information et des relations culturelles (USIA) participent, à n'en
pas douter, de l'opération de charme en direction de toutes les
composantes de la société camerounaise. En effet, cet important
organisme gouvernemental s'emploie à apporter aux ressortissants
Grangers, une meilleure connaissance des Etats-Unis et des valeurs propres
à la société américaine107. Ainsi qu'en
est-il des différents programmes des visiteurs étrangers aux
Etats-Unis, destinés non seulement à permettre une meilleure
connaissance des aspects formels et informels du système politique
américain, mais aussi à favoriser le maximum de relations avec la
diversité d'acteurs officiels et privés au cours d'un
périple de s'étalent généralement sur
différents Etats de la fédération ?
Pour son soutien aux acteurs non officiels lors de
l'élection présidentielle du 11 octobre 1992, une
délégation d'une ONG américaine le NDI, composée de
19 membres, a effectué une mission d'observation au Cameroun. A l'issue
de la proclamation, par la Cour Suprême le 23 octobre de la même
année, de la victoire du Président Biya, le NDI publia un rapport
qui critiquait assez sévèrement, à 1'instar des prises de
position de l'Ambassadeur américain de l'époque, les conditions
d'organisation et le déroulement effectif de la consultation. Dans ce
rapport, il apparaît que :
« le NDI a obtenu des preuves irréfutables et
tangibles qu'avant le scrutin, les hauts responsables de l'administration ont
été informés que leurs compétences devraient
être appréciées en fonction du nombre des voix obtenues par
le candidat président Biya dans les territoires relevant de leur
compétence juridictionnelle respective. Consigne leur avait
été donnée de tacher d'obtenir un score de 60% par tous
les
moyens possibles »108.
106 Le cerveau de CAP - Liberté, Dominique Djeukam
Tchameni fut accueilli aux Etats-Unis comme exilé politique après
avoir été condamné à 20 (vingt) mois
d'emprisonnement pour ses relations suspectes avec des ex-officiers rebelles de
1'Armée camerounaise installés au Burkina - Faso.
107 L'USIA constitue avec l'USAID, le Corps de la paix,
l'Agence Centrale de Renseignement (CIA), l'Agence pour le Contrôle des
Armements et le Désarmement (ACDA), l'Administration des Petites
Entreprises, l'Action, la Banque Export-Import (EXIMBANK) et le Bureau du
Personnel (OPM), 1'ossature des Agences gouvernementales chargées
d'assurer, à côté des 14 Départements ou Ministres,
Certains Aspects Particuliers du Fonctionnement de l'appareil Administratif
Américain. Afrique - Etats-Unis, n° 10/89. 31 octobre 1989, pp.
6-7. 108Les Droits de l'Homme au Cameroun. Livre Blanc publié
par le Gouvernement de la République du Cameroun, Yaoundé, les
Editions de l'Imprimerie Nationale, 1994, Lors de l'élection
présidentielle du 11octobre 1992, cette ONG, sur invitation du
gouvernement du Cameroun a organisé une mission d'experts internationaux
en matière d'élections qui s'est rendue au Cameroun, p. 243.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
On peut, tout de même, se poser la question de savoir si
telles étaient les instructions du pouvoir, pourquoi le
candidat-Président n'a-t-il finalement obtenu qu'un score aussi modeste
(40% environ des suffrages exprimées), largement en deçà
du pourcentage donné par le NDI?109
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