CHAPITRE 2 : LA REVENDICATION D'UNE IDENTITE
SINGULIERE.
« La volonté de reconnaissance apparaît
chaque fois qu'une offense, vécue comme une injustice, est
infligée à un individu ou à un groupe, au point d'en
compromettre l'identité et, par suite, la viabilité
68». La langue n'est pas qu' « un simple
instrument de
communication », elle a une fonction identitaire
individuelle, et elle est aux fondements de la communauté
linguistique69. Selon l'ethnologue Yves Delaporte,
« le critère déterminant de l'ethnie est la
communauté linguistique 70 ». En France, le
déni de reconnaissance de la langue des signes, appelée par les
pouvoirs publics « geste », « signes », voire «
mimique », est vécu comme une injustice par les sourds-muets.
L'élite issue des Instituts va, dès la première
moitié du XIXème siècle, se structurer pour
affirmer son identité compromise. Les sourds-muets ne vont pas se
satisfaire de leur statut d'invisibles, produit par le processus de
bureaucratisation. Ils vont s'organiser et agir collectivement pour affirmer
leur identité. Mais pour « exister
67 Cité par Christian Cuxac dans Le congrès de
Milan, op.cité, P110.
68 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la
reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P129.
69 Louis-Jean Calvet, La Sociolinguistique, 2005,
P42.
70 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça,
Ethnologie de la surdimutité, Paris, 2002, P72.
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comme humain, c'est alors être confirmé, par un
biais ou par un autre, par une procédure de reconnaissance qui met en
jeu une communauté de sujets dont la valeur est préservée
par le droit. La procédure de reconnaissance exhibe l'humain, le rend
pour ainsi dire visible 7f». Cette demande de
reconnaissance appelle donc une réponse des institutions, une
légitimation de l'identité des sourds-muets par les pouvoirs
publics. Cette réponse n'interviendra qu'à la fin du XXème
siècle, en 1991, à l'occasion du vote d'un amendement
déposé par Laurent Fabius. Limitées aux
établissements spécialisés, les dispositions contenues
dans la loi seront revues, sans être corrigées, dans la loi du 11
février 2005. Désormais, contre l'inclusion sociale, le mot
d'ordre, c'est l'intégration.
I- UN COMBAT POLITIQUE POUR L'INTEGRATION.
Au XIXème siècle, la politique
menée à l'attention des sourds-muets est un échec. L'Etat
reste impuissant à les rendre semblables, à les inclure à
la société idéalisée. Le traitement de masse s'est
avéré inefficace, et il contribue même à la
formation d'une identité collective. En effet, si les institutions ne
parviennent pas à modeler les sourds-muets, elles deviendront toutefois
le berceau de la résistance, d'un mouvement identitaire formé en
réaction aux traitements thérapeutiques, et aux attaques
portées contre leur langue naturelle, la langue des signes. Les
sourds-muets revendiquent une identité propre, qui ne fusionne pas
à l'entité abstraite qu'est le peuple. Contre l'illusion de
l'unité, contre une égalité intolérante à
toute manifestation de l'altérité, les sourds-muets, acteurs de
leur époque, revendiquent l'intégration sociale et politique. Ce
combat pour l'intégration est interrompu par la Seconde Guerre Mondiale,
mais par la suite le développement des procédés pour faire
parler les Sourds, leur classement administratif dans la catégorie des
« déficients auditifs » va attiser la colère des Sourds
dans les années 1970. Leur combat se trouvera légitimé par
un laboratoire américain de recherche en linguistique. Les chercheurs
concluent en effet que la langue des signes est une langue à part
entière.
71 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la
reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P128.
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