ANNEXE 2
Direction Générale de l'Enseignement
Scolaire Pierre-François GACHET Chef du bureau de l'adaptation
scolaire et de la scolarisation des élèves
handicapés. Durée : 1 h 10
Monsieur Gachet, pourriez-vous dans un premier temps
m'expliquer vos missions au sein de l'Education Nationale ?
Je dirige un bureau, un service qui se situe... qui est l'un des
services qui se situent au sein de la Direction Générale de
l'Enseignement Scolaire, laquelle Direction d'une manière
générale... c'est la Direction principale du Ministère
dans la mesure où c'est la Direction Pédagogique, c'est celle qui
fixe l'organisation du système éducatif, les programmes scolaires
et également qui attribue les moyens dans les Académies, donc
finalement c'est un petit peu, comment dirais-je, non pas le coeur, mais
plutôt le cerveau organisateur du système éducatif -
école, collège, lycée... scolaire : pas pour ce qui
concerne l'université. Absolument pas. On n'a que peu à voir avec
l'enseignement supérieur. Et donc pour ce qui me concerne,
l'équipe que je dirige ici a pour tâche d'organiser au nom du
ministre et sur les injonctions du ministre, enfin en tout cas sur les
directives que le ministre nous donne, la façon dont le système
éducatif s'organise pour permettre la scolarisation des
élèves handicapés. Alors, aujourd'hui cette tâche se
résume, mais le mot résumer est une douce litote, à mettre
en place les effets de la loi de 2005 et ça depuis maintenant plus de
trois ans, trois ans, pas tout à fait, la loi est entrée en
vigueur pour le pays tout entier au 1er janvier 2006 et donc pour
l'Education Nationale au 1er septembre 2006, donc c'est la
3ème rentrée scolaire, la dernière, celle de septembre
2008 était la 3ème rentrée scolaire qui
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était organisée à partir de cette loi. Notre
tâche, c'est ça, alors il y a une partie réglementaire, il
y a création de textes réglementaires, ça c'est toujours
extrêmement long, extrêmement compliqué, parce que il faut
tenir compte de tout l'état du droit existant qui est d'une
complexité folle, il faut négocier avec des quantités de
partenaires, très importants, notamment les associations
représentatives de parents d'enfants handicapés, par exemple,
l'établissement gestionnaire, etc., les syndicats de personnels , de
tous ordres, donc c'est un travail qui aboutit à un texte, à un
nombre de textes relativement limité, parce que vous voyez par exemple
depuis le vote de la loi, pour le simple secteur scolaire, ça peut
paraître pas beaucoup, on a véritablement trois décrets,
deux ou trois arrêtés et puis deux ou trois circulaires. Mais
à chaque fois, c'est très important. Ensuite une deuxième
partie de notre travail, c'est justement de négocier, négocier
c'est trop fort, de discuter avec l'ensemble des partenaires sociaux, au sens
le plus large du terme, qui sont pour l'essentiel présents ou
participants au CNCPH, vous savez ce qu'est le CNCPH...
Oui.
... donc l'ensemble des partenaires sociaux, pour justement
continuer à travailler sur l'organisation, les évolutions du
système, que faut-il faire, à la fois gérer le
présent et un peu anticiper l'avenir. Troisième axe de travail
très important également, qui est important, c'est de faire des
enquêtes et des évaluations, ça ça appartient en
propre à la Direction Générale, c'est toujours un petit
peu compliqué, parce que le terrain, ce qu'on appelle le terrain,
familièrement, c'est tout à fait impropre d'ailleurs parce que le
terrain c'est-à-dire en fait les services déconcentrés de
l'Education Nationale ; comme vous le savez il y a trente Académies et
100 départements, dans chaque département il y a une Inspection
Académique et l'harmonisation, enfin les Recteurs sont responsables de
la mise en oeuvre des politiques publiques dans l'Académie. Les services
déconcentrés ont, en général, tendance
naturellement à penser qu'ils ont un milliard de choses à faire
et que nos pauvres enquêtes n'est pas leur priorité, mais
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sans enquête et sans connaissance du terrain, on ne peut
pas savoir ce qui se passe et c'est très difficile de piloter ; donc,
concevoir des enquêtes, les organiser, les créer, tout cela en
tenant compte des réglementations, notamment celles qui sont
imposées par la CNIL, ensuite, recevoir les résultats, les
traiter, les analyser, fournir des rapports au Ministre - mon champ
d'activité, c'est aussi un travail de bureau et puis le dernier «
rush » parmi les principaux, c'est le fait de sillonner la France pour
expliquer la loi, expliquer la réforme, expliquer les modifications que
le système éducatif doit mettre en place, qui sont plus que des
modifications, qui sont des bouleversements, rencontrer les acteurs de terrain,
alors pas tous évidemment, je ne peux pas rencontrer tout le monde, bien
sûr, il y a 70 000 établissements scolaires, il y a 850 000
professeurs - il est hors de question de rencontrer tout le monde ! - mais
d'une manière générale, mes interlocuteurs les plus
fréquents sont les inspecteurs d'Académie, quelques responsables
recteurs dans les rectorats, et puis dans les départements les
inspecteurs d'Académie qui ont eux en charge la mise en oeuvre
concrète des réformes dans les établissements scolaires.
Et pour tout ce travail, on va dire, de pédagogie, d'explication et en
même temps d'aide, parce que c'est pas seulement de l'explication c'est
aussi du conseil d'une certaine façon, on fait souvent un travail qui
s'apparente à un travail de consultant, quelque part, souvent. Je fais
souvent ce travail là, c'est à dire que je vais dans un
département, dans une académie, et j'aide les responsables locaux
à analyser leur terrain, à mieux comprendre comment les choses se
passent chez eux, à essayer de mettre en évidence quelques lignes
de force parfois quelques faiblesses aussi, c'est un peu le but quand
même, et puis éventuellement leur donner des conseils pour
réorienter, affiner ou réajuster leur politique.
Et au sein de votre direction, vous êtes
organisés de quelle façon ? Est-ce qu'il y a un bureau par
catégorie de handicap ou comment sont traités en fait tous ces
handicaps puisque la loi est globale et traite des enfants handicapés en
général ?
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Ils sont traités - c'est une bonne question en terme
d'organisation du travail -, ils sont traités en principe exactement
à égalité. Nous sommes une petite équipe, moi je
dirais, je ne dirige pas la Direction, il y a un Directeur
Général de l'Enseignement Scolaire qui dirige ce qu'on appelle
administrativement un Bureau et qui est en fait une espèce de Service
puisque cela comporte plusieurs personnes, mais nous ne sommes pas si nombreux
que ça nous sommes une petite dizaine en tout à peine dont trois
d'ailleurs ont une tâche qui consiste uniquement à être en
contact avec les familles, à répondre au téléphone,
aux courriers et aux courriels que les familles et les usagers nous envoient
quotidiennement et qui nécessitent pour répondre bien souvent une
enquête parce que quand les gens nous écrivent c'est que ils ont
un gros problème et qu'ils veulent que ce problème soit
réglé et qu'ils n'ont pas trouvé de solution satisfaisante
avec leurs interlocuteurs locaux immédiats, c'est en
général pour ça qu'ils nous écrivent. Donc oui, les
différents types de handicaps normalement sont traités absolument
de la même façon, c'est à dire que l'on considère
chaque fois les problèmes que ça pose et les solutions que l'on
peut y trouver, mais il est évident que, je dirais, il y a des
catégories qui nous demandent plus de travail, je ne dis pas qu'elles
sont plus importantes mais elles nous demandent plus de travail, parce que tout
simplement dans l'histoire elles ont peut-être été moins
prises en compte, moins abordées et depuis moins longtemps. Il y en a
deux particulièrement qui mobilisent depuis plusieurs mois maintenant la
grande majorité de mon temps, c'est justement la surdité et le
handicap auditif et puis l'autisme.
D'accord.
Dans deux genres totalement différents, cela n'a rien
à voir. Et à l'inverse, par exemple, il y a des types de
handicaps comme le handicap visuel ou le handicap moteur simple, la
paraplégie par exemple, qui ne nous demandent pas un investissement
considérable - on suit cela de près, mais ils ne nous demandent
un
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investissement considérable parce que globalement
ça se passe bien, c'est des gens organisés depuis très
longtemps, ça marche bien, cela peut paraître paradoxal mais
globalement en France si vous êtes aveugle vous êtes en moyenne un
meilleur élève que si vous ne l'êtes pas. Les enfants
aveugles à l'école réussissent mieux que les autres. Il y
a très peu d'enfants aveugles à l'école, il y en a
très très peu, il y a 12,5 millions d'élèves en
France, il y en a 4000 qui sont aveugles, c'est une toute petite
quantité, mais il se trouve que les enfants aveugles réussissent
en moyenne mieux à l'école. Alors que, à l'inverse, les
enfants sourds, en moyenne, réussissent moins bien. Donc ils demandent
plus d'attention, plus de travail, plus de sollicitude de notre part.
Et comment l'expliquez-vous ?
Par une raison très simple, et qui est... Alors, il y a un
faisceau de raisons. En fait j'ai dit il y a une raison très simple, en
fait, il n'y en a pas qu'une, mais toutes se ramènent à un
résultat c'est que 'y a rien de plus difficile pour un pédagogue,
il n'y a rien de plus difficile, absolument plus difficile pour un
pédagogue que d'apprendre à lire à un sourd. C'est la
tâche la plus compliquée et la plus difficile qui soit. Certaines
situations de handicap mental sont plus faciles à traiter, à
aborder d'un point de vue pédagogique pour l'apprentissage de la lecture
que la surdité. Donc cela veut dire que pendant des décennies et
des décennies les enfants sourds n'ont pas reçu un apprentissage
convenable en lecture et dans une société évoluée
comme la notre, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au
Canada, en Allemagne ou autre, une personne qui ne sait pas lire ni
écrire a toutes les chances de ne pas s'insérer socialement,
d'être exclue.
Ce serait lié à une question de
méthode... ?
C'est lié à plusieurs choses. D'abord, il y a un
facteur historique : vous avez entendu parler du Congrès de Milan, je
n'y reviendrai pas, donc il y a ce phénomène-là, ce
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phénomène-là qui pendant des
décennies depuis la fin du XIXème siècle, l'époque
triomphante de la morale victorienne jusqu'aux années 70 - c'est
à dire après mai 68 en fait, qui là aussi a
été un bouleversement, sur cela aussi, il y a eu un rejet du
corps et donc de la langue des signes qui est extrêmement corporelle,
plus encore pour les signeurs de naissance que pour les entendants, qui
deviennent signeurs par apprentissage, parce que, quoi qu'on dise, vous le
savez bien, quand on est entendant de naissance quand on apprend la langue des
signes comme une seconde langue, c'est comme quand on apprend le chinois ou le
japonais, on devient jamais tout à fait à 100% un natif, si je
puis dire, on peut devenir très bon - les interprètes
eux-mêmes qui ont le diplôme d'interprètes et qui donc sont
excellents nous disent qu'un sourd les reconnaît immédiatement au
premier coup d'oeil si je puis dire, au sens strict du terme, au premier coup
d'oeil, c'est le mot qui convient, parce qu'ils ont un accent, qu'un sourd de
naissance n'a pas. Voilà c'est une évidence, c'est comme une
langue orale, c'est la même chose. On sait d'ailleurs depuis quelque
temps que ce sont les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées.
Paradoxalement, cela peut sembler paradoxal, parce que, ce sont les aires de
Broca, notamment, les aires temporales droites (gauche ou droite il faudrait
vérifier) qui sont sollicitées pour le langage des signes comme
pour le langage oral. C'est à dire qu'en fait, il y a dans le cerveau un
siège du langage qui est le même siège quel que soit le
mode de langage utilisé, la langue utilisée. Après,
comment dirais-je, les vecteurs, physiologiques, biologiques que ce soit
l'appareil articulo-phonatoire ou que ce soit l'appareil gestuel qui soit
utilisé, c'est différent bien sûr mais au niveau du
cerveau, c'est la même aire et on sait maintenant qu'il y a des dyslexies
et des dysphasies, c'est à dire des enfants - il y en a très peu
- des enfants qui, la dyslexie ne paraît qu'avec la lecture, donc
laissons de côté la dyslexie mais la dysphasie est un handicap
naturel, biologique qui affecte la capacité à s'exprimer
oralement. C'est à dire que la personne pense, elle pense très
bien, elle est capable de tout comprendre, de comprendre tout ce qu'on lui dit,
elle est capable de signer les objets, d'avoir une pensée
articulée et cohérente mais dans un certain nombre de cas et
parfois dans de très nombreux cas et parfois
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toujours, elle ne parvient pas à mettre les mots sur ce
qu'elle pense. Elle pense par concept, elle pense par pensée
conceptuelle comme on la définit aujourd'hui mais les mots ne lui
viennent pas et lorsque, en revanche, on lui dit quelque chose et qu'on lui dit
« oui, bien sûr, c'est cela, c'est ce que je voulais dire »,
mais les mots ne viennent pas. Or ce type de handicap qui peut être
extrêmement invalidant existe aussi chez les sourds signeurs. C'est comme
ça qu'on a su, notamment en étudiant certains par le biais de
l'IRM, régulièrement le cerveau de certains patients ou de grands
accidentés de la route, par exemple, de la route ou d'autre chose,
souvent de la route, on a pu découvrir ça. Donc, c'est la
même aire cérébrale qui commande le langage quel que soit
le vecteur utilisé pour communiquer.
Donc finalement, est-ce qu'il est possible de dire que le
problème des sourds, c'est un problème de communication
essentiellement ? Un problème de langue ?
Exclusivement, c'est un problème de langue. C'est comme si
vous et moi on se trouvait parachutés au milieu de la Mongolie
Extérieure sans aucun apprentissage. Eh bien on serait sourd aux gens
qui sont en face de nous. Eventuellement on comprendrait un sourire, un regard,
une mimique agressive, une claque dans la figure, ça on comprendrait
assez facilement je pense, mais tout ça c'est gestuel, c'est visuel.
Alors, avec cette différence qui est qu'on aurait un avantage sur les
sourds c'est que si on est piloté, parachuté du jour au lendemain
en Mongolie Extérieure, eh bien, ne pouvant pas faire autrement,
très rapidement, on s'y mettrait et en quelques mois de temps, on
finirait par communiquer oralement avec les Mongols. Et donc on apprendrait la
langue mongole, qu'on le veuille ou non, parce que c'est ça ou mourir,
d'une certaine façon, je prends un exemple un peu extrême mais
c'est obligatoire, mais on pourrait apprendre la langue, ça prendrait
peut-être plus ou moins de temps, parce qu'il y a des gens plus ou moins
doués, bon, on le sait bien, mais en tout cas, on finirait par apprendre
la langue, c'est ce que font toutes les personnes qui sont immergées
dans une culture extérieure à la leur avec aucune
possibilité de parler leur
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propre langue, un jour ou l'autre, elles finissent bien par
apprendre la langue dans laquelle elles sont immergées. Tandis qu'un
sourd, vous pouvez l'immerger pendant cinquante ans au milieu des entendants,
s'il est tout seul malentendant, il n'apprendra jamais la langue des
entendants, quelle qu'elle soit, que ce soit l'anglais, le français ou
le mongol donc c'est pas, le... et j'en reviens à la question que vous
m'avez posée au début, quelles sont les raisons qui expliquent
cette difficulté d'apprentissage, - vous savez que plus des 3/4 des
adultes sourds en France sont illettrés, en France et en Europe de
façon générale, et c'est pas un hasard. C'est parce que,
donc, il y a eu ce rejet de tout ce qui était gestuel pendant des
décennies et des décennies qui a fait qu'on a
considéré les sourds comme étant des personnes qui
étaient dans le versant de la déficience, ce qui est une forme de
déficience, incontestablement, on peut pas dire que d'être sourd -
sourd profond de naissance - personne ne peut dire que c'est, avec tout ce que
ce mot peut avoir de respectueux, que c'est normal, parce que le
développement humain, c'est pas d'être sourd. La norme humaine,
c'est pas d'être sourd. (Excusez-moi : sonnerie portable). La norme
humaine, c'est pas d'être sourd. Donc, effectivement, personne ne peut
prétendre... donc, je mets beaucoup de guillemets autour de ce mot
normal, vous verrez pourquoi tout à l'heure, parce que je reviendrai sur
ce concept, mais il n'empêche que bien sûr que ça correspond
à une déficience, seulement c'est une déficience, c'est
une déficience portant uniquement sur la communication. Pendant de
très nombreuses années, on a pensé que les sourds
étaient muets. Ce n'est pas vrai, même si cela n'offre pas trop
d'intérêt, mais surtout on a pensé que les sourds
étaient atteints de déficience intellectuelle et on l'a crû
consciencieusement, des médecins ont appris de génération
en génération de médecins, ils l'ont appris pendant de
très nombreuses années, jusqu'aux années 70 en France.
Pourquoi ? D'abord parce que les sourds produisent des sons qui ne se
maîtrisent pas toujours, c'est pas parce qu'ils sont sourds qu'ils sont
muets, ils produisent des sons, à la fois corporels mais aussi des sons
corporels que tout un chacun dans la vie ordinaire a appris à
gérer, parce que les règles, le bon usage social fait que il y a
des bruits corporels qu'on contrôle
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soi même, qu'on contrôle instinctivement, on
n'apprend pas et encore, si, un bébé, un enfant on lui apprend
encore une fois à contrôler certains bruits corporels mais de
toutes façons, il le voit très bien, il le comprend très
bien et quand il s'insère peu à peu dans la
société, à l'âge adulte, il maîtrise ses
bruits corporels. Un sourd ne les entend pas, comment les maîtriserait-il
? Alors évidemment, par l'intérieur, par les vibrations, il peut
le sentir, mais tout ça ça mérite un apprentissage Et
puis, surtout, il produit des sons vocaux qu'il n'entend pas et que donc il ne
maîtrise pas, la plupart du temps. On peut lui apprendre à les
maîtriser, mais spontanément il ne les maîtrise pas. Et dans
les temps anciens, je parle de ça, tout au long du XXème
siècle, au moins la 1ère moitié du XXème
siècle, eh bien ces sons étaient apparentés à
l'extérieur ou ressemblaient, entendus de l'extérieur par des
gens ordinaires qui ne s'étaient jamais penchés sur la question,
qui n'avaient pas réfléchi, qui ne s'étaient pas du tout
intéressés à la question, étaient ressentis comme
des sons proches de ceux que produisaient par ailleurs, par des
arriérés mentaux.
Vous parlez ici des médecins ?
Pas seulement les médecins, l'opinion publique en
général. Monsieur Tout le Monde, Monsieur Tout le Monde. Donc il
y avait de la part des sourds, pas de la part des sourds, de la part des
personnes ordinaires, des personnes entendantes une représentation
première, non travaillée, non réfléchie, mais en
pensée qui assimilait plus ou moins la surdité à un
handicap intellectuel. Et ils ont gardé ce boulet, les sourds, pendant
des décennies et des décennies, jusqu'à ce que les gens se
mettent à réfléchir, un petit peu. D'une part, y'a eu tout
ça, donc on a considéré les sourds comme des personnes
déficientes, malades, handicapées, trouvez le mot que vous voulez
- avec les époques les mots changent mais les idées restent
à peu près les mêmes et on s'est dit...
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Ce sont lesquelles, ces idées justement ?
Puisqu'on a affaire à un problème de communication et plus
précisément de langue, est ce que l'on peut considérer,
est-ce que l'on peut catégoriser les sourds parmi les handicapés,
les malades ou éventuellement une minorité linguistique
?
Ah ! Voilà une question ! Voilà une question !
Alors, certains pensent, notamment, certaines associations extrêmement
mobilisées, militantes, - et le mot est faible - envers la LSF, pensent
qu'il s'agit d'une minorité linguistique. La loi ne dit pas cela. La loi
reconnaît la LSF comme une langue à part entière, comme une
langue, mais la loi ne se prononce pas sur les sourds, en tant que tels. Tout
simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une
catégorie de personne. Il est hors de question de stigmatiser ou de
disserter sur une catégorie de personne. « Tous les êtres
humains... », Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, «
naissent et demeurent libres et égaux en droit, etc., etc. y compris les
personnes handicapées. Alors, on parle aujourd'hui, non plus
tellement... on dit bien sûr dans la vie quotidienne, « une personne
handicapée ». Déjà quand on ne dit pas « un
handicapé » c'est déjà très
bien, parce qu'il y a encore des gens qui disent « les handicapés
», et même au plus haut niveau de l'Etat parfois on entend des gens
qui devraient un peu plus surveiller leur langage, je ne vise personne, et qui
disent : « les handicapés ».
Parce que les handicapés n'étaient pas
considérés comme des personnes ?
Presque pas ! Alors, après on s'est habitués
à dire : « les personnes handicapées » ou « les
sportifs handicapés » ou « les étudiants
handicapés », et puis « les travailleurs handicapés
». Déjà, c'est beaucoup mieux, parce que, c'est une
catégorie sociale qui a un handicap. Ca, c'est pas tellement
contestable. Aujourd'hui, on a pris l'habitude d'utiliser une autre expression
qui consiste à dire : « les personnes en situation de handicap
». Alors, bien sûr, on pourrait dire, on pourrait ricaner en disant
: Oh, oui,
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c'est toujours la même chose, c'est comme les techniciens
de surface, c'est politiquement correct. Y'a un peu de ça sans doute,
y'a un petit peu de ça. Mais pas que ! Parce qu' il y a une
différence énorme. Quand on dit « personne en situation de
handicap », on insiste sur le mot : « situation », c'est
à dire que l'on insiste sur l'environnement, le contexte. Une personne
est handicapée, non pas simplement parce qu'elle porte en
elle-même une déficience, bien sûr qu'elle porte une
déficience, mais c'est en cela que nous, nous ne suivons pas dans leurs
idées, certains de ce que l'on appelle un petit peu les «
extrémistes », les plus ardents militants de la LSF. Une personne
handicapée porte en elle une déficience, incontestablement, mais
cette déficience ne suffit, ne peut pas suffire à la
caractériser. Ce qui caractérise son handicap, c'est
l'articulation de cette déficience et de son environnement. C'est un peu
l'histoire... c'est tout à fait le syndrome de Gulliver : Gulliver chez
les Géants, Gulliver à Lilliput. Eh bien, d'un côté
comme de l'autre, Gulliver est en situation de handicap, parce que, par rapport
à nous Gulliver est un homme normal mais (23], mais dans la situation
dans laquelle il était plongé, il était pas comme tout le
monde et donc il était en situation de handicap parce qu'il ne pouvait
pas avoir une vie normale, que ce soit chez les Géants que ce soit
à Lilliput, d'un côté comme de l'autre il est en situation
de handicap, donc c'était pas... c'est même la métaphore de
Gulliver, c'est même la métaphore extrême parce que, lui
n'avait pas de déficience d'une certaine façon, mais, en tout
cas, c'est tout à fait ça. On est handicapé que par
rapport à un environnement, c'est l'articulation entre sa propre
déficience et son environnement. Les personnes sourdes qui ne vivraient
qu'au milieu d'un monde de sourds ne seraient pas handicapées, puis
qu'il n'y aurait pas de communication verbale, il n'y aurait que de la
communication gestuelle. Elles ne seraient plus handicapées. Donc,
pendant les cinquante, soixante premières années du XXème
siècle, disons, depuis la fin du XIXème, alors que si on remonte
beaucoup plus loin en avant l'abbé de l'Epée avait fait des
choses formidables pour la langue des signes et puis c'était
tombé en désuétude , complètement, ça avait
été abandonné, on a dit les personnes sourdes, les enfants
sourds sont des personnes déficientes qu'il va
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falloir, donc, rééduquer et on a dit, il faut les
« démutiser », un mot absolument barbare, les
démutiser, c'est à dire les rendre « non-muet », donc,
leur apprendre à parler, et leur apprendre à parler, c'est leur
apprendre à produire un langage oral articulé à partir de
sons qu'ils n'entendent pas, en utilisant des sons qu'ils n'entendent pas.
Quand on y réfléchit, c'est pas loin de la mission impossible,
c'est pas loin de la mission impossible ! Parce que, certes, la pensée
est là, et la pensée peut être brillante, elle peut
être parfaitement articulée, mais, il faut pour arriver à
faire ça, il faut deux, il faut réunir deux conditions : la
première, c'est la réception du message de l'autre et la seconde
c'est la production d'un message, l'émission du message - c'est la
sémiologie de base... La réception du message, pour un sourd,
elle ne peut se faire que par la lecture labiale, elle ne peut se faire, si il
n'y a pas de geste, que par la lecture labiale, or la lecture labiale est tout
à fait approximative, si bonne soit elle, elle est, de toutes
façons, toujours approximative, c'est pour ça qu'on a
inventé le LPC d'ailleurs, le LPC qui comme vous le savez n'est pas une
langue, c'est simplement un soutien gestuel pour la lecture labiale, c'est
tout, c'est une sorte de façon de souligner ce qu'on a appelé les
synonymes labiaux. Il y a des sons qui sont utilisés avec les mouvements
de lèvres et de langue qui sont à peu près semblables et
donc, du coup, la personne qui se contente de lire sur les lèvres peut
faire de la confusion et donc la lecture labiale, quel que soit l'apprentissage
que vous conduisez vers un enfant sera toujours... c'est jamais du 100%.
Même avec le codage LPC, avec le codage LPC on s'approche du 98, 99 %,
avec un bon codeur. Mais, seul, c'est jamais du 100%. Eh donc c'est toujours
approximatif et ça induit de nombreuses incompréhensions, ce
qu'on appelle en langage familier et vulgaire un dialogue de sourd ! Cette
expression a un sens très fort et elle dit bien ce qu'elle veut dire.
Et, ça c'était pour la compréhension. Et pour
l'émission du message on a donc voulu apprendre aux enfants et cela a
duré pendant de très nombreuses années, on a voulu leur
apprendre à produire un message sonore correspondant au nôtre,
avec, donc, un apprentissage forcé de la production sonore, mais qu'ils
ne maîtrisent pas, puisqu'ils ne l'entendent pas ! Et quand vous entendez
un sourd qui parle et il y a des sourds qui parlent très
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bien, j'en connais quelques uns, très peu, très
très peu, parce que c'est très difficile objectivement, il faut
être vraiment quelqu'un d'extrêmement brillant, avec un encadrement
de qualité et de proximité permanent, avec un soutien
orthophonique quotidien, je dis bien quotidien pour arriver à être
un bon oraliste. Donc, c'est très difficile, et comme c'est très
difficile, il y a beaucoup d'échecs, parce que tout le monde n'a pas la
chance d'avoir autour de soi ce qu'il faut pour, parce que tout le monde n'a
pas la volonté, parce que les enfants, les sourds sont comme les autres,
ils sont plus ou moins intelligents, comme tout le monde, donc l'apprentissage
de l'oralisme est extrêmement difficile et n'offre que peu de chances de
réussite. Et donc du coup, on « surhandicape » la personne
sourde d'une certaine façon en l'obligeant à s'inscrire dans un
échange de communication dont il ne maîtrise ni vraiment la
réception ni vraiment l'émission. En plus c'est extrêmement
fatigant, ça nécessite une mobilisation intellectuelle d'une
très grande intensité et une personne sourde ne peut pas suivre
une conversation... si vous étiez sourde et que vous soyez lectrice
labiale, tout ce que je vous dis là, vous auriez décroché
parce que ça demande..., c'est trop intense et c'est extrêmement
fatigant, cela demande une concentration intellectuelle considérable. Et
chez un petit enfant de trois, quatre, cinq ans, ils sont comme les autres, on
ne peut pas leur demander plus que ce qu'ils peuvent donner. Et donc, du coup,
tout ça vous explique qu'il y a eu énormément
d'échecs, énormément d'échecs, et donc, les
enfants, en plus la-dessus, vous ajoutez le fait que beaucoup d'enfants sourds,
92% d'enfants sourds naissent de parents entendants, les parents entendants
quand ils découvrent qu'ils ont un enfant sourd, leur premier
réflexe, un peu aujourd'hui, mais il y a encore quelques années
en arrière, leur idée, c'était pas de penser à tous
ces problèmes linguistiques, philosophiques, etc., c'était de se
dire, mais non d'une pipe comment je vais faire avec cet enfant, comment je
vais communiquer avec lui, on a vu, alors, des cas extrêmes, comme
toujours, bien sûr, et minoritaires, peu nombreux, marginaux mais on a vu
des parents rejeter leur enfant, parce qu'ils ont le sentiment d'être
incapables de communiquer avec lui. On a vu des enfants sourds acquérir
une sorte d'autisme secondaire uniquement dû à l'absence
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de communication avec la mère, uniquement dû
à l'absence de communication avec la maman principalement.
Alors si on veut trouver une solution, comme vous le
disiez, pour que les sourds puissent acquérir la lecture et puis surtout
pour pallier à cet illettrisme, quelles pourraient être les
solutions puisque vous nous expliquiez en fait que l'oralisme, c'est pas une
réussite garantie. Aujourd'hui, quelles sont les méthodes pour
acquérir la lecture pour un sourd ?
Eh bien, il n'y a pas de panacée, malheureusement ! Il n'y
a pas de panacée. L'oralisme, comme vous avez bien résumé
le sujet, n'est pas une réussite garantie, mais je ne voudrais pas
donner l'impression que l'oralisme c'est le diable après avoir
été le bon dieu. Il ne s'agit pas de dire aujourd'hui, pendant
tant d'années les personnes qui s'occupaient des sourds ont eu tendance
à répéter que la LSF, il fallait la diaboliser et que la
seule solution passait par l'oralisme, on va pas aujourd'hui tenir un propos
strictement symétrique. Ca serait aussi ridicule. Ce que nous disons, et
ce n'est pas moi qui le dis, c'est un constat, les enfants qui ont eu la chance
de pouvoir s'initier, notamment les enfants sourds de parents sourds, les
quelques enfants sourds de parents sourds pour qui la LSF était une
langue maternelle, naturelle, spontanée, pour peu qu'ils aient eu la
chance de rencontrer des enseignants compétents sont entrés dans
la lecture avec à peu près pas plus de difficultés que les
enfants ordinaires. Donc, la solution c'est pour l'apprentissage de la lecture,
c'est construire une méthode d'apprentissage de la lecture
adaptée à ce mode de connexion particulier, à cette langue
particulière qu'est la LSF. C'est à dire, non pas fondée
sur le code de correspondance « phonème-graphème » mais
fondé sur autre chose. Comment apprend-t-on à lire en France
depuis toujours, j'ai envie de dire, toujours, depuis...Platon. On apprend
à lire en faisant « b-a ba », « p-a pa », « r-a
ra », quoi qu'en ait dit certains de nos ministres
précédents, quoi que puissent en dire certains cercles
d'intellocrates parisiens, la méthode globale n'a jamais existé
en
141
France, jamais, n'a jamais été utilisée
nulle part et tous les enfants de France apprennent avec une méthode
syllabique et ont toujours appris avec une méthode syllabique, tout le
reste n'est qu'agitation médiatico-politique. Et un enfant ordinaire,
à l'école, il apprend en faisant « p-a pa », « r-a
ra », alors après on met tout un tas de fioritures autour, parce
qu'il faut rendre la chose motivante, parce que la lecture c'est pas
seulement... si on ne fait que ça, c'est de la mécanique, la
lecture c'est pas seulement de la mécanique, la lecture c'est d'abord de
l'intelligence, c'est de l'accès au sens, c'est l'accès à
la beauté d'un texte, c'est l'accès à un univers, c'est,
c'est l'accès au message donc la mécanique est au service de
l'accès au message, on est bien d'accord là-dessus. Mais
n'empêche que, à un moment, il faut passer par la
mécanique. Une mauvaise image, je pourrais dire qu'on peut toujours
rêver à faire des voyages, si on se contente de voyager à
pied, on n'ira pas bien loin. Donc, la mécanique de la lecture n'est
qu'un moyen d'accès au sens, c'est entendu, mais c'est un moyen
absolument indispensable, or, le code de correspondance
phonème-graphème, ce qu'on appelle le code de correspondance
phonème-graphème qui veut dire « p-a pa », eh bien pour
les sourds, il n'a aucun sens ! Puisqu'il en manque la moitié. Il n'a
absolument aucun sens. Donc, il faut trouver une autre méthode d'analyse
et de synthèse de l'univers écrit et cette autre méthode
passe nécessairement, là pour le coup, par, d'une part, en
premier lieu un apprentissage long et massif global, de lecture globale -alors,
effectivement, chez les sourds, c'est le seul cas de figure où on peut
prôner la lecture globale pour commencer, c'est à dire que les
enfants sourds, il faut leur apprendre des quantités de mots, en
correspondance « graphie - image » et la correspondance «
graphie - image » permet d'accéder au concept. Si vous dessinez une
table et qu'à côté vous écrivez le mot table,
à force de voir ensemble les deux choses, l'enfant - je simplifie
à l'extrême - l'enfant va comprendre que ce signe qu'il voit, cet
ensemble de tracés qu'il voit sur le papier cela correspond à une
table et ainsi de suite... Alors, évidemment, cette méthode a ses
limites, parce qu'elle ne peut concerner que les objets concrets, simples et
concrets - table, chaise, maison, voiture, papa, maman, ce que vous voulez - et
si
142
vous voulez lui faire lire le mot « aimer », ça
va être compliqué avec un simple dessin.
Donc il faut aussi qu'il ait un support linguistique - je
pense là notamment à la langue des signes pour pouvoir exprimer
aussi ce qu'il voit, pour démontrer justement...
Alors justement, à partir de la base globale que l'enfant
aura acquise, on va travailler sur l'alphabétisation, c'est à
dire que l'on va passer à l'apprentissage des syllabes et des lettres.
Et l'enfant sourd, même s'il ne peut pas les prononcer peut parfaitement
comprendre comment s'opère le découpage d'un mot en syllabe et
peut parfaitement comprendre qu'il y a 26 lettres et que ces lettres
s'organisent ensemble pour former des mots, pour former des syllabes et puis
des mots, ça il peut parfaitement comprendre. Il ne sait pas quel bruit
cela fait, c'est entendu ( !), mais il peut parfaitement comprendre, vous
connaissez peut-être le fameux triangle didactique de la prise de la
lecture, c'est le sens, le signe et le son. Bien, si on enlève le son,
il reste le sens et le signe. Or, on peut attribuer un signe à un sens
et un sens à un signe. Donc, c'est comme ça qu'on procède,
et puis peu à peu, l'enfant va arriver à décomposer tout
les mots pour finir par comprendre et retenir les signes qui font
l'écrit, les 26 lettres, plus la ponctuation, plus la différence,
minuscule, majuscule, enfin, quelque chose comme ça et à partir
de là, on va lui apprendre à les recombiner et c'est par
aller-retour permanent, par découverte du sens qu'il va pouvoir
comprendre un mot, c'est à dire que une méthode de lecture
idéale pour un élève sourd, ça consiste à
lui faire découvrir un mot par le sens dans un contexte et ensuite
réutiliser ce mot dans un autre contexte.
Alors comment le réutilise-t-il, justement ? Par
l'écrit ?
Par l'écrit ! Forcément par l'écrit. Mais
alors, la langue des signes est le vecteur de communication entre le
maître et l'élève, parce qu'il faut bien qu'ils
communiquent
143
d'une manière ou d'une autre le maître et l'enfant
dans cette situation là, donc ils communiquent par le signe, par la
langue des signes je veux dire, de la même façon que quand un
maître de CP, une maîtresse de CP apprend à lire à
ses élèves, elle leur parle en français ou en anglais ou
en allemand si c'est en Angleterre ou en Allemagne. Dans ce cas-là la
langue c'est le vecteur de communication qui permet de travailler sur l'objet
d'apprentissage qui est le code écrit. Alors bien sûr qu'un enfant
sourd va devoir accéder au code écrit, simplement il va devoir
accéder au code écrit sans passer par la phonologie, du tout ou
alors, mais j'y reviendrai après... Donc s'il ne passe pas par la
phonologie, cela veut dire qu'il ne peut passer que par le sens et par les
lettres. Il apprend la dactylologie - vous savez qu'il y a 26 signes gestuels
qui correspondent aux 26 lettres, et puis il y a aussi des virgules, les
points, et quelques bricoles de ce genre qui sont utiles et nécessaires
pour les enfants et à partir de là, peu à peu, alors c'est
plus long, c'est plus long, incontestablement, si brillant soit-il un enfant
sourd peut ne pas savoir lire à 6 ans 1/2. Il faut du temps, il faut du
temps. En général, on considère qu'il est normal, normal
d'observer entre un et deux ans de décalage avec un enfant ordinaire
à intelligence égale pour un bon apprentissage de la lecture.
D'accord. Vous parliez d'une alternative...
Alors, l'alternative qui a été utilisée
pendant de très nombreuses années dans tous nos pays, enfin
surtout en France, plus encore qu'ailleurs, en Italie aussi, c'est de passer
par la voie orale. C'est à dire que comme je le disais tout à
l'heure on
« démutise » les enfants - on les oblige
à oraliser et ensuite on essaie de leur apprendre le code de
correspondance « phonème-graphème », le même que
vous et moi on a étudié, quand on étaient petits. Mais
ça ne marche pas ! Et c'est pour ça qu'il y a 75% d'échec.
Chez les enfants ordinaires il y a entre 5 et 8 % d'échec pour
l'apprentissage de la lecture, chez les enfants sourds, il y a 75 %. Pourquoi ?
Parce que quand on essaie de faire apprendre le code de correspondance «
phonème-
144
graphème », c'est à dire le « b-a ba
» dont je parlais tout à l'heure à un enfant sourd, eh bien,
même si on lui a appris à oraliser, ça ne marche pas. Dans
3 cas sur 4, ça ne marche pas. Et pour autant je ne suis pas en train de
dire qu'il faut bannir ou oublier, évacuer dans les poubelles de
l'Histoire - et j'utilise le mot poubelle à dessein parce que certains
l'utilisent - l'oralisme, parce que l'oralisme est utile pour un enfant qui en
grandissant va devoir s'insérer dans une société faite
d'entendants et dont les 9/10èmes ne maîtriseront jamais la langue
des signes et il faut donc bien qu'il communique avec ses concitoyens.
Eventuellement il peut avoir des amis entendants, souvent d'ailleurs les amis
entendants se mettent à signer mais pas tous. Et s'il est sourd
lui-même un jour il aura un travail, un emploi, je veux dire, faut pas
rêver, dans son emploi, il n'aura pas un interprète à
côté de lui, pour parler avec ses collègues ou avec son
patron. Donc il faut bien que, aussi - c'est une double charge de travail
quelque part - il faut bien qu'il apprenne aussi à communiquer avec le
monde entendant. Et la communication avec le monde entendant, qu'on le veuille
ou non aujourd'hui, la seule dont on dispose réellement c'est
l'oralisme. Mais ce que nous disons avec certitude, c'est que autant l'oralisme
est quelque chose qui est sans doute - j'allais dire presque un mal
nécessaire, c'est presque exagéré mais pas tout à
fait, mais en tout cas nécessaire parallèlement à la
langue des signes, c'est à dire que l'idéal pour un enfant c'est
d'être trilingue, c'est de connaître la langue des signes, le
français oral et de connaître le français écrit. Ca
c'est merveilleux. Il peut tout connaître. On en est loin aujourd'hui
pour tous les enfants sourds de France, on en est très loin, mais c'est
ce vers quoi on essaie d'aller. Mais en tout cas, pour l'apprentissage de
l'écrit, on sait que l'oralisme c'est pas la bonne voie. Il faut donc
développer un apprentissage fondé sur la LSF. Alors, qu'est ce
qu'on a fait pour ça ? Eh bien on a essayé de s'organiser peu
à peu à l'Education Nationale. On a fait plusieurs choses
à la fois, parce que la loi d'abord nous y oblige, formellement, la loi
a reconnu la langue des signes comme langue à part entière, donc
à partir de là elle devient une discipline scolaire
d'enseignement, point. En plus la loi va plus loin, elle dit que les
élèves concernés peuvent, doivent pouvoir recevoir un
enseignement de
145
LSF et que c'est une langue et que c'est leur langue. Donc, du
coup, il nous faut, nous, organiser un enseignement de la LSF. On est
obligé de le faire, pour les élèves concernés.
Alors qu'est-ce qu'un élève concerné ? Eh bien c'est un
élève dont les parents ont fait le choix du bilinguisme, ce que
nous appelons le bilinguisme, c'est le français LSF.
Alors, français, écrit-oral ?
Nous l'avons défini comme étant la LSF plus le
français écrit. Nous avons à priori exclu l'oral, non, pas
exclu l'oral, mais nous l'avons pas introduit dans la définition du
bilinguisme, la loi ne nous dit pas ce qu'est le bilinguisme et le Conseil
d'Etat ne s'est pas prononcé. Le Conseil d'Etat a été
interrogé là-dessus, il a considéré que ce
n'était pas une notion juridique, et qu'il n'avait pas à se
prononcer sur ce qu'était le bilinguisme. Donc, nous avons, nous
décidé à l'Education Nationale après de très
nombreux travaux avec des experts de tous ordres, nous avons
décidé que le bilinguisme c'était la LSF et le
français écrit pleinement, l'oral, c'est la formule aujourd'hui
consacrée étant donné par surcroît.
Par qui ?
Par la famille essentiellement, par les orthophonistes, par les
orthophonistes. Et donc, dans notre projet, nous n'enseignons pas l'oral
à l'école aux enfants sourds. On peut utiliser l'oral, si
l'enfant le maîtrise, mais cela n'est pas un objet d'enseignement, et
encore moins, alors là c'est clair et net, on a proscrit toute
évaluation, toute notation à l'oral. En revanche, la LSF sera
évaluée, c'est un apprentissage, comme un autre. Alors, pour
pouvoir apprendre ce qu'il faut apprendre à l'école, c'est
à dire lire écrire, compter - les maths, l'histoire, la
géo, les sciences, etc, etc., etc., il faut bien un vecteur de
communication et c'est la raison pour laquelle nous avons l'obligation
d'organiser un enseignement DE la LSF et puis l'enseignement EN LSF. Mais pour
que l'enseignement EN LSF fonctionne, c'est comme en français, il faut
un
146
enseignement de la LSF correct. Parce qu'on ne peut pas enseigner
EN à quelqu'un qui ne maîtrise pas. Aller enseigner les maths en
anglais à quelqu'un qui ne parle pas un mot d'anglais, vous ne pourrez
pas lui enseigner les maths, aussi brillant soit il en mathématiques.
C'est pareil pour la LSF. Donc, il faut, il faut conduire parallèlement
les deux. Et c'est très compliqué, bien sûr. Et nous
n'avons pas des professionnels pour ce faire. Nous avons procédé
selon une méthode qu'on pourrait presque qualifier de façon
imagée et burlesque de charge de la brigade légère, c'est
à dire qu'on a mis en place un dispositif, on a donné aux
recteurs et aux académies des obligations de résultat, on a
conçu des programmes scolaires d'enseignement de la LSF, on a
organisé une épreuve facultative au Bac pour la LSF et
bientôt d'autres examens scolaires et tout ça sans avoir le
moindre professeur pour l'enseigner. Donc autrement dit, on a donné des
objectifs, on a donné des cibles, on a donné des consignes et on
n'a pas la ressource pour le faire.
Et les professeurs CAPEJS ? Qui sont eux... enfin qui ne
relèvent pas du même ministère.
Cela ça n'a aucune importance.
Qui relèvent des Affaires sociales, est-ce que
ça peut pas justement être...
Bien sûr que ça peut nous aider !
...Un renfort pour l'Education Nationale ?
Mais bien entendu. Alors vous touchez du doigt un problème
sensible, à plusieurs titres, sensible entre les ministères,
parce que pendant très longtemps, le Ministère des Affaires
Sociales a souhaité que les professeurs CAPEJS soient
intégrés à l'Education Nationale, ce qui n'a pas
été fait. Qui n'est pas à l'ordre du jour...
147
Ca date de quand ? Est-ce que cela peut être
lié avec la loi de 1991 qui reconnaissait déjà le
bilinguisme ?
Ca date de 1978.
D'accord.
Cela date de 1978, cela date de 78, parce qu'en 78 pour des
raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, on a
décidé d'intégrer dans l'Education Nationale, tout, allez,
on va dire ce qu'on appelait dans le temps l'éducateur
spécialisé, l'éducateur technique spécialisé
qui enseignait dans des établissements médico-sociaux à
des enfants handicapés mentaux, moteurs, etc., et aveugles, non, pas
aveugles justement ; et on a laissé de côté les professeurs
qui enseignaient aux sourds et aux aveugles. Et depuis cette époque
là, plus ou moins, ils réclamaient leur intégration dans
l'Education Nationale. Ce qui ne leur a jamais été
accordé. Pour des raisons que je ne m'explique pas bien, c'était
bien avant que j'arrive, de toutes façons, ce sont des décisions
politiques qui ne me passionnent pas, nous sommes dans la sphère
administrative et puis locale, nous ne sommes pas dans le politique. Depuis la
loi de 2005, la question a été remise sur le tapis et la
réponse a toujours été la même, non ! Pas
d'intégration ! Mais c'est pas le problème majeur parce que les
professeurs CAPEJS sont des professeurs diplômés,
certifiés, qui reçoivent une vraie formation, ce sont des
enseignants, tout ce qu'il y a de compétent sur le plan
pédagogique et qui méritent autant de respect que nos professeurs
à nous. Certains d'entre eux sont spécialisés en LSF,
d'autres en LPC, d'autres ni l'un ni l'autre et puis il y a des professeurs
pour les aveugles également. Mais nous n'en parlons pas de
ceux-là. Pourquoi, pour le moment les professeurs CAPEJS n'ont pas
été plus sollicités. Alors, il y a des raisons à la
fois administratives et financières et il y a des raisons
idéologiques. Les raisons administratives, c'est le fait que, la
République Française étant ce qu'elle est, quand on est
dans un ministère et qu'on veut aller dans un autre
148
ministère, c'est la croix et la bannière. C'est
bien plus facile d'aller travailler dans le privé quand vous venez d'un
ministère que de changer de ministère. Donc les
détachements d'un ministère à l'autre sont
extrêmement compliqués, cela s'améliore un peu mais pas
beaucoup et tout ça est très filiarisé et très
verticalisé ce qui fait qu'il n'y a pas d'habitude d'avoir recours aux
professeurs CAPEJS. Ca ça peut changer, une habitude ça ce
change. Encore faut-il des impulsions. Et puis il y a des problèmes de
rémunération. En moyenne les professeurs CAPEJS sont mieux
payés que nos profs à nous. Donc il fallait aussi trouver une
solution qui n'a jamais été trouvée réellement,
soit qu'on a jamais cherchée, soit pour permettre aux professeurs CAPEJS
de garder leur rémunération, pourquoi les payer moins sous
prétexte qu'ils passeraient chez nous ou alors permettre aux
nôtres d'être payés un petit peu plus. Tout ça n'a
jamais véritablement été abordé de front,
considéré sans doute comme trop compliqué par... la
sphère politique. Et puis il y a une raison idéologique qui est
bien plus importante encore, c'est que les tenants de la LSF et certaines
associations, nombreuses en France, considèrent que les professeurs
CAPEJS sont de très mauvais signeurs et pas capables d'enseigner la LSF.
Et donc ils ne veulent pas que leurs enfants, en milieu scolaire, soient
enseignés par des professeurs CAPEJS et donc pour éviter des
incidents diplomatiques, on a évité d'y avoir recours. Mais
ça viendra un jour, ça viendra, parce que, je vous disais tout
à l'heure que nous avions organisé un système qui consiste
à dire voilà : dans toutes les académies, il y aura des
pôles ressource - c'est une des raisons de mes déplacements en
province, les plus fréquentes actuellement, je me déplace en
moyenne bien au moins une fois par semaine, les 3/4 de mes déplacements
sont autour de la LSF. Nous avons organisé des pôles ressource -
je vous donnerai la référence du texte officiel, vous allez voir
sur le B.O. (Bulletin Officiel) - je pense que vous la lirez avec
intérêt compte tenu de tout ce que je vous ai dit. Donc vous
demandez aux recteurs d'organiser des centres, des lieux, dans lesquels un
enfant qui entre à la maternelle dont les parents ont fait le choix
bilingue, uniquement, puisse se voir offrir un parcours de formation bilingue
jusqu'au Bac. Bien sûr aujourd'hui, il n'y en a pas mais un jour cela
viendra et on leur
149
dit voilà, il faut que cela soit fait de telle sorte que,
modulons les questions de transport, les enfants, les familles qui font ce
choix puissent avoir un pôle ressource à une distance raisonnable
de chez eux, c'est à dire qui leur permette, qui permette à
l'enfant de rentrer en taxi à la maison, tous les soirs. On ne souhaite
pas imposer l'internat aux familles, quoi que, en province, il y a
énormément d'enfants, vous le savez bien, et d'adolescents
notamment qui vont au collège en internat. Enfin, bon... Seulement, la
question qui s'est posée, c'est qui va assurer cet enseignement ? Pour
l'instant, on n'a pas. Et comme on n'a pas, on a dit, soit, on va embaucher par
contrat sous format contractuel, donc pour un certain temps, en CDD, des gens
qui sont eux-mêmes signeurs, des bons signeurs. Evidemment, on
préfère embaucher des entendants, alors ça plaît pas
aux associations de personnes sourdes ! Pourquoi on préfère
embaucher des entendants ? Parce que si l'on embauche quelqu'un qui est
totalement bilingue et qui peut travailler en effet avec les enfants sourds
mais qui entend comme vous et moi, eh bien il peut s'insérer plus
facilement dans une équipe de professionnels dans une école ou un
collège. Tandis que sinon il nous faut un interprète en plus.
Cela devient très compliqué. Ou alors il faut que lui-même,
il oralise, et c'est très lourd ! Nous avons des professeurs sourds,
contractuels, nous en avons dans différents établissements mais
ce sont des gens à qui on demande, comment dire, à qui on
demande, en permanence, un effort double de leurs collègues, parce qu'on
leur demande d'enseigner leur discipline, c'est à dire la LSF, bon,
ça d'accord c'est facile pour eux - on vérifie quand même
que ce sont des bons signeurs, premièrement et puis on vérifie
aussi qu'ils ont une bonne relation pédagogique, un bon sens
pédagogique, on leur donne des conseils, c'est pas le plus
compliqué, mais il faut aussi qu'ils puissent échanger avec les
parents - ils sont pas toujours signeurs, faut qu'ils puissent communiquer avec
les autres profs de l'établissement - aucun n'est signeur pratiquement,
il faut qu'ils puissent communiquer avec le chef d'établissement, avec
l'administration, donc, qu'est-ce qu'ils font, tous ceux que nous avons - on
n'en a pas beaucoup, on doit en avoir une petite dizaine, actuellement, ben
qu'est-ce qu'ils font, eh bien ils oralisent, tout
150
simplement, parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen. Ils sont
tellement contents de travailler... d'abord de travailler premièrement,
pour les sourds déjà, c'est un objectif social important en soi,
tous les sourds n'ont pas accès à l'emploi, donc
déjà travailler, de gagner leur vie. Et puis pour remplir une
mission qui évidemment est une mission qui est pour eux et surtout pour
nous, extrêmement noble, extrêmement importante qui est d'enseigner
la LSF à nos enfants sourds, donc, ils considèrent que c'est
suffisamment important pour se donner à eux-mêmes, en quelque
sorte, la peine de communiquer en oralisant avec les autres. Cela dit, il est
clair que c'est un peu plus facile quand la personne est elle-même
entendante. Mais certains nous disent attention, attention, vos entendants, si
bons soient-ils, ils ne seront jamais capables d'être aussi bons qu'un
sourd.
Qui vous dit ça ?
Les associations, certaines associations de parents d'enfants
sourds. Et certaines associations de promotion de la LSF. Parfois
animées par des sourds mais pas seulement, par des sourds et
également par des entendants. Donc, les professeurs CAPEJS, pour en
revenir à votre question sont des personnes qui un jour ou l'autre ont
vocation à venir enseigner la LSF chez nous, alors cela pose aussi des
problèmes administratifs parce que, si, en admettant, un professeur
CAPEJS veut faire, je ne sais pas, 20 heures de cours par semaine, j'en sais
rien, c'est un chiffre, admettons, si on lui demande de venir en faire 10 chez
nous, eh bien cela va faire 10 de moins qu'il va faire dans
l'établissement où il travaillait avant. Donc ça va
être très coûteux pour l'établissement, il va falloir
qu'ils embauchent d'autres professeurs, donc il va falloir qu'il y ait
compensation financière, tout cela est très compliqué
à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent cela ne s'est pas mis
en oeuvre, à cause de ces complexités là. Mais à
partir du moment où on a lancé le déclic où on a
donné le déclic de départ en disant, si vous voulez, en
disant aux Académies, il faut le faire, eh bien il va bien falloir
qu'ils trouvent un moyen et le moyen, l'un des moyens aujourd'hui les plus
simples
151
et les plus rapides, les plus efficaces, les plus performants,
c'est d'utiliser les profs CAPEJS. Donc, cela va venir, peu à peu.
Parce que, les profs CAPEJS sont déjà au
sein de l'Education Nationale, concrètement, c'est à dire qu'ils
animent aujourd'hui, ils enseignent aux côtés
d'instituteurs,...
Oh ! Pas tous, pas tous !
Il semblerait que les établissements
spécialisés, les instituts se vident aujourd'hui avec justement
la loi de 2005 qui incite à l'intégration...
C'est vrai.
... individuelle.
Alors, c'est pas tout à fait comme ça que ça
se passe, c'est à dire que les instituts aujourd'hui ont eu tendance
à externaliser leur propre formation et au lieu de les garder dans les
murs, de les implanter dans les établissements scolaires ; et c'est la
raison pour laquelle, effectivement, les professeurs CAPEJS, au quotidien,
travaillent au sein des établissements scolaires, ça c'est vrai,
c'est vrai, mais c'est pas tout à fait la même chose que les
pôles ressource qu'on a imaginés parce que, encore une fois, le
professeur CAPEJS, il enseigne l'histoire ou la géographie, son
métier c'est d'enseigner l'histoire ou la géographie, c'est pas
d'enseigner la LSF ! Et la LSF n'était pas une discipline
d'enseignement. Et il enseigne l'histoire ou la géographie, la plupart
du temps, par la voie oraliste. Rares sont les professeurs CAPEJS qui signent.
D'après nos collègues des Affaires Sociales, ce sont des gens
avec qui on travaille énormément, forcément,
nécessairement, nous, moi, dans nos bureaux, ce sont pratiquement nos
premiers partenaires, ce sont nos premiers partenaires, nos collègues
des Affaires Sociales, ils estiment, eux, parce que c'est leur domaine, et
je
152
les crois, bien entendu, qu'il n'y a pas plus de 15% des
professeurs CAPEJS qui signent réellement. Et certaines associations de
personnes sourdes considèrent que des professeurs CAPEJS qui se disent
signeurs sont de mauvais signeurs. Il est évident que ce n'est pas moi
qui vais aller trancher dans ce conflit, je ne me permettrai pas d'aller
évaluer le niveau de LSF d'un professeur quelconque de CAPEJS, je n'en
ai pas la compétence et même si j'avais la compétence, je
n'en aurais pas l'intention. Mais donc on est obligé de tenir compte de
tous ces points de vue. Donc pour le moment, ça commence tout juste mais
peu à peu cela va se développer, en quelque sorte on a dit au
système éducatif - on a fait l'inverse de ce qu'on fait toujours
- on n'a pas dit on va construire d'abord des ressources et des moyens et puis
après on va se fixer des objectifs on va mettre tout ça en place,
on a fait l'inverse. On a fait l'inverse, on a fixé des objectifs et des
dispositifs, on a dit aux gens maintenant il faut travailler sur les moyens.
Alors, justement, au sein de votre Direction, quels sont
les moyens qui sont engagés et quelles conséquences a eu cette
loi de 2005, est-ce qu'il y a eu des formations de lancées, est-ce
à vous de lancer ces formations pour les professeurs à
l'attention des élèves sourds ?
Des formations de profs ?
Oui.
Y'en a, ça se développe. Pas encore
énormément mais y'en a. Alors nous avons d'abord, des
diplômes spécialisés qui sont des diplômes il faut
bien le dire essentiellement pédagogiques, je veux dire, à
connotation principalement pédagogique dans lesquels, - peu importe
comment on appelle ces diplômes-là, on les appelle les CAPA-SH -
c'est un peu compliqué comme terminologie et le sens exact de ce sigle
n'a pas très grand intérêt pour vous, je pense, CAPA-SH
dans le 1er degré, 2 CA-SH dans le 2nd degré, enfin
peu importe, ce sont des formations un peu
153
lourdes qui durent un an, quand même, et qui sont
données à des professeurs déjà titulaires. Ce sont
des formations essentiellement pédagogiques, en quelque sorte, de
spécialisation pédagogique, mais ils reçoivent quand
même une initiation à la LSF, mais ça n'est qu'une
initiation, il y a 50 heures de cours sur un an, qu'est ce que c'est que 50
heures, ça permet tout juste à un débutant de balbutier,
d'entrer en communication, j'allais dire la communication primaire pour les
choses toutes simples : « viens ici, viens là, sors, c'est l'heure
de la récré, comment tu t'appelles, moi je m'appelle untel, enfin
bon ! Ca suffit pas pour enseigner, ça suffit pour entrer en
communication mais ça suffit pas pour enseigner. Cela dit, la plupart
des professeurs qui ont reçu cet enseignement ensuite poursuivent, c'est
à dire, qu'ils s'inscrivent à des formations que nous proposons
qui sont des formations complémentaires, de perfectionnement. On estime
qu'après 300 heures, ils peuvent devenir suffisamment bons signeurs,
pour enseigner en LSF, pas pour enseigner la LSF ! Parce que pour enseigner la
LSF. Pour enseigner en LSF, on pense que 300 heures, c'est suffisant. Et
l'expérience montre que c'est le cas. Et donc, un certain nombre de ces
professeurs-là, qui sont encore peu nombreux, je vous l'accorde, on les
compte sur la France entière, par dizaine ou par centaine, pas par
milliers, un certain nombre de ces professeurs-là donc s'inscrivent
à des formations complémentaires, au fil des années et
deviennent de bons signeurs. Pas suffisant, pour être des experts
linguistiques, mais assez pour communiquer à l'aise avec des enfants.
Alors souvent, d'ailleurs, les enfants rigolent en disant : « oui, oui -
quand on les interroge de façon anonyme et très finement, on fait
des enquêtes, il y en a eu de faites - les enfants disent « oui,
oui, ce professeur il est super sympa, mais bon, je signe mieux que lui, c'est
pas grave, on se comprend ! C'est très fréquent, c'est
très fréquent et les profs le savent et ils apprennent beaucoup
de leurs élèves, d'ailleurs, parce que finalement c'est en
forgeant qu'on devient forgeron et le prof qu'a eu le pied à
l'étrier, qu'a reçu une première formation qui lui a
permis d'entrer avec ses élèves en communication peu à peu
avec ses élèves, et il apprend avec ses élèves, il
s'améliore, parce que un adulte s'améliore plus vite qu'un
enfant, quoi qu'on dise, quoi qu'on dise, un enfant
154
a beaucoup de mémoire, mais il faut des situations
d'apprentissage très longues. Un adulte qui est motivé, il
apprend très vite. Donc peu à peu, enfin, vous le savez bien, il
s'exerce au quotidien et puis il fait des inférences, il tire des
conclusions, il établit ses propres lois, ce qu'un enfant ne sait pas
faire, et ensuite, il sait comment s'exercer, les exercices qu'il doit
généraliser, là où il doit faire des
progrès, il est son « auto-apprentisseur », si je puis dire, -
c'est pas très français ce que je viens de dire mais enfin bon,
on comprend -, ce qu'un enfant tout seul ne peut pas faire, ne peut pas faire.
Donc nos enseignants, finalement, s'améliorent. Et puis, alors là
c'est la cerise sur le gâteau, nous sommes en train de créer un
diplôme, qui n'existe pas encore, j'insiste bien sur ce point, mais le
ministre l'a annoncé pour 2010, c'est pour ça que je me permets
de le répéter qui sera le CAPES de LSF, comme il existe des CAPES
d'histoire, de sciences, de maths, de lettres, d'anglais, d'allemand, etc.,
etc. Il y aura un CAPES de LSF. La première promotion, le premier
concours sera organisé en juin 2010.
D'accord. Les sourds pourront y accéder
?
Oui. Tout à fait. Et c'est là une grande
première dont nous sommes assez fiers, c'est que pour la première
fois les sourds pourront accéder à un concours de recrutement
d'enseignants de l'Education Nationale, dans une discipline qui est la leur,
c'est à dire la LSF, mais alors attention, ce concours, il faudra pas le
donner dans une pochette surprise, c'est à dire que ça sera un
vrai concours, il y a un vrai programme à ce concours. D'abord il faudra
évidemment savoir lire et écrire le français très
correctement, sinon, on ne devient pas professeur de l'Education Nationale, si
on ne sait pas lire et écrire correctement le français. Toujours
pareil, nos associations de personnes sourdes sont scandalisées, sur ce
point, elles disent « oui, mais c'est un scandale, vous allez
défavoriser les personnes sourdes ». Je leur ai dit «
écoutez, certes, au début on va défavoriser un certain
nombre de personnes sourdes, mais premièrement, quand on est adulte
sourd, eh bien on peut se donner la peine
155
d'apprendre à lire et à écrire, c'est
possible, il y en a des quantités qui le prouvent tous les jours, donc,
on peut, je parle d'adultes, hein, et puis de toutes façons, il n'est
pas question qu'on recrute des professeurs fonctionnaires de l'Etat, qui ne
sachent pas lire ni écrire, ce serait humiliant pour eux, ce serait de
la discrimination à l'envers, ce serait une sorte de
ségrégation, c'est pas possible ! Ils ont droit à la
même carrière, à la même dignité au même
salaire que leurs collègues et donc ils ont aussi un certain nombre de
devoirs et parmi ces devoirs il y a la nécessité de savoir lire
et écrire. Mais ce sera ouvert aux personnes sourdes, ce qui est une
grande première, comme vous le savez, les sourds sont les seuls pour
l'instant qui n'ont véritablement pas accès aux concours de
recrutement de professeurs, mais ça sera aussi ouvert à d'autres,
il y aura donc un contrôle de l'aptitude à la lecture et à
l'écriture en français. Toutes les épreuves qui ont
été imaginées pour ce CAPES sont des épreuves
bilingues, français - LSF, écrit-LSF ou LSF-écrit, enfin
sous forme de vidéos, enfin il y a des choses très
compétitives qui vont être mises en place, c'est un concours qui
va coûter très cher mais cela ne fait rien et puis bien entendu,
bien entendu, il faudra faire également la preuve d'une excellente
maîtrise de la LSF, quasi-comparable à celle d'un
interprète, tout cela est codifié, on connaît parfaitement
les niveaux de langue qui sont requis, comme vous le savez il existe un
référentiel européen pour les langues qui est admis dans
toute l'Europe. On considère que le niveau C1 - vous savez, il y a A, B,
C, et puis A1, A2, A, etc., on considère que le niveau C1 est suffisant
pour devenir interprète. Interprète, c'est le summum, c'est le
top, on ne peut pas faire mieux, donc on a posé pour le CAPES, au
minimum le niveau B2, c'est-à-dire, juste au-dessus du niveau C1, donc
il y aura quelques universitaires qui interrogeront les personnes pour
s'assurer qu'elles maîtrisent la LSF à ce niveau-là. Parce
que vous savez sans doute aussi bien que moi, même parmi les sourds
signeurs il y a une énorme diversité, il y a des sourds qui ne
signent pas et il y a des sourds qui signent très mal. Ceux qui n'ont
jamais appris, qui n'ont jamais été confrontés, pas
confrontés mais mis en présence d'autres sourds, comment
l'auraient-ils appris ? Ils ne pouvaient pas, donc il y a des sourds qui ne
signent pas ou très très mal.
156
Sur le CAPES, j'aimerais juste m'assurer que j'ai bien
saisi, pour les enseignants sourds, il y aura une épreuve de lecture et
écriture ?
Oui.
Mais la lecture, vous le disiez vous-même, le
bilinguisme c'est LSF et français écrit. Comment un enfant qui a
suivi ce parcours bilingue « LSF-Français
écrit » pourra ensuite passer cette épreuve
de lecture ?
Y'a pas d'oral ! Y'a pas d'oral. On va... il y a plusieurs
façons de procéder. On ne sait pas encore, tout ça n'est
pas fixé, - il y a encore une réunion cet après
midi-même à ce sujet - il y a plusieurs façons de
procéder. On peut imaginer de donner un texte à la personne
sourde, à lire et puis ensuite on l'interroge, un examinateur LSF en
face à face l'interroge sur le texte.
D'accord, c'est de la compréhension de texte
!
Oui, la lecture et la compréhension...
D'accord.
Et ça se fera sans doute, à un moment ou à
un autre, ça se fera. On peut lui demander de nous lire un texte et de
signer. Il est enregistré en vidéo, il est enregistré en
caméra, par exemple, puis ensuite l'examinateur regarde la vidéo
et met une note. Il a le texte, évidemment, l'examinateur, et il met une
note. Simplement la lecture signée, c'est tout. On lui donne trois pages
de Victor Hugo, et voilà : « vous lisez, vous signez les trois
pages de Victor Hugo, sans aucune interprétation de votre part, vous
vous contentez de faire ça ». On va bien voir, on va bien voir ! On
va lui donner une vidéo sur laquelle, il y aura un débat ou une
conférence en LSF, alors 5 minutes, pas pour une heure, quelques minutes
et on va lui dire, maintenant « vous nous
retranscrivez tout ça par écrit, en français
écrit ». Donc il y a des manières de faire, mais jamais
d'oral, strictement « LSF-écrit/écrit-LSF ». Eh puis il
y aura des épreuves, strictement de LSF.
Donc là, on peut penser que la question de
l'enseignement de la langue des signes est résolue...
Elle sera résolue !
A l'horizon 2010...
En tout cas, elle commencera à l'être.
D'accord. Pour ce qui est de l'enseignement en langue des
signes, je reviens sur les pôles ressource, qui va constituer..., comment
vont être constitués ces pôles, qui va les animer
?
Alors, il y a plusieurs pistes, mais on a pensé à
plusieurs entrées, et c'est en combinant toutes les entrées qu'on
réglera le problème. Première entrée, les
enseignants dont je vous parlais tout à l'heure et qui ont obtenu un
diplôme spécialisé et se sont perfectionnés et qui
sont donc capables d'enseigner en LSF, d'enseigner le français
écrit, d'enseigner les maths, d'enseigner l'histoire, encore une fois je
répète, la litanie des différentes disciplines scolaires
qui existent à l'école et que les enfants sourds, comme les
autres, doivent apprendre, ni plus ni moins, mais pas moins ! On aura,
éventuellement encore pendant un certain nombre d'années parce
qu'on ne pourra pas l'éviter, des contractuels - alors bien sûr,
c'est l'emploi précaire, oui d'accord, OK, mais il y a un moment
où il faut aussi savoir ce qu'on veut !
Ils sont formés par qui ? Parce que Chambery
forment les CAPEJS.
157
Les contractuels ? Non !
158
Vous formez...
Non, on met les annonces à l'ANPE.
Donc, il faudra qu'ils soient enseignants...
Faudra d'abord qu'ils soient excellents signeurs, sourds ou pas
sourds, puis ensuite on verra avec eux, quels peuvent être
également leurs champs d'enseignements, est-ce que par ailleurs ils ont
fait des études de maths ? Pourquoi pas ! Dans ce cas-là, on va
leur dire, bien écoutez, on vous propose d'enseigner les maths, est-ce
qu'ils ont fait des études, on va dire, généralistes - ils
ont fait une licence de philo, de socio, de psycho ou Sciences Po, tiens,
pourquoi pas ? Et on leur dira, soyez professeurs des écoles et vous
enseignez tout, à l'école on enseigne tout. Le même
enseignant est généraliste. La polyvalence, ça s'appelle
pas généraliste, ça s'appelle polyvalent et on aura
différentes possibilités, mais en tout cas, on n'évitera
pas le recours à un certain nombre de contractuels et puis on
vérifiera leurs capacités pédagogiques, si au bout d'un
certain temps on s'aperçoit que ça colle vraiment pas, il faudra
bien qu'on leur explique que ça colle pas, on les accompagnera sur le
plan pédagogique et il y aura du soutien pédagogique, avec des
conseillers pédagogiques. Il y aura une troisième voie, une
troisième voie, une source d'approvisionnement, si je puis utiliser ce
vilain mot, ce sera ce qu'on va appeler le certificat complémentaire,
c'est à dire qu'on va prendre les profs actuellement en poste, à
la fois dans les écoles et dans les collèges, volontaires, bien
sûr, évidemment, cela tombe sous le sens, à la fois dans
les écoles et dans les collèges ou dans les lycées
même, on va leur dire : « voilà, vous êtes profs,
très bien, OK, vous êtes reconnus comme profs, vous avez 10, 15,
20 ans de métier derrière vous. Il se trouve que vous êtes
signeurs, déjà, parce que vous avez un papa sourd ou un enfant
sourd ou un copain sourd ou votre femme est sourde » - et on
s'aperçoit qu'il y en a beaucoup, si vous saviez le nombre de profs qui
signent en France, moi je m'imaginais pas, depuis qu'on a lancé cette
recherche, on en découvre
159
tous les jours de nouveaux dans les Académies, encore la
semaine prochaine, je vais en voir un à Besançon, à
Vesoul, exactement. Des profs, qui exercent leur métier de prof dans un
établissement depuis parfois 20 ans, même leurs collègues
ne savent pas qu'ils signent, parfois, et on découvre qu'ils savent
signer ! Parce que leur femme est sourde ou leur mari ou leur père ou
leur mère ou leur gosse, enfin. Et donc, on va les voir, on
vérifie leur capacité à signer et on leur délivre
ce qu'on appelle un certificat complémentaire. C'est à dire
qu'à partir de là, si ils sont profs de maths, - celui que je
vais voir la prochaine fois là, prochainement, il est prof de maths
justement -, ils sont profs de maths, ils deviennent profs de maths avec
certificat complémentaire en LSF. Donc, ils peuvent enseigner les maths
à tout le monde et en plus ils peuvent enseigner les maths en LSF
à des enfants sourds. Ca c'est officiel, c'est tamponné. Alors,
y'a pas une paye plus importante à la fin du mois, mais en tout cas,
ça leur permet aussi d'utiliser « un plus » dans leur exercice
professionnel et donc on va leur proposer, on va pas leur imposer, jamais !
Vous savez on n'impose pas grand chose à l'Education Nationale,
contrairement à ce qu'on pourrait croire, pratiquement jamais rien - on
va leur proposer de bien vouloir enseigner dans les pôles ressource. Et
on va comme ça constituer des équipes, soit d'enseignants qui
auront appris la langue des signes secondairement, c'est la première
filière, soit d'enseignants qu'on découvre signeurs ou qui se
disent « attendez, moi je suis signeur, ça m'intéresse
» et à qui on va donner un diplôme, on va vérifier
bien sûr, évidemment, on va leur passer un petit entretien de
trois quart d'heure avec un universitaire qu'on a sous la main, un très
bon signeur ou deux même, éventuellement, pour être
sûr qu'il y a pas de... parce que c'est vrai, en général,
que les certifications professionnelles dans les jurys, il y a toujours au
moins deux personnes, pour que ce soit plus juste, plus équitable et on
va leur donner un certificat complémentaire, on va leur dire «
dorénavant vous êtes enseignant de maths ou enseignant professeur
des écoles, mais en LSF ». On va utiliser encore des contractuels
et puis on aura nos certifiés un jour pour enseigner la LSF. Et donc,
avec tout ça on va réussir peu à peu - je ne vous dis pas
que ça sera demain matin, ça va
160
prendre des années, mais on va réussir peu à
peu à couvrir tout le spectre. Et ça commence, on a
déjà au moins une dizaine de pôles ressource qui
fonctionnent de façon empirique, artisanale, c'est du bricolage bien
souvent. Au Mans, nous avons un pôle ressource qui fonctionne
remarquablement, avec des enseignants, ils sont trois, deux professeurs des
écoles, une professeure des collèges, qui ont appris la LSF. Cela
fait des années qu'elles l'apprennent, elles continuent à se
former à se perfectionner, maintenant elles sont bonnes, mais au
départ elles l'étaient pas du tout. Alors je ne parle pas de
Toulouse et Poitiers, c'est à part...
Les professeurs des RASED ?
Rien à voir !
Et rien à voir pareil dans la filière... ce
dont vous parliez tout à l'heure...
Les RASED ?
Oui, le fait...que ce soit totalement à
côté ? C'est un secteur autre, à part
?
Tout à fait à part.
Et ces enseignants là, comme ils travaillent aussi
dans les CLIS...
Ah non ! Pas du tout !
Alors, vous pouvez m'expliquer ?
Les enseignants du RASED, ils travaillent avec les
élèves tout venant qui ont des difficultés scolaires mais
qui ne sont pas dans le champ du handicap. Alors vous allez me dire, qu'est ce
que c'est que cette difficulté scolaire qui est pas dans le champ du
handicap. Eh bien c'est un élève qui n'a pas réussi
à apprendre parce qu'il
161
a pas eu de chance ou alors il a eu un problème personnel
ou un problème familial ou il a eu un mauvais enseignant, cela arrive
aussi malheureusement, il est passé à côté de
certains apprentissages, il arrive à 7, 8, 9 ans et il ne sait pas bien
lire et il sait pas écrire. Les professeurs des RASED sont
chargés de s'occuper de ces enfants-là. C'est des enfants en
difficulté scolaire qui ne sont pas dans le champ du handicap ! Ils ont
eu des problèmes d'apprentissage, sérieux, graves, souvent, parce
que normalement si les problèmes sont pas sérieux ce sont des
petits problèmes de rien du tout, en principe cela se règle dans
la classe en théorie, faut espérer et le plus souvent c'est ce
qui se passe, mais quand ce sont des problèmes sérieux que la
maîtresse dans la classe ne peut pas écouter parce qu'elle en a 25
à faire marcher en même temps, elle ne peut pas non plus s'occuper
de tout, tout le temps, eh bien à ce moment-là on a recours aux
RASED. Mais cela n'a rien à voir avec le handicap, alors il se trouve
que parmi les profs RASED, il y en aura peut-être certains d'entre eux
qui par ailleurs seront signeurs, mais c'est une pure coïncidence, alors
ceux-là on les utilisera comme les autres, mais il n'y a pas de lien de
cause à effet entre les deux. Les CLIS, c'est autre chose, les CLIS, ce
sont des classes aujourd'hui des classes, dans lesquelles on a regroupé
des enfants présentant un type de handicap on va dire, grosso modo,
comparable, à peu près similaire. Et, les CLIS pour enfants
sourds, il y en a très très peu parce que la plupart des enfants
sourds sont dans les classes ordinaires, la plupart, de ceux qui sont à
l'école, en tout cas, ils sont dans les classes ordinaires.
Donc finalement, le système qui va être
mis en place avec les pôles ressource, c'est un système qui
n'entre pas...
... en concurrence ?
...qui ne répond pas à l'invitation
d'intégration individuelle dans le milieu ordinaire, finalement. C'est
à dire que vous allez créer...
162
...des filières.
Oui, des classes avec des enfants sourds
essentiellement...
Oui, c'est un petit peu ça, c'est un petit peu ça.
Alors c'est effectivement un reproche qu'on pourrait nous faire mais on s'est
trouvés devant, quand on a réfléchi à ça en
2006/2007, on s'est trouvés devant un choix, pas tout à fait
cornélien mais pas loin : les spécialistes de la LSF nous
disaient et les linguistes, les linguistes, des grands linguistes, notre groupe
de travail, groupe de travail que j'ai constitué à
l'époque a été placé sous le haut patronage et sous
la présidence intellectuelle d'un très grand professeur de
linguistique qui s'appelle le Professeur Encrevé, Pierre Encrevé,
qui est directeur d'études et professeur à l'Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales, professeur d'université et qui par ailleurs
est, de manière j'allais dire, sans aucun lien du tout, un des plus
grands spécialistes de la peinture contemporaine , et notamment, qui a
écrit plusieurs ouvrages sur le peintre Soulage, mais peu importe, donc
c'est lui qui est en quelque sorte la caution scientifique autour de ce groupe.
Nous nous sommes trouvés devant un choix cornélien. Les
linguistes nous disaient : la LSF est une langue et comme toute langue elle
s'acquiert dans la communication avec des pairs, p-a-i-r-s, parce que si vous
isolez un sourd tout seul dans un coin, vous pouvez faire tout ce que vous
voulez, il n'apprendra pas bien la LSF, il faut qu'il y ait des échanges
entre pairs, mais l'école, c'est pareil, contrairement à ce qu'on
pourrait croire, les enfants apprennent mieux en groupe que tout seuls, je
parle des enfants ordinaires, parce qu'il y a évidemment toute une
série d'effets, qu'on appelle les effets vicariants, le
socio-constructivisme... je vais vous épargner tout le discours savant
là-dessus, c'est pas le sujet ce matin, mais qui font que les enfants
apprennent mieux, enfin faut pas que les groupes soient trop gros, parce que
au-delà d'un certain nombre, après, il y a des effets pervers qui
font que ça annihile les apprentissages, c'est clair et contrairement
à ce que croient beaucoup de gens, les enfants apprennent mieux dans des
groupes hétérogènes que dans des groupes homogènes.
Vous savez
163
peut-être, c'est une parenthèse que je fais dans mon
discours, il y a en France 7 000 classes uniques, c'est à dire 7 000
classes dans lesquelles - primaires, hein - les enfants sont réunis dans
la même classe - je ne sais pas si vous avez vu le film « Etre et
Avoir » eh bien c'est ça, de 3-4 ans jusqu'à 12 ans, 11 ans.
Il y en a 7 000 des classes comme ça eh bien, en moyenne, les enfants
réussissent deux fois mieux dans ces classes que dans les autres. La
réussite scolaire est incomparablement meilleure dans les classes
uniques - si vous voulez que votre gosse réussisse très bien
à l'école, mettez-le en classe unique, - un aveugle en classe
unique, alors là, c'est merveilleux, non je plaisante, c'est de l'humour
noir - mais en tout cas en classe unique les enfants apprennent mieux que dans
les écoles ordinaires. Pourquoi ? A cause de
l'hétérogénéité et à cause de
l'autonomie, parce que le maître, il s'occupe évidemment des
enfants, groupes par groupes, et donc, il demande beaucoup d'autonomie aux
élèves et puis parce que les enfants apprennent beaucoup entre
eux, les uns des autres, les plus grands s'occupant des plus petits, ce qui
dans une classe homogène n'existe pas. Fin de la parenthèse.
Donc, pourquoi j'ai dit tout ça ?
Parce que je vous ai parlé de la question des
pôles ressource qui deviendraient finalement des lieux de bilinguisme
mais dans lesquels...
Je parlais de choix cornélien : donc on avait le choix,
soit de satisfaire les exigences d'un certain nombre de parents qui voulaient
que l'enseignement ait lieu en milieu ordinaire au milieu des autres, avec un
interprétariat individuel, c'était ça la demande,
c'était ça, soit de satisfaire, comment dirais-je, l'exigence
intellectuelle, théorique des linguistes qui disaient attention,
attention, attention, les enfants n'apprendront bien que s'ils sont entre
pairs. La première exigence était, de toutes façons,
irréalisable sur le plan matériel et financier on a donc voulu
combiner les deux, d'où cette idée de pôle ressource qui
sont des manières effectivement de regrouper des enfants sourds
d'âge comparable dans des petites unités, sur des petites
unités de 8 à 10 élèves, mais qui vont avoir une
part de leur enseignement,
164
notamment l'enseignement de la LSF, ça c'est clair, ce
sera regroupé, probablement aussi l'enseignement du français
écrit, très largement regroupés entre eux parce que c'est
vraiment spécifique, mais les autres enseignements pourront se faire
pour partie dans des classes ordinaires, pour partie dans des classes
ordinaires, à condition que l'on puisse régler la question de la
communication entre le maître et l'élève...
Oui, parce que sinon ce ne sont pas des enseignements en
LSF.
Non, ce ne sont pas des enseignements en LSF. Il y aura des
enseignements en LSF mais pas que, et si on veut effectivement, alors d'un
autre côté on peut imaginer l'école Jules Ferry du village
de ...« x », près de Nantes, admettons, eh bien vous avez 5
classes dans l'école, vous avez une 6ème classe dans
l'école, c'est l'école des enfants sourds. Avec le prof qui sera
le prof bilingue, enseignant la LSF et enseignant en LSF. Et à partir de
là, les enfants recevront tout leur enseignement - ils seront dans la
cour avec les autres, par imprégnation les autres enfants vont vite
commencer à discuter avec eux, ça existe déjà,
ça se fait déjà, et puis par ailleurs eh bien pour
certaines activités où une communication simple par lecture
labiale peut suffire - par exemple l'éducation physique, les arts
plastiques, eh bien les enfants iront dans les classes ordinaires avec les
autres instits pour travailler avec leurs camarades et donc il y aura des
allées et venues, mais oui, il y aura des temps de regroupement
importants dans la semaine. Alors, c'est pas un enfermement, c'est une
façon de mettre en synergie l'enseignement entre pairs.
Peut-être pour terminer la-dessus, vous parliez des
parents d'enfants sourds qui demandaient une intégration individuelle
avec un interprète individuel, enfin, un interprète pour l'enfant
? Est-ce que la demande de LSF est importante finalement, est-ce que la demande
de regroupement LSF, est que vous pensez que ce système va
répondre à une demande ? Est-ce qu'il y a eu des enquêtes
très concrètes faites sur les parents d'élèves, sur
leur demande de communication...
165
On n'est pas capable, on sait pas faire ça.
L'enquête auprès des parents d'élèves, on sait pas
faire. On sait pas comment les joindre, on sait pas où les joindre et on
sait pas comment régler les problèmes purement simplement
déontologiques d'enquête. Simplement on sait qu'il y a eu des
demandes, il y a des demandes de scolarisation individuelle, il y en a c'est
vrai, même certaines sont d'une exigence telle qu'elles font parfois un
petit peu... par exemple, je parlais d'extrémisme tout à l'heure,
c'est un mot fort, mais pas péjoratif, certains, peu nombreux, mais
certains parents d'enfants sourds exigent que leur enfant soit en milieu
ordinaire et refusent de passer par la MDPH, c'est à dire refusent
même qu'on puisse envisager que le mot handicap soit prononcé et
donc ce sont ceux-là qui veulent une scolarisation ordinaire avec un
interprète à temps plein. Mais ça, c'est purement et
simplement pas possible. D'abord, on n'en a pas et puis si on en avait
ça serait absolument hors de prix.
C'est à dire qu'ils ne veulent pas de
reconnaissance par l'intermédiaire de la MDPH, néanmoins ils
veulent quand même de la Langue des signes ?
Oui, oui parce qu'ils considèrent - c'est leur point de
vue - que l'Education Nationale a obligation de mettre en place les outils
d'accessibilité pour les personnes sourdes, les moyens
d'accessibilité et que pour eux l'interprétariat c'est un moyen
d'accessibilité, mais ils sont dans la contradiction permanente parce
que d'un autre côté, comme ils refusent même le concept de
handicap, on ne met pas en place des conditions d'accessibilité pour des
personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le concept
d'accessibilité, c'est un des fondements de la loi pour les personnes
handicapées. Cela dit, ces points de vues sont des points de vues ultra
minoritaires, il faut bien... dans la communauté sourde, ce qu'il est
convenu d'appeler la communauté sourde ce sont des points de vues ultra
minoritaires, mais qui existent, qui existent et qui ont un certain
écho. L'immense majorité des parents souhaite d'abord que leur
enfant apprenne bien et apprenne de la façon la plus complète
possible. Mais donc, on a fait le choix de ne pas aller vers une mise en
166
interprétariat systématique de tout enfant sourd
où qu'il soit, pour des raisons matérielles et aussi pour des
raisons linguistiques. D'où la notion de pôle ressource,
d'où la notion de regroupement, mais de regroupement non
ségrégatif, parce que dans une école, encore une fois,
quand vous avez une classe bilingue avec un maître bilingue, même
si l'oral est très peu ou pas utilisé, les enfants sont dans
l'école avec les autres. Alors, on pourrait nous dire c'est une forme de
CLIS oui, ça s'appelle pas comme ça mais quelque part ça
ressemble à une sorte de CLIS, un regroupement d'élèves
qui ont une situation particulière, des besoins particuliers, qui
nécessitent des moyens particuliers avec des enseignants
spécialisés. Alors il se trouve qu'il y a des enseignants
spécialisés dans la communication, ça pourrait être
dans autre chose, oui, ça fonctionne comme une sorte de CLIS,
effectivement.
Mais, finalement, ces réactions de parents,
même si elles sont minoritaires démontrent en fait, c'est le
reflet du débat...
Bien sûr !
... de la première question, à savoir
est-ce qu'un sourd a essentiellement un problème de communication et de
langue ou alors est-ce qu'on peut le mettre dans la catégorie des
malades ou de personnes handicapées ?
Mais bien sûr, c'est pour ça que cet
extrémisme, d'abord, moi je ne le juge pas, je ne me sens pas le droit
et je n'ai pas la compétence pour le juger, mais surtout je ne le
condamne pas, parce qu'il est le fruit de décennies d'ostracisme,
d'exclusion. Et même on pourrait dire de maltraitance. Donc, il arrive un
moment où il y a eu des personnes sourdes qui ont dit «
Halte-là ! On se révolte », et c'est légitime et la
révolte, cela donne parfois des positions extrémistes, c'est
comme ça, mais c'est aussi de ça que naissent... c'est aussi
ça qui fait bouger les lignes, c'est aussi ça qui fait bouger les
lignes, alors après, il faut construire, après ça suffit
plus, après, il faut construire, il faut élaborer, il faut tenir
compte des autres, il faut tenir compte de tout
167
le reste, il faut tenir compte des moyens qu'on a, il faut
construire, nous, notre travail, c'est de construire, évidemment.
Pourriez-vous me dire ce que c'est être Sourd ?
C'est être malade, handicapé, c'est appartenir à une
minorité culturelle, linguistique ?
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