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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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A- De l'unité républicaine à l'unification linguistique.

C'est en 1792 que la Convention va décréter que la République française est une et indivisible. Le passage de la société divisée, celle de l'Ancien Régime, à une nation qui se veut « une », n'est possible que par un changement de paradigme. Pour pallier aux inégalités naturelles, l'égalité des droits est proclamée en 1789. Cependant, ce projet universaliste fera abstraction des différences, des particularismes. Les individus ne seront pas intégrés mais inclus à la nation. Pour soutenir cette entreprise, une politique d'unification linguistique verra le jour, pour faire en sorte que le français s'impose sur l'ensemble du territoire national.

10 Article Premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

11 Idem, article 3.

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1/ L'égalité ou « la passion de l'inclusion 12».

La révolution de 1789 est une révolution individualiste, en ce sens qu'elle accorde un statut juridique à l'homme, lequel se voit doter d'un nouveau droit, celui de participer à l'élaboration de la norme, par l'intermédiaire de ses représentants. Mais ce que la loi va exprimer, ça n'est pas une volonté propre à des catégories d'individus ou à des individus singuliers : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous (...) 13». Ainsi en 1789, les politiques ont-ils pensé un système politique total, au nom de l'unité de la nation, sur la base d'un postulat : l'égalité des hommes. Les lois sont alors conformées à l'expression majoritaire et, par avance, toute pensée minoritaire est discréditée. Déjà en 1762, Jean-Jacques Rousseau, le théoricien de la République, croit fermement à l'égalité des hommes et préconise l'égalité en droit contre les inégalités naturelles. Dans son Contrat Social, il dépeint un citoyen obéissant au pouvoir politique et soumis à la volonté générale, parce qu'il est persuadé que l'idée majoritaire est sa propre volonté. En effet, l'homme de la société des égaux ne se pense plus que comme la partie d'un tout. Cette aliénation de l'homme, qui se dessaisit de sa liberté individuelle pour la donner à un tout repose sur l'intériorisation d'une idéologie, posée comme réelle et universelle. Cette idéologie, c'est celle de l'Etat, qui diffuse ses nouvelles valeurs par le droit. De cette construction juridique nait ce que Pierre Rosenvallon nomme « l'âge de

l'abstraction 14». La réalité est mutilée par l'identification totale à des idées, abstraites. L'homme n'est plus qu'un « sujet collectif 15», le peuple est une masse, une entité aux contours obscurs : « Dans la démocratie, le peuple n'a plus de forme : il perd toute densité corporelle et devient positivement nombre, c'est-à-dire force composée d'égaux,

12 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, PV.

13 Article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

14 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998.

15 Idem P13.

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d'individualités purement équivalentes sous le règne de la loi 16». La loi Le Chapelier de 1791 en est l'expression concrète. Elle consacre l'intérêt particulier et l'intérêt général. Entre l'individu et l'Etat, il n'y a pas de place pour les intérêts collectifs, les rapports sociaux. L'Etat ne devient alors qu'une agrégation d'individus et absorbe, par la centralisation administrative, toute dimension collective. Marcel Gauchet et Gladys Swain en concluent à une « philosophie de la domination » : « le fondement du social est en haut, du côté du pouvoir et des forces de réunion et de coercition, la cohésion du corps social est ontologiquement première, l'inclusion de l'individu dans le collectif et sa subordination sont natives 17». Effectivement, l'homme de 1789 n'est plus membre d'une catégorie particulière de la société française. L'homme de 1789 est un individu isolé, indépendant, incorporé à la nation française par un Contrat Social qui le modèle en citoyen. En définitive, la Révolution française a transformé en profondeur la place de l'homme dans la société. Les différences, les particularismes sont fondues dans une société homogène. La Révolution donne naissance à société de semblables. Mais pour autant, la réalité sociale est naturellement hétérogène. La multitude de langues pratiquées en France manifeste cette diversité. Pour conformer l'homme à leur image, les hommes de 1789 vont alors tenter d'imposer l'unité nationale par l'unité linguistique. La langue devient un symbole de la République, une et indivisible : « pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le méchanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage 18». La politique de la langue et la construction de la nation vont de pair.

2/ La politique d'unification linguistique.

La politique de la langue menée par les Constituants n'avait de révolutionnaire que son nom. Déjà sous l'Ancien Régime, l'ordonnance Villers-Cotterêts de 1539 visait à

16 Idem P14.

17 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, P388.

18 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, Le rapport Grégoire, P341.

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l'extension de la langue de l'Etat, contre le latin et les langues régionales. S'en suivront des Edits, à partir de la deuxième moitié du XVIIème siècle qui imposeront l'emploi exclusif de la langue française dans la perspective de le faire entendre des sujets du royaume et d'« offrir au roi l'hommage de ses sujets 19». Une même volonté centralisatrice et unificatrice de l'Etat français conduira les révolutionnaires à poursuivre cette politique de la langue. Comment le citoyen peut-il s'identifier à la Révolution s'il ne comprend pas les lois votées en son nom ? L'idée première de la traduction des décrets dans les langues du peuple, décidée le 14 janvier 1790, sera abandonnée en 179320. Dans l'esprit des révolutionnaires, les pays à idiome sont le lieu de la contre-révolution. Dès 1790, l'abbé Grégoire avait élaboré un questionnaire destiné aux gens de la campagne pour préparer sa politique de destruction des langues régionales et mesurer le niveau de diffusion de la pensée révolutionnaire hors de Paris. La séparation récurrente, dans le discours de Grégoire, entre « eux » et « nous » démontre sans ambiguïté que la politique linguistique initiée par Grégoire vise à l'unification d'une France divisée21. Mais l'ouvrage collectif de Michel De Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel nous en dit plus sur l'idéologie révolutionnaire. Les réponses apportées au questionnaire de Grégoire feront l'objet d'analyses épistémologiques, qui ancreront l'entreprise révolutionnaire dans l'histoire, celle du mythe biblique de Babel, celle d'une pluralité linguistique fautive, qu'il faut réorganiser, rationaliser et simplifier pour que la langue devienne à nouveau universelle. L'outil de la rationalisation, ce sera la science. La science au service du politique. La méthode cartésienne de recherche de la vérité par la science avait déjà bouleversé le XVIIème siècle. C'est aussi à la même époque, en 1635, que sera créée l'Académie française, chargée de clarifier la langue française. Les Encyclopédistes s'en feront les héritiers. Ils travailleront à reconstruire une langue primitive, originelle, naturelle dont s'empareront les acteurs de 1789 pour concrétiser leur

19 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P910.

20 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P13.

21 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P56.

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projet universaliste. Ainsi, le Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française remis par l'abbé Grégoire en 1794 a-t-il une double ambition. Tout d'abord, celle de redessiner les contours d'une langue pure, parfaite, simple, originelle et unique, pour l'imposer à l'humanité entière. Et parallèlement, celle d'unifier le pays en instrumentalisant la langue, en imposant le français au nom de l'unité de la Nation. En conséquence, les gens de campagne, les « sauvages22 », vont se voir interdire l'usage de leurs langues, qualifiées de

« pathologie sociale23». Ces langues, essentiellement véhiculées par l'oral, ne sont pas intégrables au système de parenté imaginé. Désormais, « la République est une langue, et la langue une République 24».

Dans cette période fusionnelle, la France universaliste et civilisatrice va accorder une place aux signes, alors que l'oralisme, l'apprentissage oral de la langue nationale, est défendu ailleurs en Europe. Les sourds-muets feraient-ils exception à la politique linguistique révolutionnaire ? Se verraient-ils accorder le droit à l'usage de leur langue naturelle dans un pays en proie à l'unification linguistique ? Les signes ont été portés à la connaissance des politiques par un ecclésiastique, l'abbé de l'Epée, un entendant. Sa découverte des signes est née d'une rencontre avec deux soeurs jumelles sourdes, en 1760. Il entreprend alors de développer ce moyen de communication pour éduquer les sourds-muets et les socialiser. L'abbé de l'Epée est un homme en avance sur son temps. Son projet sera repris et intégré au nouvel ordre révolutionnaire.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite