La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?par Magali Leske Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009 |
CHAPITRE 2 : LES RESISTANCES AU CHANGEMENT.Après l'alternance politique de 1981, le Ministère de l'Education Nationale annonce l'intégration individuelle des enfants handicapés et la mise en place d'un traitement différencié pour ces élèves : « Ce n'est qu'à compter du 29 janvier 1982 et la première circulaire sur l'intégration individuelle des élèves handicapés que le handicap devient un vecteur d'individualisation. De ce point de vue la décennie 1980-1990 présente une période décisive en ce qu'elle met en place graduellement une prise en compte des besoins différenciés 175 Voir l'entretien avec Daniel Corre, Inspecteur à la DGAS. 176 Voir l'entretien avec Pierre-François Gachet, Chef du bureau de l'adaptation scolaire à la DGES. 60 des élèves qui trouve un débouché avec la loi de 1989 qui place l'élève au centre du système et l'intégration scolaire des élèves handicapés au rang de ses missions 177». Dans les années 1980, le paradigme de l'intégration va tenter de se substituer à celui de l'inclusion. Désormais, l'école doit s'adapter aux élèves et tenir compte de leurs différences. Pour autant, la circulaire conjointe du Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 est toujours en vigueur. Elle maintient les élèves sourds dans l'éducation spécialisée. La langue des signes va donc rester cantonnée aux Instituts. C'est à l'heure de la troisième cohabitation, en 1998, que le rapport de Dominique Gillot au Premier Ministre, Lionel Jospin, préconise la mise en oeuvre de l'intégration scolaire pour les enfants sourds. La députée socialiste propose alors de « mettre le jeune sourd au coeur du dispositif de scolarisation, en tenant compte de ses réelles capacités et en répondant à la diversité de ses besoins spécifiques 178». Dominique Gillot deviendra Secrétaire d'Etat aux Personnes Handicapées en 2001, au sein du Ministère délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, conduit par Ségolène Royal. La ministre, qui était préalablement en charge de l'enseignement scolaire, avait lancé le plan Handiscol en 1999, pour l'intégration scolaire. L'intégration scolaire est aussi une démarche soutenue par Jack Lang, ministre de l'Education Nationale. Il déclare que « depuis 1991, il revient naturellement aux parents de choisir le mode de communication pour leur enfant sourd ou malentendant. Il revient à la puissance publique la responsabilité d'organiser l'enseignement en conséquence 179». Le ministre ira même plus loin, en déclarant implicitement que la langue des signes est une langue à part entière. En effet, c'est Jack Lang qui lance le projet de créer un référentiel, à partir du cadre de référence conçu pour les langues par le Conseil de l'Europe, en vue de créer des diplômes d'enseignement de et en langue des signes. Mais ce processus d'intégration scolaire va être stoppé, après les élections présidentielles et 177 Philippe Mazereau, Evaluer les aptitudes des élèves, définir les handicaps : les différents régimes de l'adaptation scolaire, dans La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, avril 2007, P39. 178 Rapport de Dominique GILLOT au Premier Ministre, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P90. 179 Allocution de Jack Lang le 8 novembre 2000 à Paris en clôture de la réunion nationale des Inspecteurs académiques et des Directeurs départementaux de l'Education Nationale et des Affaires Sanitaires et Sociales. www.education.gouv.fr. 61 législatives de 2002. A ce jour, la langue des signes n'a toujours pas pénétré l'école de la République. En outre, dans le cadre de la politique de santé publique, l'Etat français va à nouveau recourir à la médecine, pour soigner les Sourds. I- L'ECOLE, LE LIEU DE L'INCLUSION.La loi du 11 février 2005, dans son article 75, reconnait explicitement la langue des signes comme une langue à part entière. Le choix entre une éducation bilingue (langue des signes-français) et une éducation oraliste, c'est-à-dire un enseignement dispensé uniquement en langue française, a été concédé dans les conditions décrites précédemment et est formulé à l'article 19-V. L'Education Nationale se trouve alors face à un dilemme. Tout d'abord parce qu'il est inscrit dans l'article 2 de la Constitution française que « la langue de la République est le français » et que cet article a été érigé au rang des principes majeurs de la République en 1992. Ensuite parce qu'en avril 2005, une loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'Ecole est votée et rappelle que « la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République 180». Aussi, l'école doit garantir à chaque élève l'acquisition d'un socle commun qui comprend en premier lieu la maîtrise de la langue française181. Admettre sur l'ensemble du territoire national un enseignement dans une langue qui n'est ni le français, ni une langue régionale182 remet en cause le principe constitutionnel. Selon le linguiste Laurent Sagart, directeur de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, « en France, on a une peur panique du bilinguisme 183» car le bilinguisme suppose l'existence de minorités au sein de la nation. Or, la France, comme tout Etat nation, a le souci de l'unité, de l'unification. L'individu doit être incorporé au sujet collectif. C'est pourquoi d'ailleurs la France a 180 Article 2 de la loi du 23 avril 2005. 181 Article 9 de la loi du 23 avril 2005. 182 L'article 20 de la loi du 23 avril 2005 prévoit un enseignement de langues et cultures régionales sur les territoires « où ces langues sont en usage ». 183 Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene, Cécile Lestienne, La plus belle histoire du langage, 2008, P123. 62 émis une réserve à l'article 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques, entré en vigueur en 1976, sur la base de l'article 2 de la Constitution, car cet article reconnait le droit aux minorités linguistiques de pratiquer leur propre langue. De même, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires adoptée en 1992 par le Conseil de l'Europe n'a pas été ratifiée par la France, au motif qu'elle est contraire à la Constitution française parce qu'elle octroie des droits collectifs à des groupes particuliers et parce qu'elle favorise la pratique de langues autre que le français dans la vie publique184. Dans ce contexte, c'est le Ministère de l'Education Nationale qui va être chargé d'interpréter l'article 75 de la loi de 2005 sur le bilinguisme, c'est-à-dire d'intégrer une langue française minoritaire dans le système éducatif français, et ce, sur l'ensemble du territoire. Le législateur a été prudent, la loi n'impose rien, et le Conseil d'Etat n'a pas souhaité se prononcer, considérant que la définition du bilinguisme ne relève pas d'une notion juridique185. Pour inclure il faut réparer le handicap. |
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