B- Une loi pour l'inclusion sociale.
« Aujourd'hui, dans pratiquement tout discours public
qui porte sur les politiques de protection sociale, il semble difficile de
trouver un rejet explicite de l'égalité de traitement,
134 Danièle Lochak, dans La France invisible,
ouvrage dirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade
Lindgaard, Paris, 2006, P.499.
49
d'accès, des droits ou des chances.
L'égalité est devenue une valeur qui n'admet pas la contradiction
: d'une certaine manière, c'est une offre communicationnelle que l'on ne
saurait refuser 135». En 2005, l'égalité des
droits et des chances est un thème récurrent au sein de l'Union
européenne136. Il est aux antipodes de l'exclusion et repose
sur le principe de non-discrimination. La loi de 2005 s'en fait écho,
dans son intitulé et dans les solutions proposées pour inclure le
citoyen handicapé à la société française. Le
législateur remédie à la fracture sociale, par
les notions d'accessibilité ou de compensation du handicap. En outre, il
va s'attacher à rénover le vocabulaire en usage dans le secteur
du handicap.
1/ Du Welfare State au Workfare State.
L'Etat Providence, construit au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, est en phase de déconstruction. Le projet
présenté au Sénat le 13 mai 2003 propose une loi
« rénovant la politique de compensation du handicap
»137 mais cette loi ne se contentera pas d'une
rénovation. Le grand chantier de 2005 a bâti une
législation fondée sur la responsabilité individuelle.
Pour clore l'exposé des motifs du projet de 2003, Jean-François
Mattéi, Ministre de la santé, de la famille et des personnes
handicapées, déclare, au nom de Jean-Pierre Raffarin, alors
premier Ministre, que ce projet de loi entend valoriser les capacités,
les potentialités et compenser les manques des personnes
handicapées. L'Etat français ne conçoit plus de
redistribuer la richesse nationale en fonction des besoins des personnes
handicapées. Il leur offre des opportunités, pour les rendre
actrices de leur vie. Désormais, à elles de faire des efforts et
de mériter les prestations octroyées. L'égalité des
chances viendrait ainsi corriger les écarts entre les citoyens. Mais ici
il n'est nullement question de faire des
135 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, La notion
d'égalité des chances dans la communication politique, dans
Politiques en faveur des personnes handicapées, Grandes tendances dans
quelques pays européens, dans la Revue française des
Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P36.
136 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche, Les
politiques en faveur des personnes handicapées dans cinq pays
européens. Grandes tendances, dans la Revue française des
Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P12.
137 Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mai
2003, N°287.
50
différences en faveur d'un groupe
désavantagé. Il s'agit de compenser le handicap, en fonction de
critères pré-déterminés par l'administration. Pour
les Sourds, la loi prévoit une aide humaine de 30 heures par mois pour
leurs besoins de communication, c'est-à-dire pour financer des
interprètes138. Mais la loi n'envisage ni le financement des
cours de langue des signes pour le Sourd, ni pour sa famille139.
Pourtant, 90% des Sourds naissent de parents entendants, lesquels a priori ne
maîtrisent pas la langue des signes140. Les parents qui font
le choix du bilinguisme doivent donc financer leur formation et prendre sur
leur temps personnel pour se former. Cette politique publique fondée sur
l'égalité des chances permet en définitive au
système politique de s'exonérer de toute responsabilité.
L'objectif à atteindre n'est pas la résolution d'un
problème politique, mais d'apporter au public visé des moyens que
le politique juge utile de lui accorder. Ce que les sociologues Wendelin Reich
et Dimitris Michailakis résument par : « cette logique permet
au système politique de gérer plus efficacement le flux toujours
croissant des demandes de compensation - et ce sans rejeter
systématiquement les demandes d'égalité, mais plutôt
en en limitant et en en contrôlant la portée légitime
141». Avant la France, d'autres pays européens
comme l'Espagne ou la Suède ont mené une politique du handicap
menée sur la non-discrimination, sur l'égalité des
chances. Trois expertes ont démontré que ce changement de
paradigme a conduit à réduire le nombre de pensionnés
d'invalidité par la restriction des prestations (aides
individualisées), à responsabiliser les employeurs (politique des
quotas), la famille, et les collectivités locales, ce dont nous
traiterons ultérieurement. Enfin, d'une manière
générale, l'accent est mis sur les personnes les plus lourdement
handicapées142, ce qui est le cas en France avec les
dispositifs d'accompagnement à
138 Décret N°2005-1591 du 19/12/2005, article
D245-9.
139 L'article 12 de la loi de 2005 prévoit des aides
humaines, techniques, animalières, l'aménagement du logement et
des aides exceptionnelles.
140 Avis N°103 du Comité Consultatif National
d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre
2007, P7.
141 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, op.cité,
P37.
142 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche,
op.cité, P11-33.
51
l'école par exemple143. Pour accompagner ce
changement de paradigme, le législateur s'est attaché enfin
à rénover le vocabulaire en vigueur dans le secteur du
handicap.
2/ Une rénovation du paradigme de
l'inclusion.
Le rapporteur de la loi de 2005 pour l'Assemblée
Nationale, Jean-François Chossy, a fait du vocabulaire son cheval de
bataille, que ce soit lors des travaux parlementaires, dans son rapport de 2005
ou lors d'une contribution dans une revue spécialisée, la
revue Reliance. Monsieur Chossy nous invite à « encore
et toujours changer les mots, à défaut de changer le monde, pour
faire bouger les mentalités 144». En
conséquence, il suggère de remplacer les formules
intégration scolaire par scolarisation, prise en charge par
accompagnement, insertion professionnelle par implication sociale145
etc... Il peut être tentant de penser que cette police de la langue ne
vise qu'à enjoliver la réalité, la même qui
transforme un balayeur en technicien de surface par exemple. La
rénovation du vocabulaire est pourtant symbolique. Elle contribue
à ancrer dans les représentations collectives le nouveau
paradigme qui traverse la politique du handicap. Scolarisation pour inclusion,
accompagnement, implication sociale pour responsabilité individuelle et
égalité des chances. Mais le regard sur les personnes
handicapées a-t-il véritablement changé ? Il n'a pas
été suggéré de supprimer le terme invalide par
exemple. En effet, la carte d'invalidité est toujours inscrite dans la
loi. Et elle est toujours accordée en fonction d'un taux
d'incapacité146. Il n'est pas prévu non plus de
renommer le Comité technique national d'études et de recherches
sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI). La philosophie des
Lumières investit aujourd'hui encore le discours politico-administratif.
Nous pouvons nous
143 Laurent Wauquiez, porte-parole du gouvernement,
déclarait le 30 octobre dernier sur le site du premier Ministre que les
Aides à la Vie Scolaire (AVS) sont réservés «
à ceux qui en ont vraiment besoin ».
144 Jean-François Chossy, Une lecture critique de
la loi du 11 février 2005, dans la revue Reliance, Mars
2007, P54.
145 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P11.
146 Article 65 de la loi de 2005.
52
arrêter un instant sur les propos d'un représentant
de la Direction Interministérielle aux Personnes Handicapées, au
sujet de l'éducation des enfants handicapés. C'était en
2007 : « certes, l'éducation est au coeur de la pensée
des Lumières et de sa confiance dans la perfectibilité de
l'homme. Mais c'est seulement à notre époque après des
évolutions radicales et parfois dramatiques de la démocratie que
ce principe a pris tout son sens. Tout être humain est éducable
(...) 147».
A l'heure où la droite, nationaliste, relance le
débat sur l'identité nationale et républicaine, la
politique publique en direction des personnes handicapées est elle aussi
envisagée sous l'angle de l'inclusion sociale, de l'uniformisation, de
l'unité nationale. Nous assistons donc au retour du paradigme de
l'inclusion. Voici une définition extrême de la solidarité,
appliquée aux personnes handicapées, par le Front national:
« La démarche du FN est de respecter l'étymologie du
terme « solidarité », qui provient du latin « in solidum
», soit « pour le tout », pour toute la nation et non pas pour
dresser les catégories les unes contres les autres en les
communautarisant 148». Toutefois, la loi va
générer un profond changement au sein des Institutions
chargées de la mise en oeuvre de la politique du handicap.
Associé au fait que la loi ne prévoit pas de date d'entrée
en vigueur de ses articles, la mise en oeuvre de la loi de 2005 va
révéler une inertie-politico-administrative.
|