Paragraphe II : Des mesures techniques de protection
inefficaces
65. Les mesures techniques ont suscité l'on s'en doute
des espoirs conséquents chez les ayants-droits. La capacité de
protection des oeuvres par des mesures y étant directement liées
laissait penser qu'il s'agirait d'un obstacle technique insurmontable pour les
éventuels contrefacteurs. Malheureusement pour eux, ces mesures ont fait
l'objet de vives critiques ayant nuit pas tant aux utilisateurs qu'aux
ayants-droits. Par ailleurs, ces mesures techniques, coûteuses à
introduire produisent un effet anti-commercial65, effet ayant
causé leur abandon.
A] Des mesures sanctionnées pour leurs atteintes
aux droits des utilisateurs
66. Schématiquement, les mesures techniques de
protection permettent d'apposer un verrou sur l'utilisation faite d'une oeuvre
par le titulaire de son support. Cette capacité est
particulièrement critiquable, entrant en conflit frontalier avec l'usage
normal du propriétaire et notamment son « droit » à la
copie privée. L'auteur ne devrait en principe pas pouvoir interdire
cette possibilité. Néanmoins, la jurisprudence a choisir de faire
prévaloir ces mesures sur l'exception de copie privée qui,
n'étant pas un droit, ne
65 Laure Marino, 2013, Droit de la
propriété intellectuelle Thémis Collection Droit
p.68
24
saurait être opposée à titre principale
à l'encontre de mesures techniques de protection, mais seulement en
défense dans le cadre d'une action en
contrefaçon66.
67. En outre, l'article L331-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle précise que « les
mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en
oeuvre effective de l'interopérabilité ».
C'est-à-dire que de telles mesures ne peuvent en principe
empêcher à l'acquéreur d'un contenu de le lire sur
n'importe quel lecteur, ou logiciel. Mais la réalité fut pourtant
toute autre. Des DVD et CD soumis à des restrictions de lecteur ont
alors empêché leur acquéreur d'accéder à leur
contenu, n'ayant pas de matériel compatible du fait de ces mesures. De
telles mesures ont pu ainsi laisser les consommateurs insatisfaits,
mécontents et perplexes : Chaque mesure technique ayant ses
spécificités, un CD pouvait être lu sur un lecteur alors
qu'un autre, en apparence identique, acheté chez le même
distributeur, était illisible. On n'hésite donc pas à
parler de réelle atteinte aux droits des consommateurs,
hiérarchiquement soumis face à la protection de la
propriété intellectuelle67.
68. Par ailleurs s'est posée la question de l'atteinte
à la vie privée des utilisateurs par de telles mesures. Mises en
place dans un but d'anti-piratage ou dans une logique marketing, elles peuvent
parfois permettre la transmission d'information en provenance d'un ordinateur,
sur les fichiers lus, les sites visités, les heures de connexion, sans
l'autorisation de cet utilisateur68. Par exemple, en novembre 2005,
Sony BMG a introduit une nouvelle mesure, installant sur l'ordinateur de
l'utilisateur un programme spécifique masquant l'activité de la
protection anti-copie, mais qui par la même masquait la présence
de certains virus...69
69. C'est à vrai dire le fondement même de ces
mesures qui est remis en cause. Ces restrictions sont basées en effet
sur l'idée que le partage, même privée et pourtant licite,
menacerait les industries culturelles, alors que de nombreuses études
ont pu démontrer que ces industries peuvent tendre vers de nouvelles
formes de rentabilité du fait du numérique, et que ceux qui
partagent le plus de contenu sont aussi ceux qui consomment et achètent
le plus de biens culturels70.
70. En réponse à ces différentes
problématiques, l'Autorité de régulation des mesures
techniques a été créées par la Loi DADVSI du 01
août 2006. Elle a pour objectif principal
l'interopérabilité des mesures techniques et le respect de
l'exception de copie privée et le contrôle du respect par ces
outils techniques des différentes prescriptions légales et
règlementaires. Cette entité a par la suite été
absorbée par la Haute Autorité mise en place par la loi Hadopi 1
du 29 décembre 2009.
66 Affaire Mullholand Drive précitée
67 E. Georgakakis, op. cit. p.37
68 J. Bissonnette, op. cit. p. 21
69 Curien et Moreau, 2007, L'industrie du disque,
Coll. Repères, éd. La Découverte p.69
70 Gurry F. « Blue Sky Conference : l'avenir
du droit d'auteur », OMPI, Sydney 25/02/2011
25
B] L'abandon des mesures techniques de protection par
leurs instigateurs
71. Les mesures techniques de protection ont progressivement
été abandonnées par les ayants-droits, et surtout ceux qui
avaient alors été à l'initiative de leur
législation. Ces mesures apparaissent en effet inefficaces face au
téléchargement pair-a-pair de copies contrefaites et non soumises
à ces verrous. Les accords Olivennes du 23 Novembre 2007 furent
d'ailleurs signés entre le gouvernement et la filière musicale,
afin que cette dernière retire de son catalogue français toute
mesure technique71.
72. Apple anticipa alors dès fin 2007 en
renonçant à l'installation future de mesures techniques de
protection sur les fichiers présents sur son site en ligne
ITunes72. Universal Music France supprima quant à elle, en
2008 toutes les mesures techniques présentes dans son
catalogue73, suivie ensuite par Sony BMG, EMI, et Warner Music
Group, avant qu'Apple supprime la quasi-totalité des mesures techniques
de son catalogue. Ainsi, Apple, comme tous les grands groupes, offre
désormais des services musiques absouts de toute mesure technique.
73. Les mesures techniques de protection se sont ainsi
révéler être un véritable échec pour la
protection des oeuvres musicales, devenues véritablement
contre-productives et dissuasives pour les consommateurs, non au stade de
l'acte illicite, mais au moment de l'acte même d'acquisition. Toutefois,
celles-ci persistent sur les jeux vidéo et DVD où elle semble
faire bien moins de vagues74.
Section 2 : La réponse apportée par l'offre
légale
74. Le meilleur moyen de lutter contre une activité
illicite reste de la frapper au portefeuille en lui faisant perdre des clients.
Multiplier les offres légales à bas prix, les forfaits mensuels
ou annuels illimités pour l'écoute de musiques, sont tant
d'alternatives qui, liées à une pédagogie
enclenchée par l'Hadopi, permettraient de réduire les atteintes
de manière efficace. A son époque, Napster permettait aux
internautes de télécharger des titres à volonté
sans aucune considération aucune des droits d'auteurs. Dès 2001,
après la fermeture de la plateforme, les majors ont mis en place des
plateformes légales de téléchargement : Musicnet pour Time
Warner, AOL et EMI, ou Pressplay pour Sony et Vivendi75. Il
s'agissait donc d'apporter aux utilisateurs une offre licite. Mais cette
pratique n'est devenu légale que lorsque le législateur s'y est
penché, et c'est la loi Création et Internet du 12 juin 2009,
dite Hadopi I qui en a précisé les contours. Cette offre,
quantitativement satisfaisante, reste toutefois paradoxalement jeune et non
finie. Pour
71 C. Lamboni et C. Sénéchal, 2012 «
Naviguer jusqu'à l'épuisement ? ». Revue de Droit :
Université de Sherbrooke Vol. 42 issu 3 p.648
72 2008, « Musique sans DRM : Apple discute avec
Universal, Sony et Warner » [en ligne]
http://www.zdnet.fr/actualites/musique-sans-drm-apple-discute-avec-universal-sony-et-warner-39384982.htm
(consulté le 07/06/2014)
73 « Universal Music devance la loi anti-piratage » Le
Figaro 28/10/2008
74 C. Lamboni et C. Sénéchal, op. cit.
p.651
75 A. Bertrand, op. cit. p.19
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comprendre l'étendue concrète de l'offre
légale, il convient d'en étudier son cadre juridique (Paragraphe
I) et ses imperfections (Paragraphe II).
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