Année Université 2013-2014
Université Jean Moulin Lyon III - Faculté
de Droit
Master II Droit des Affaires, Mention Droit des Entreprises,
Spécialité Droit de la Propriété
Intellectuelle
L'auteur-interprète à l'ère
numérique : Applications et évolutions
Mémoire soutenu par Charles PAGE
sous la direction de
Monsieur Nicolas BOUCHE, Directeur du Master Droit de la
Propriété Intellectuelle Madame Anne-Emmanuelle KHAN, Directrice
du Mémoire
Remerciements
Je tiens à remercier avant tout,
Monsieur le Maître de conférences Nicolas Bouche,
pour m'avoir permis d'intégrer ce Master II d'étude de la
Propriété Intellectuelle et son plaisir non dissimulé de
transmettre son savoir à ses étudiants. Madame Anne-Emmanuelle
Khan, pour ses conseils avisés, son engouement pour la culture
artistique, et la qualité de son enseignement.
Je remercie également mes parents et leur regard
critique sur cette étude, et Mathilde Besnard, pour tous les
encouragements et conseils qu'elle m'a prodigué au cours de cette
année.
Sommaire
Introduction 4
Titre I - L'application délicate des droits
d'auteur sur
Internet 11
Chapitre 1 : Des phénomènes majeurs
difficilement appréhendables 12
Section 1 : L'incontrôlable phénomène du
téléchargement pair-a-pair 12
Section 2 : L'épineuse question du streaming 19
Chapitre 2 : Des solutions contemporaines insuffisantes 24
Section 1 : La réponse apportée par les mesures
techniques de protection 24
Section 2 : La réponse apportée par l'offre
légale 28
Titre II - Une modification sous-estimée des rapports
entre acteurs 33
Chapitre 1 : Des rapports auteur-producteur bouleversés
34
Section 1 : Une situation classiquement monopolistique des
majors 35
Section 2 : Un déclin annoncé de la figure
classique du producteur 37
Chapitre 2 : Des rapports auteur-public encouragés
39
Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct 40
Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle
économique ? 41
Conclusion 44
1
« La musique seule a une place dans le monde actuel,
précisément parce qu'elle ne prétend pas dire des choses
déterminées »
Mikhaïl Bakounine
1. Le droit de la propriété littéraire
et artistique a cet intérêt si particulier
d'être étroitement lié à la création,
à l'esthétique et à la culture. Parmi les nombreuses
déclinaisons de ce que l'on définit comme artistique, la musique
apparaît être l'expression la plus sensible de l'art. Tout un
chacun est sensible à la musicalité, sans considération de
son âge, origine, classe sociale ou personnalité1.
Cette universalité en fait donc un enjeu social, juridique, et
économique majeur.
2. Le concept même de « droit d'auteur »
naît à Rome, où l'on distinguait déjà entre
le support de l'oeuvre et son contenu. Sous l'Ancien Régime
français, le droit d'auteur n'existait pas en tant que tel et la seule
protection que le créateur pouvait espérer émanait alors
des privilèges octroyés de façon discrétionnaire
par le Roi. Cas rare, puisque l'usage était la vente de l'oeuvre de
l'auteur à l'éditeur, qui demandait alors l'octroi du
privilège à son propre compte. En matière musical,
l'auteur était alors soumis aux Académies de musique,
véritables corporations bénéficiaires de
privilèges. Ce n'est qu'en 1784 que Louis XVI leur accorde un
début de reconnaissance2. Il faudra attendre les
Décrets des 19 et 24 Juillet 1793 pour que les prémices d'un
réel droit d'auteur au profit des « compositeurs de musique
» soient reconnues, par l'octroi d'un droit de reproduction exclusif
d'une durée de dix ans post mortem auctoris. Le XIXème
siècle permettra ensuite la maturation progressive du droit d'auteur, et
les discussions internationales entraîneront la rédaction de la
Convention de Berne du 09 septembre 1886, socle de protection commune aux
différents Etats membres. Au début du XXème siècle
sont ensuite élaborés le principe de la protection de l'oeuvre
sans considération de son mérite (1902), la reconnaissance de la
distinction entre l'oeuvre et son support (1910), et le droit de suite (1920).
Et c'est près de 150 ans après la première
législation française du droit d'auteur que la grande loi du 11
mars 1957 est promulguée pour que soient misent en place les bases du
droit d'auteur appliqué aujourd'hui. Codification principalement
à droit constant, par la consécration des jurisprudences
nombreuses en la matière, elle reconnaît aux auteurs un droit
moral conséquent ainsi que des droits patrimoniaux : les droits de
reproduction de représentation, tout en prévoyant les
différentes modalités de conclusion des contrats de
représentation et d'édition. L'élargissement par la suite
progressif de la protection connaît un réel coup de fouet à
la
1 Barbara Tillman, Novembre 2008
« La musique, un langage universel » [en ligne]
http://www.pourlascience.fr/ewb
pages/a/article-la-musique-un-langage-universel-18508.php (consulté
le 02/06/2014)
2 Pierre-Yves Gautier.
Propriété Littéraire et Artistique.
Puf, Collection Droit Fondamental Civil, 2012
p.16
2
fin du XXème siècle par l'impulsion des
directives communautaires. L'arrivée au troisième
millénaire, synonyme de passage à l'ère numérique
et de consécration de la société de l'information, voit
naître alors trois grandes lois aux ambitions d'adaptation à cette
évolution technologique. Celle du 1er août 2006,
écho à la Directive relative aux droits d'auteur et aux droits
voisins dans la société d'information (Directive DADVSI), et
celles des 12 Juin et 9 Juillet 2009, derniers actes législatifs
franco-français en la matière, établissant la
célèbre mais non moins discutée Haute Autorité pour
la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).
3. La conciliation entre droits d'auteur et numérique
est pourtant particulièrement délicate. Alors que le droit
d'auteur serait potentiellement nuisible au développement de la
société de l'information promise par le numérique,
celle-ci permettrait dans le même temps la multiplication des copies
illicites et autres violations des droits, rendant sa mise en oeuvre
impossible3. Le droit d'auteur, par le monopole d'exploitation
temporaire conféré à son titulaire, est manifestement un
mécanisme de réservation du marché visant à
ériger une barrière propre à sortir l'objet de la
protection de l'usage commun. C'est le but de rémunération de
l'effort créateur, ex post, de son titulaire4.
Néanmoins, la réservation n'est pas absolue. Le respect des
intérêts des utilisateurs a entraîné la
reconnaissance d'exceptions à l'exclusivité. Le droit admet il
est vrai certaines utilisations gratuites sur les oeuvres
protégées, avec pour objet d'assurer le respect du droit à
la vie privée des utilisateurs et la prise en compte de
l'impossibilité matérielle et juridique de contrôler chaque
utilisation frauduleuse potentielle, afin de favoriser un accès plus
large aux oeuvres, la critique, et l'apprentissage. Principalement, la copie
privée, la parodie, l'utilisation dans le cercle familial, l'utilisation
à des fins pédagogiques, la reproduction pour les
bibliothèques numériques, et accessoirement, toute utilisation
d'une oeuvre tombée dans le domaine public, une fois la durée de
protection de 70 ans post mortem auctoris expirée, avec pour
seule limite le respect du droit moral perpétuel de l'auteur et de ses
ayants-droits et ayants-cause. Le droit d'auteur peut donc être vu comme
un système de compromis social5. La sempiternelle question de
la conciliation entre le respect du travail de l'auteur, son apport pour la
société, et les intérêts du public, s'exacerbe
à l'occasion de l'apparition du numérique.
4. « Everything you always knew about intellectual
property is wrong ». Monsieur John P. Barlow, fondateur de
l'Electronic Frontier Foundation parvient à résumer par ce
postulat à la fois provocant et pertinent les turpitudes auxquelles doit
faire face le droit à l'ère du numérique. Si la
propriété intellectuelle est un concept bien établi depuis
plus d'un siècle, la démocratisation de l'internet en a
ébranlé le fondement, la légitimité, et
l'applicabilité. Si les débats portent sur l'ensemble de la
matière, leur intensité n'en n'est que renforcée en
matière musicale en raison de son caractère universel.
3 J. Farchy, 2001 « Le droit d'auteur est-il
soluble dans l'économie numérique » in Réseaux
Volume 19 - n°110/2001 - Edition La Découverte p.17
4 M. Vivant et J.-M. Bruguière, 203
Précis Droit d'auteur et droits voisins - Edition Dalloz p.
13.
5 J. Farchy, op. cit. p.23
5.
3
Mais pourquoi tant de remises en cause, pourquoi les
sentiments se déchainent-ils tant à cette occasion ? Selon
Jérôme Huet, l'internet est « un phénomène de
culture et de communication autant, si ce n'est plus, qu'il est un
phénomène marchand »6. Les internautes sont
imprégnés d'une culture non marchande. En effet, l'internet
repose depuis sa démocratisation sur les principes de gratuité et
de libre accès7. Alors que le numérique apporte
l'espoir d'une société d'information sans limites, permettant la
promotion et la diffusion exponentielle des contenus, le droit d'auteur vient
quant à lui en limiter la portée, excluant de ces avancées
une partie de la population : les « info-pauvres
»8.
6. Les critiques s'élèvent de tous
bords concernant la législation des droits d'auteur appliqués
sur internet. Tandis que Messieurs M. Vivant et J-M. Bruguière
n'hésitent pas à juger la loi DADVSI « sans philosophie
directrice, mal construite, mal écrite et partant d'une lecture
difficile [et] très timorée sur certains points
»9, d'autres voient le droit d'auteur comme un obstacle au
développement de la société de l'information10.
D'autres encore sont plus catégoriques, à l'image de Joost Smiers
selon qui le droit d'auteur est devenu « un moyen de contrôle du
domaine public intellectuel et créatif par un nombre très
limité de grands groupes », favorisant non plus les
créateurs mais seulement les investisseurs, le droit n'étant plus
au service de l'art mais du marché11. Foucault avait
d'ailleurs déjà considéré auparavant que le droit
d'auteur n'était qu'une « production économique,
idéologique et sociale visant à favoriser le commerce des oeuvres
et la surveillance de leur contenu »12.
7. En parallèle des critiques de praticiens
experts en droit, ont également émergées deux grandes
théories plus populaires : Le « No copyright » et le
« Copyleft ». Le « No copyright »
consiste à remettre en cause l'existence même du droit, en ce
qu'il serait un obstacle à l'accès à la connaissance et
« exclurait une partie de la population de la société de
l'information » creusant ainsi les inégalités entre
ceux qui ont les moyens de financer leur culture et ceux qui ne les ont
pas13. Cette théorie reprend notamment certains postulats de
Roland Barthes et plus spécifiquement les idées
rédigées dans « La mort de l'auteur »
publié en 1968, selon lequel l'auteur -si tant est qu'il le soit
vraiment, dépassant le cadre de l'intertextualité obstacle
à l'originalité de nouveaux écrits- cède sa place
au lecteur une fois son oeuvre transmise, ne justifiant dès lors plus le
monopole exclusif temporaire d'exploitation au profit du premier. En
conséquence, sans droit
6 Jérôme Huet,
in « L'internet et le droit - Droit français européen et
comparé de l'internet, actes du colloque organisé les 25 et 26
Septembre 2000 » Collection Légipresse.
7 Après paiement de
l'abonnement internet, bien entendu.
8 Joëlle Farchy, op.
cit. p.23
9 Michel Vivant et
Jean-Michel Bruguière, op. cit. p.25
10 Joëlle Farchy, op.
cit. p.17
11 Joost Smiers, «
L'abolition des droits d'auteur au profit des créateurs » in
Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Edition La Découverte
p.61
12 Joëlle Farchy, op.
cit. p.23
13 Joëlle Farchy,
Internet et le droit d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed.,
coll. CNRS Communication, 2003 p.77
4
d'auteur n'existerait plus l'industrie culturelle
monopolistique imposant une standardisation de la culture où
apparaissent quelques vedettes calibrées. Tout artiste pourrait alors
trouver plus aisément son public, notamment à l'échelle
planétaire, grâce à internet, et ainsi gagner sa vie de
manière plus décente. Cette multiplication des artistes
contribuerait alors à l'amélioration même de la
diversité culturelle14. Si cette théorie emporta
l'adhésion d'une partie considérable de l'opinion publique au
début des années 2000 et bénéficia d'une seconde
jeunesse lors des débats liés à l'HADOPI, elle
n'apparaît pas adaptée aux nécessités contemporaines
de certaines oeuvres nécessitant des investissements substantiels en
amont, qu'il s'agisse des réalisations
cinématographiques ou jeux vidéo. La seconde
approche apparaît quant à elle plus modérée. Si elle
reconnaît la légitimité d'un droit d'auteur, elle discute
la pertinence de son modèle économique. Alors que le
législateur et les lobbys cherchent à appliquer de façon
quasi identique le droit dans le monde numérique que dans le monde
réel, son effectivité est rendue particulièrement ardue
par les milliards de contrefacteurs potentiels et la difficile détection
des actes contrefaisants. Le postulat est donc clair : S'il devient presque
impossible d'interdire, faut-il encore persévérer dans une
logique d'interdiction ? Apparue en 1991 de l'esprit de Richard Stallman, elle
fait prévaloir le système des General Public Licences ou Licences
Art Libre favorisant la diffusion et le partage des oeuvres artistiques. Par ce
biais, l'auteur s'engage à délaisser ses droits en permettant aux
tiers d'utiliser, copier, redistribuer et modifier l'oeuvre, sauf à ce
qu'il soit sujet à utilisation commerciale ultérieure sans
accord15. Simplement, l'auteur resterait titulaire de droits, mais
conserverait la possibilité d'aménager ses prérogatives et
d'en délaisser certaines. Il s'agirait donc, in fine, d'une licence
légale sans rémunération, sur une oeuvre n'étant
pas libre de droit. Mais encore faut-il que le contributeur aménage la
preuve de son antériorité et de sa paternité en cas
d'appropriation frauduleuse. Par ailleurs, si l'ère numérique
permet à l'auteur d'aménager ses pouvoirs et d'abandonner ses
prérogatives patrimoniales, encore faut-il qu'il puisse accepter
d'abandonner la capacité d'être rémunéré par
sa création... D'autres préféreraient opter pour un
système proche à ce que l'on connaît aujourd'hui en
matière de copie privée : Si le caractère incitatif du
droit d'auteur est discuté, l'artiste ne créant en principe pas
parce qu'il est protégé, le caractère rétributif ne
fait aucun doute. A défaut d'assurer un monopole d'exclusivité
sur internet, il conviendrait de prélever une taxe sur toutes les
entreprises utilisant des oeuvres, sur tous les moyens permettant
d'accéder à l'Internet et d'accéder à des oeuvres
(via ordinateurs, abonnements, disques durs externes...), les recettes
étant ensuite placées sur des fonds spéciaux soumis
à des règles strictes de répartition catégorielles
: Groupes d'artistes, institutions culturelles, artistes individuels... Afin
que l'artiste ne soit plus en lien direct avec sa rémunération et
mettre alors fin au caractère devenu essentiellement mercantile de
l'art16. Mais encore faut-il que le système soit soumis
à des règles neutres, et soumettre la rémunération
d'un artiste à des critères spécifiques ne seraient-il pas
un
14 Joost Smiers, « L'abolition des droits
d'auteur au profit des créateurs » in Réseaux Volume 19
n°110/2001 - Edition La Découverte p.69
15 David Geraud, « Le copyleft : Un ver
dans le verger des titulaires de droit » in Réseaux Volume 19
n°110/2001 - Editions La Découverte p.155
16 Joost Smiers op. cit. p.65
5
risque de nouvelle standardisation de la culture, où
une administration composée de « sages » établirait les
critères de ce qu'est la musicalité, et de ce qui mérite
d'être subventionné ?17
8. Si la légitimité du droit est remise en
cause à l'occasion de l'apparition du numérique, son application,
seconde étape du processus, apparaît tout autant
problématique. Le numérique raisonne en terme de
dématérialisation. Alors que l'on pouvait auparavant
détecter les contrefaçons par la vente de CD-Roms ou cassettes,
le pirate est aujourd'hui fantôme anonyme. L'oeuvre se distingue
pleinement de son support et la copie ne se distingue plus de l'original.
L'immatériel devient absolu et se pose alors la question de la
possibilité d'interdire sa mobilité. Le rapport
Lévy-Jouvet présenté au nom de la Commission sur
l'économie de l'immatériel en Novembre 2006 avait
déjà établi ce constat selon lequel «
l'économie a changé. En quelques années, une nouvelle
composante s'est imposée comme un moteur déterminant de la
croissance des économies : l'immatériel [...]. Aujourd'hui, la
véritable richesse n'est pas concrète, elle est abstraite. Elle
n'est pas matérielle, elle est immatérielle ». Dès
lors, le droit d'auteur serait-il un héritage du passé, incapable
de survivre à la pratique massive de copiage des oeuvres permise par le
numérique ?18. Pas si sûr. En effet, l'on peut
distinguer trois grands moyens de lutte contre la piraterie :
- La mise en place de logiciels de recherche des
contrevenants : A l'image de l'HADOPI et sa « réponse
graduée », visant à envoyer un avis de supprimer la copie et
mettre fin aux actes contrefaisants, puis le cas échéant,
l'engagement de poursuites.
- L'élaboration de sanctions commerciales à
l'encontre des Etats dépendant de leurs exportations afin qu'ils
durcissent leur propre règlementation en matière de
contrefaçon.
- La mise en place de mesures techniques de protection,
introduites en droit français par la loi DADVSI et définies
notamment par l'article L331-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle comme « Les mesures techniques efficaces
destinées à empêcher ou à limiter les utilisations
non autorisées par les titulaires d'un droit », ces mesures
pouvant consister, à titre d'exemple, en restrictions de lecteurs,
limitations géographiques, limitations de copie privée,
identifications ou tatouages numériques incorporés à
l'oeuvres, en permettant le traçage ultérieure sur
l'internet...
9. Mais l'auteur-interprète de musique à
l'ère numérique n'est pas soumis qu'à une simple
modification de ses droits. Sa situation même évolue,
renforçant sa position, légitimant ses prétentions, et
justifiant potentiellement de nouvelles transformations juridiques en sa
faveur. En effet, comme l'a noté Madame Anne-Emmanuelle Kahn, la faille
du droit d'auteur reste son instrumentalisation par d'autres que son premier
destinataire, et c'est ainsi que le plus grand risque pour la protection de
l'auteur est l'utilisation qu'en font les autres. Les enjeux économiques
sont conséquents : En 2013, le marché mondial de la
17 [En ligne]
http://cupfoundation.wordpress.com/2013/12/11/pourquoi-la-culture-numerique-doit-etre-marchande/(consulté
le 02/06/2014)
18 Joëlle Farchy, op. cit. p.28
6
vente de musique s'élevait à 15 milliards de
dollars19. La proportion des ventes numériques
représentait 39% des ventes totales. Pourtant, la répartition du
prix d'un téléchargement est loin d'être au profit de
l'auteur, puisqu'en moyenne, 61.6% du bénéfice revient au
producteur du disque, tandis que seulement 10% revient à
l'auteur20.
10. L'on peut néanmoins prédire -toutes
proportions gardées- un regain de profits pour l'auteur. Le
numérique se caractérise par l'instantané, la
communication directe et immédiate entre utilisateurs. Alors que,
classiquement, le producteur est celui qui organise et finance l'enregistrement
de l'interprétation puis en assure la fabrication, commercialisation et
promotion, ce rôle perd de son importance sur internet. S'il restera
toujours nécessaire de financer l'enregistrement, la fabrication n'est
plus nécessaire, la commercialisation peut s'effectuer à moindres
frais par le biais de sites hébergeurs et la promotion des titres peut
se faire par les différents réseaux sociaux et plateformes de
partages21. En outre, alors que le public intervient
traditionnellement en fin de processus par sa fonction de consommateur, le web
lui accorde un rôle progressivement actif et déterminant dans la
création par le biais de sites de financements participatifs, à
l'image du désormais célèbre « My Major Company
», plateforme comparable à l'investissement au capital social d'une
société : L'utilisateur investit un montant x destiné
à produire l'album de l'artiste et peut bénéficier
à la commercialisation d'un intéressement proportionnel sur les
ventes22. De là à conclure que le producteur perdra
progressivement sa position dominante sur le marché du disque à
mesure que l'auteur-interprète et le public renforceront leurs
relations, il n'y a qu'un pas.
11. Au regard de ces différentes
considérations, il conviendra donc d'étudier les
différentes activités numériques potentiellement nuisibles
aux droits d'auteur. Si le droit est subdivisé entre prérogatives
patrimoniales et morales, les dispositions extrapatrimoniales resteront
anecdotiques dans le cadre de ce propos principalement tournés vers
l'appréhension économique du droit. Qu'il s'agisse du fortement
critiqué téléchargement via réseaux pair-a-pair, le
streaming et l'offre légale, sont impactés aussi bien les droits
de reproduction et de représentation du titulaire. Ces diverses
pratiques présentent des failles importantes que le droit actuel n'est
pas en complète mesure de combler. L'analyse devra être donc
à la fois contemporaine, au regard du droit actuellement applicable,
mais aussi prospective, dans le but d'étudier les propositions non
encore retenues par les autorités et les pistes encore peu
abordées, qui justifient au moins en partie les échecs subis par
la règlementation contemporaine. Par ailleurs, le droit n'a de raison
d'être que dans une société complexe
caractérisée par son économie, ses caractéristiques
sociales et culturelles. Il sera ainsi indispensable de se prononcer sur les
évolutions apportées par le numérique sur ces
différents points, par leurs traductions dans les rapports entre
l'auteur-interprète et ses partenaires principaux, qu'il s'agisse des
producteurs ou du public, autant d'aspects sans doute négligés
lors de l'élaboration des dernières législations du
numérique.
19 IFPI Digital Music Report 2014 « Lighting up
new markets »
20 André Nicolas, Observatoire de la musique
2013 « Etat des lieux de l'offre de musique numérique »
21 L'on pense ici à Facebook, Myspace, Youtube,
Dailymotion ou encore Viméo.
22
http://www.mymajorcompany.com/about
7
12. Il apparaît donc opportun d'analyser l'approche
juridique des phénomènes numériques par le droit d'auteur
(Titre I), dans le but de déterminer l'efficacité et les lacunes
de celui-ci, pour ensuite mener l'étude des relations de
l'auteur-interprète et de ses partenaires dans l'ère
numérique (Titre II) sous-tendant une modification des rapports
juridiques entre ces acteurs.
8
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