2.2. La libéralisation du financement agricole, du
monopole de l'Etat au Système financier décentralisé
(SFD)
Dans le domaine de l'appui financier agricole, deux remarques
importantes s'imposent. Il s'agit d'une démission de l'Etat en
matière de crédit rural et d'un faible budget agricole. En effet,
depuis les années 1990, le secteur du crédit agricole togolais
était en crise, après la fermeture de l'organe bancaire en
charge, la CNCA. Elle a été liquidée en raison d'une
accumulation d'impayés, de malversations et d'une mauvaise gestion, et
il n'y avait donc plus d'établissements spécialisés dans
le financement du secteur agricole et le financement du secteur a
été intégralement libéralisé. Ce qui veut
dire en réalité que, comme les banques commerciales
n'interviennent qu'exceptionnellement au profit du secteur 187, il
n'y avait pratiquement plus de crédit à moyen et long terme en
dehors des lignes de crédit prévues dans le cadre de projets de
développement sur financements extérieurs et de quelques ONG
agissant en milieu rural, ce qui constitue une contribution très
marginale. Ce fut un coup dur pour les paysans producteurs des cultures
vivrières puisque les associations de producteurs de coton continuaient
à bénéficier néanmoins d'un système
performant de crédit de campagne pour les intrants destinés
à la culture du coton. La SOTOCO délivrait à
crédit, un engrais coton, les pesticides et les piles des
pulvérisateurs UVB. Les semences sont cédées gratuitement.
La valeur du forfait est déduite du produit payé au producteur
après collecte et égrenage par la SOTOCO, et ceci sans
intérêt. Tout le coton produit étant centralisé et
égrené par la SOTOCO, le taux de remboursement des crédits
à la SOTOCO est voisin de 100 % 188 .Le relais devrait être pris
par les institutions financières rurales à caractère
mutualiste (les SFD. L'objectif visé par l'Etat était de
promouvoir par le biais de ces structures privées, le crédit
rural et agricole au Togo. Aussi assista-t-on à un foisonnement de
187 Pour ces banques les paysans n'offrent pas
de garanties nécessaires pour qu'ils bénéficient de leurs
prêts.
188 FAO, 1996, Etude sur les phosphates naturels du Togo
et leur exploitation dans les systèmes de culture, p. 21.
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ces structures financières privées. Parmi elles
nous pouvons citer entre autres la FUCEC189, dont les
activités couvrent l'ensemble du territoire togolais, la SYNORSEC
190 et la SOCODEVI191 (Maman 2011 : 123). Mais la
réalité du terrain montra que la passation du témoin n'a
vraisemblablement pas avantagé les agriculteurs. En effet, à en
croire une étude menée par l'UEMOA en 2000, sur les 42 SFD
recensés en 1997, 26 ont déclaré financer des
activités agricoles. Les 16 autres essentiellement urbains, financent
des activités de commerce, d'artisanat, de service, mais
représentent une fraction marginale du secteur des SFD. Le montant total
de crédit estimé allouer à l'agriculture par ces SFD
était de l'ordre de 780 millions en 1997, soit environ 12% du volume de
crédit global traité par ces 26 SFD, et environ 10% du
portefeuille global de tous les SFD confondus192. La simple
comparaison avec le montant estimé des besoins annuels de financement de
court terme des exploitations cotonnières (10.5 milliards pour les
intrants coton et vivrier) montre la faible contribution relative des SFD au
financement de l'agriculture, et plus précisément à la
production vivrière193. Par ailleurs, les financements
octroyés à l'agriculture sont en très grande
majorité de court terme (<1an). De plus, les crédits agricoles
n'occupent qu'une infime partie des financements de ces SFD. Par exemple, bien
que la FUCEC, soit le plus grand réseau national la part qu'elle accorde
à l'agriculture est faible. En décembre 1998, le réseau
regroupait 152 COOPEC, disséminées sur l'ensemble du territoire
national et comptait environ 108 000 membres, mais celui-ci n'avait
octroyé que 7 % seulement des ses crédits au secteur agricole
194 .Les crédits sont de court terme parce que les petits
paysans n'offrent pas assez de garantie de solvabilité, tant ils sont
soumis aux caprices des aléas climatiques d'une part, et d'autre part,
avec la dissolution de l'OPAT, le prêteurs (les SFD), ne sont pas
assurés de recouvrer leur emprunt par les producteurs de cultures de
rente. Car avec l'OPAT, le recouvrement des crédits se faisait
après la vente par celle-ci. Tout ceci laisse entrevoir que les paysans
togolais, qu'ils soient producteurs de produits vivriers ou de rente
étaient dans une réelle impasse, et éprouvaient
d'énormes difficultés
189 FUCEC : Fédération des unions de
coopératives d'épargne et de crédit, créée
depuis 1968 est un SFD qui est le plus proche des ruraux actuellement.
190 Synergie nord/sud pour l'épargne et le
crédit (SYNORSEC) est un SFD fortement orienté vers
l'agriculture, mais très peu développé.
191 Société de Coopérative pour le
Développement International, est une ONG travaillant essentiellement
dans le genre en milieu rural.
192 UEMOA, Etude sur les financements des filières
agricoles des pays de l'UEMOA, rapport par pays, Togo, janvier 2000, 64 p.
193 Notons que ces chiffres reflètent une situation
« d'après libéralisation »puisqu'avant celle-ci, la
contribution de la FUCEC (Faitière des unités coopératives
d'épargne et de crédit) par exemple, était au moins deux
fois plus importante et dépassait le milliard annuellement.
194 UEMOA, Etude sur les financements des filières
agricoles des pays de l'UEMOA, rapport par pays, Togo, janvier 2000, pp.
32-48.
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pour faire face à leurs besoins basiques, car leurs
activités ne leur procurant plus de revenus conséquents. De
l'autre côté, l'austérité budgétaire et la
libéralisation de l'économie avaient amené l'Etat à
porter moins d'investissement que ne l'exigeait le secteur.
En effet, les investissements publics dans le secteur agricole
ont fortement baissé depuis que le Togo s'est lancée dans le
processus de désengagement. Situation rendue pire par la rupture de la
coopération avec ses partenaires bilatéraux et
multilatéraux. Ainsi, de plus de15 milliards (soit 12 % du budget
national) dans les années 1980, ils baissèrent à 11
milliards de F CFA dans les années 1990, avant de dégringoler
pour se situer autour de 3 milliards (soit 3 % du budget) en 2000 et même
à moins d'un milliard en 2003195. La raison de cette chute
vertigineuse paraît simple, car plus de 80 % du financement agricole
togolais est assuré par les fonds extérieurs des partenaires au
développement. Or, ceux-ci avaient coupé leur coopération
avec le pays, aboutissant ainsi à un arrêt de financements des
bailleurs de fonds importants tels que les institutions de Bretton Woods
(Banque mondiale, FMI), le FIDA et la BAD ont tous cessé leur
décaissement pour non apurement des arriérés de paiement
depuis 2001, et surtout à cause du déficit démocratique.
Conscient que l'insécurité alimentaire, est un
phénomène transnational, le Togo avait à partir des
années 2000 opté pour une lutte intégrée contre ce
fléau.
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