4.2. Analyse de la situation alimentaire du Togo à
l'horizon des années 1990
Si l'offre ou la disponibilité des produits
alimentaires est une chose, la demande des consommateurs en est une autre. Et
en situation de sécurité alimentaire sur une période
donnée, rappelons-le, les besoins alimentaires en quantité et en
qualité sont censés être couverts par la
disponibilité alimentaire, celle-ci étant constituée de la
production locale, des importations et/ou de l'aide internationale. En plus de
cela il fallait que ces aliments disponibles soient accessibles à toutes
les couches de la population durant toute la période. Cela implique donc
de la part de celles-ci de disposer d'un pouvoir d'achat raisonnable durant
cette période pour pouvoir en avoir accès. Quelle était
donc la situation au Togo une décennie après la NSDR ?
L'analyse de la situation alimentaire au Togo dans les
années 1990 révèle des constats suivants : globalement, la
capacité de croissance agricole du pays en une décennie de
réforme agraire de la NSDR est très faible pour toutes les
productions aussi bien vivrières que de rente, à l'exception du
coton. Ce qui affecta le Produit intérieur brut agricole réel
(PIBA) par habitant et par an qui de 76 954 FCFA dans les années 1970
avait chuté à 66 244 FCFA dans les années 1980, puis
à 48 644 FCFA en 1993168, soit une baisse de
36,78 % sur une période de trois décennies. Il en résulte
donc de l'indice de l'extrême pauvreté, sur la
sécurité alimentaire, qu'un Togolais sur trois souffrait de
sous-alimentation chronique en 1993169.De plus, les
paysans producteurs des produits agricoles d'exportation n'ont pas tiré
grand avantage de leurs exportations. En effet, par rapport à leurs
revenus, sur la période 1986/1992, le repli des cours mondiaux a
engendré une baisse cumulée des prix aux producteurs de 37 % pour
le cacao, de 65 % pour le café et de 14,5 % pour le
coton170. Ceci se traduit donc par la baisse de
leur pouvoir d'achat, et la réduction de leur capacité
d'accéder aux produits alimentaires pour faire face à leurs
besoins. Sur le plan de l'apport quantitatif alimentaire, de l'enquête
budget-consommation de 1988, il ressort que seules les Régions des
Plateaux et centrale ont toujours présenté des productions
excédentaires sur l'ensemble du territoire.
En effet, en 1993-1994 par exemple, les déficits
céréaliers était évalués respectivement
à 45 900 tonnes et de 22 100 tonnes dans les Régions maritime et
de la Kara dont : 4 300 tonnes de sorgho-mil et de 21 300 tonnes de riz dans la
Région maritime ; et 140 500 tonnes de maïs,
168 Ministère du développement
rural, 1996, Stratégie nationale de la sécurité
alimentaire, document de travail, p. iii.
169 Ministère du développement
rural, 1996, Stratégie nationale de la sécurité
alimentaire, document de travail, p. iii.
170 Ministère du développement
rural, 1996, Stratégie nationale de la sécurité
alimentaire, document de travail, pp. 6-7.
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8 700 tonnes de sorgho-mil, et de 1 900 tonnes de riz dans la
région de la Kara. Dans la Région des Savanes, la situation
était beaucoup plus alarmante au même
moment171.Le besoin en viande et abats étant
estimé à 10 kg/habitant/an, les disponibilités n'ont
jamais atteint ce taux malgré d'énormes importations de ces
produits. En effet, ces disponibilités avaient évolué de 5
kg en 1989 à 5,7 kg en 1993, soit une couverture moyenne de 61 % sur
cette période172.
Sur le plan de l'apport alimentaire qualitatif, globalement,
la ration quotidienne moyenne était de 2 148 kcals en 1995, contre la
norme de 2 400 kcals fixée pour les pays en développement par le
sommet mondial pour l'alimentation de 1974173.
Il est alors évident que la non couverture des normes
énergétiques et protéiques constatée est bien la
conséquence d'une insécurité alimentaire qui affecte une
partie de la population résidant dans les zones confrontées aux
problèmes de famines saisonnières ou d'accès difficile aux
aliments. L'apport en micronutriments pour une alimentation
équilibrée est aussi déficitaire sur l'ensemble du
territoire pour le fer, le maïs circonscrit, pour la vitamine A et l'iode.
D'une manière générale, la croissance agricole et la
situation alimentaire du Togo se situent en dessous des moyennes
régionales et connaissent une fluctuation interne qui ne laisse pas
envisager une stabilité pour les domaines où la dynamique
agricole et alimentaire est positive.
171 DESA, 1993, Recueil des données
socio-économiques sur le secteur rural (1990-1991), p. 19.
172 Ministère du développement
rural, 1996, Stratégie nationale de la sécurité
alimentaire, document de travail, pp. 10-11.
173 Idem.
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Pendant le boom pétrolier des années 1970 qui a
créé l'illusion d'un décollage économique des pays
de l'Afrique subsaharienne, le Togo de son côté avait son «
boom phosphatier » qui a créé les mêmes illusions.
Mais, très vite, les Gouvernements ont dû se rendre à
l'évidence de la faiblesse de l'économie de leurs Etats vers la
fin de cette même décennie. Ainsi au début de la
décennie 1980, la plupart de ces pays ont pris des mesures
d'austérité budgétaire dans le cadre de ce que l'on a
appelé Programme d'ajustement structurel (PAS) en vue de relancer leur
économie. Comme le dit si bien Simon, « le programme de relance
économique du Togo est principalement orienté vers la
libéralisation des filières de production » (CRASH,
2003 : 84). Deux importantes filières, la filière
café-cacao et la filière coton, ont été
concernées par cette libéralisation. Il s'agissait pour l'Etat de
se désengager de ses fonctions traditionnelles dans l'organisation, la
gestion et le fonctionnement de ces filières. Cette situation s'est
aussi traduite par le recadrage institutionnel de l'encadrement du monde rural,
mais la grande conséquence qu'elle engendra fut la perte du soutien
traditionnel de l'Etat auprès des paysans matérialisée par
la baisse des investissements, l'arrêt des subventions des intrants
agricoles, et la liquidation de la plupart des structures de soutien du monde
rural. Il en résulte alors une faible progression des produits aussi
bien vivriers que de rente à même de permettre aux populations
sans cesse grandissantes de faire face à leurs besoins quotidiens. Il
apparaissait alors évident pour les pouvoirs publics de définir
une nouvelle politique de la sécurité alimentaire pour le
XXèm siècle finissant.
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