4. Sept années de révolution verte face
au défi de l'autosuffisance alimentaire
Considérée comme la « priorité
des priorités » dans le troisième plan quinquennal, car
devant constituer le levier du décollage économique,
l'agriculture s'est vue traversée par une ferme volonté politique
de sa modernisation, avec notamment le lancement de la politique de la
révolution verte. Un bilan de la mise en oeuvre de cette politique
devient donc une évidence.
4.1. L'Office national des produits vivriers (TOGOGRAIN),
une panacée pour l'autosuffisance alimentaire ?
La révolution verte lancée en 1977 avait pour
objectif principale d'assurer l'autosuffisance alimentaire au pays par une
agriculture modernisée dégageant des surplus de production. Et
pour assurer l'autosuffisance alimentaire aux populations à tout moment
de l'année, TOGOGRAIN devait jouer un rôle éminent.
Créé le 3 septembre 1971112, il
devint à partir de 1977, et aux côtés de la CNCA l'une des
sociétés de service pour le pilotage de la révolution
verte. Il avait donc pour objectif le développement, l'organisation et
la promotion du commerce des produits vivriers en général, et,
particulièrement les céréales, ainsi que l'exploitation
des agro-industries connexes (rizeries, minoteries...). A cet effet, TOGOGRAIN
devait se charger de la promotion intensive du développement des
céréales et autres grains vivriers ; de l'achat, du stockage, de
la conservation et de la redistribution des produits céréaliers.
Ceci devait passer inévitablement par la création et
l'amélioration des infrastructures indispensables à la
réalisation de son projet (silos, magasins, stations d'usinage et de
traitement...). Il devait s'occuper de la stabilisation des prix aux
producteurs, garantissant un niveau social raisonnable des prix à la
consommation ; de l'octroi des prêts aux producteurs agricoles ; et de la
recherche de débouchés extérieurs afin de commercialiser
le surplus dégagé. Mais à aucun moment TOGOGRAIN ne
réussira pas à jouer ce noble rôle qui lui fut
dévolu pour diverses raisons. D'abord la mauvaise acquisition et de
gestion de ses installations. Celles-ci étaient estimées à
47en 1984, dont 9 silos et38 magasins d'une capacité totale de 9 910
tonnes repartis dans les villes de Lomé (6), de Vogan (4), de
Notsè (3), d'Atakpamé (6), de Kpalimé (3), de
Sokodé (5), de Sotouboua (4), de Kara (11), et de Dapaong (5). La plus
part d'entre-elles sont la propriété de TOGOGRAIN, le reste
étant acquis sous forme
112 Décret n° 71-164 du 3-9-1971
portant approbation des statuts de l'Office national des produits vivriers
(TOGOGRAIN).
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de location ou de prêt sans aucun statut juridique
clair113.Une étude diagnostique
réalisée par la Société togolaise d'étude et
de développement (SOTED) en juin 1984 montra qu'un seul silo d'une
capacité de 1 400 tonnes moyennant quelques travaux était
opérationnel sur les 9 existants ; la plupart des magasins de 100 tonnes
construits en 1979 sont, soit inutilisables, soit de qualité
médiocre, ou soit vétustes. Seuls les magasins de Vogan, de
Tabligbo et de Mango étaient en bon état. De plus ces magasins en
nombre très importants sont mal repartis. Ainsi, Atakpamé
à 2500 tonnes de capacité en 6 magasins, alors que Sokodé
n'a que 580 tonnes en 5 magasins 114 .Devant une
situation pareille, les performances de TOGOGRAIN ne peuvent pas être
roses. Ainsi, elle n'avait pu stocker que 500 tonnes seulement en 1978-1979, et
1 088 tonnes en 1980. Une contre-performance qui fut imputée au manque
de fonds. C'est pourquoi le séminaire du RPT sur la commercialisation
des produits vivriers de 1981 va lui renflouer les caisses par la
création d'un fonds de solidarité national, et lui imposer une
restructuration de ses organismes de fonctionnement. Sa capacité de
stockage fut alors portée à 15 000 tonnes. Avec ces fonds de
solidarité évalués au 11 novembre 1981 à 222 000
000 FCFA et un soutien financier de 620 000 000 FCFA de l'Etat, l'Office devait
être en mesure d'acheter et de stocker 6 000 tonnes de produits en
1981-1982 et 10 000 tonnes en 1982-1983, afin d'atteindre sa capacité
totale de stockage en 3 ans par la suite115. Mais
tel ne fut pas le cas, puisqu'à la campagne 1982-1983, l'Office n'a pu
acheter et commercialiser que 4 041,30 tonnes de céréales, soit
67,36 % environ contre une prévision de 6 000
tonnes116, malgré les mesures
d'accompagnement telles que l'interdiction de la vente sur pied des
récoltes ou la limitation de la commercialisation des produits vivriers
aux marchés existants et aux centres autorisés. L'échec de
la mission de cette société est remarqué aussi par les
documents officiels. Ainsi s'exprimait Anani Gassou, Ministre du
développement rural d'alors, dans son rapport au conseil national du RPT
du 6 Août 1981 à ce propos :
« L'étude de la dimension des zones de
production, la limite des moyens de l'office, la concurrence des
commerçants (les spéculations) n'ont pas permis à
TOGOGRAIN depuis sa création en 1971 jusqu'à ce jour, de jouer
pleinement son rôle qui lui a été assigné...
».Il poursuit en disant qu'«... étant donné que les
silos ne sont pas opérationnels, nous ne sommes pas en mesure de vous
donner les renseignements sur les coûts d'emmagasinage. Par
113 Ministère du plan et de
l'industrie, TOGOGRAIN, diagnostic technique, comptable et financier, 1984, p.
2.
114 Idem, p. 70.
115Annuaire économique
officiel de la République togolaise, 1987, p. 59.
116 Ministère du développement
rural, 1982, TOGOGRAIN : un rôle majeur, document de 5 pages non
paginées.
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ailleurs, il est très important de souligner ici
que les magasins de TOGOGRAIN ne sont pas des magasins adaptés et
équipés pour le stockage des céréales
»117.
C'est au niveau de la conservation des denrées que
cette société avaient beaucoup faillit, et l'enquête sur le
terrain le confirme :
« Le stockage n'a pas réussi, les silos
importés à grands frais ont déçu, car ils
n'étaient pas adaptés aux conditions climatiques du milieu. En
effet, sur les parois extérieures des silos, se dépose
l'humidité de l'air. A l'intérieur de ces parois se dégage
la chaleur (car il n'y avait pas de ventilation, comme c'est le cas avec les
greniers traditionnels que les paysans exposent à l'air libre). La
rencontre entre cette chaleur et l'humidité se fait au niveau des parois
et produit une condensation. C'est cette condensation qui pourri les grains de
céréales de l'extrémité vers l'intérieur
» B. Akondo118.
Ce phénomène de condensation qui pourri graines
stockées a été catastrophique dans le sud du pays, car
comme nous l'avons vu au chapitre premier, l'humidité de l'air y est
plus forte que dans le nord, à cause de la mousson
caractéristique d'une pluviométrie abondante et d'un vent
humide.
A la lumière de tout ceci, il est clair que le
rôle de régulateur par excellence du marché
céréalier, et de grenier du pays qui était assigné
à TOGOGRAIN, n'a pas été une réussite, mettant donc
à mal l'autosuffisance alimentaire du Togo durant la période de
la révolution verte. Aussi parait-il important de savoir comment les
productions ont évolué durant cette période face à
l'évolution de la population.
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