CHAPITRE DEUXIEME
LE TOGO A LA QUETE DE L'AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE DE
1977 A 1985
Le Général
Eyadéma61 en lançant la politique de
la révolution verte en 1977 en ces termes : « Oui, il
est essentiel que dans un proche avenir, tous les Togolais mangent à
leur faim... Nous voulons entendre par là que dans les cinq ans, tous
les Togolais puissent disposer à tout moment, en tout lieu, en
qualité et en quantité, des biens alimentaires produits par
eux-mêmes et pour eux-mêmes
62», n'avait fait que confirmer
sa volonté politique annoncée quelques années plus
tôt dans ce secteur en 1974, par le retour à la terre et la
réforme agrofoncière, ou par la proclamation de 1975 comme
l'année du paysan togolais. Car il considérait le secteur
primaire par ses productions (végétales et animales) comme les
armes de l'indépendance économique63
du Togo. Le slogan était alors : « produire plus pour
dépendre moins de l'extérieur ».La réussite de
cette politique passait par la transformation structurelle du secteur rural
vers la modernisation afin qu'il puisse relever le défi des besoins
alimentaires grandissants des populations et celui du développement.
Schwartz (1984) résumait alors les objectifs de cette révolution
verte en ces termes : « Les objectifs assignés en 1977 par la
`'Révolution verte» à l'agriculture togolaise peuvent
être résumés ainsi : une production vivrière
à même d'assurer l'autosuffisance alimentaire du pays dans un
délai de 5 ans, (et) une production d'exportation à même de
fournir au pays les moyens financiers de son développement »
(Schwartz, 1984 : 7).
Le Togo voulait alors assurer sa sécurité
alimentaire, entendu alors dans la logique de déficit de production et
d'offre locale (l'autosuffisance alimentaire).Il parait donc évident de
se poser la question de savoir si plus de cinq ans après le lancement de
la révolution verte, le Togo avait réussi à garantir
à sa population une autosuffisance alimentaire durant cette
période. La réponse à cette interrogation nous
amènera à passer en revue les moyens mis en oeuvre dans ce cadre
de la révolution verte pour la modernisation de l'agriculture et pour la
promotion de l'agro-industrie. Nous analyserons aussi les moyens financiers mis
au service de cette politique, de même que les résultats obtenus
à travers un bilan de sept années de révolution verte.
61 Président de la
République du Togo de 1967 à 2005.
62 Discours prononcé par G.
Eyadéma à l'occasion du séminaire national agricole du 08
mars 1977 (Boukpessi P. et Diouf B., (éd.), 1997 :120).
63 Annuaire économique
officiel de la République togolaise, 1987, p. 56.
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1. Les actions de modernisation agricole dans la
politique de la révolution verte
L'option prise par le gouvernement de faire de l'agriculture
la base de son épanouissement économique, nécessitait une
assise scientifique et technique solide, bien élaborée et
adaptée aux conditions et aux exigences nouvelles du
développement rural.
1.1. La sensibilisation et la réorganisation de la
masse paysanne
La sensibilisation des populations a beaucoup joué dans
la politique de l'autosuffisance alimentaire togolaise. Toutes les couches
socioprofessionnelles ont été littéralement
galvanisées par cette politique qui convie tout le monde au travail de
la terre64. En 1983,en prélude à la campagne agricole,
et sur recommandation du 6è congrès national du RPT, deux
propagandes d'envergure nationale de sensibilisation ont été
menées à l'endroit des paysans afin de dynamiser la politique de
l'autosuffisance alimentaire. La première, était une série
de séminaires de sensibilisation agricole organisée à Kara
et à Kpalimé à l'endroit des représentants des
paysans, des chefs traditionnels, et de la jeunesse rurale. Kara
réunissait les préfectures des Régions Centrale, de la
Kara et des Savanes, alors que Kpalimé réunissait celles des
régions Maritime et des Plateaux. La deuxième fut la campagne de
sensibilisation agropastorale organisée sur toute l'étendue du
territoire du 11 au 20 mars 1983.Ces sensibilisations animées par les
membres du bureau politique et du comité central du Rassemblement du
peuple togolais (RPT) qu'on appelait les messagers du parti, portaient sur
l'association de l'élevage à l'agriculture, la promotion de la
culture attelée et la modernisation des pratiques culturales. Ainsi
pouvait-on lire dans le quotidien togolais de l'information la nouvelle
marche de l'année 1983 : « En nous permettant d'avoir une
alimentation complète, l'élevage constitue aussi une source de
revenus »65. « Les messagers sont à pied
d'oeuvre sur toute l'étendue du territoire... Un bon sarclage permet une
meilleure production agricole »66. L'auteur poursuit en
disant ceci : « Accroître l'agriculture et l'élevage pour
une autosuffisance alimentaire ».67 Mis à part
cette vitrine médiatique, des politiques incitatives furent
menées à l'égard des paysans afin de les amener à
travailler plus. Ainsi furent alors initiées des foires agricoles
à l'issu desquelles étaient récompensés les
meilleurs agriculteurs. Dans le cadre de l'apothéose de ces foires
agricoles organisées à « Togo 2000
68» le 11 janvier
64 En 1974, la politique du retour à la
terre fut lancée, une occasion de revaloriser le paysan et son travail.
Un an après, l'année 1975 fut déclarée année
du paysan togolais.
65 La nouvelle marche, n° 986 du
vendredi 18 mars 1983, p. 6.
66 La nouvelle marche, n° 999 du lundi
14 mars 1983, p. 1.
67 La nouvelle marche, n° 1001 du
mercredi 16 mars 1983, p. 1.
68 Actuel Centre togolais d'exposition et foires
(CETEF) de Lomé.
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1981, il fut sélectionné 500 paysans
lauréats dans les cinq régions économiques du Togo parmi
lesquels 21meilleursagriculteursavaient reçu le Prix du
Président de la République d'une enveloppe de 150 000 FCFA,
21 autres, le Prix de la Décennie du Travail, alors qu'un
diplôme d'honneur du premier paysan était attribué au
Général Gnassingbé Eyadema pour l'audace qu'il eut de
lancer la politique de la révolution verte et de
l'accompagner69. Ce dernier n'hésitait pas à
décréter des journées chômées et
payées au lendemain d'une pluie afin de permettre aux fonctionnaires
cultivateurs de procéder aux ensemencements dans leurs champs. C'est
l'exemple de la journée du lundi 2 mai 198370
déclarée chômée et payée sur toute
l'étendue de la commune de Lomé en raison de la tombée de
la pluie la veille afin de permettre aux travailleurs de la commune de semer.
Cette politique répondait ainsi au principe de congrès national
du RPT qui était de tout faire pour gagner le pari de l'autosuffisance
alimentaire. Parallèlement à ces actions, les populations rurales
étaient exonérées du paiement de la taxe civique, alors
que l'Etat subventionnait l'engrais à 50 %.
Les populations ainsi sensibilisées avaient besoin
d'être organisées, encadrées et accompagnées dans
leur travail pour que les recommandations soient bien mises en oeuvre. Ainsi
créa-t-on des structures d'animation du monde rural. Il s'agit des
Organismes régionaux de promotion et de production des cultures
vivrières (ORPV), et des Directions régionales de l'animation
rurale et de l'action coopérative (DRARAC). Ces deux organismes (tout
comme les SORAD qu'ils ont remplacé en 1977) constituaient le canal de
vulgarisation des programmes agricoles initiés par le gouvernement. Mais
ceux-ci avaient des domaines spécifiés d'intervention comme le
voulait l'objectif de leur création. Ainsi les ORPV s'occupaient des
projets et programmes initiés dans les régions pour promouvoir la
culture vivrière. Les DRARAC, quant à elles, animaient comme leur
nom l'indique, le milieu rural. Ceci devait se faire par la promotion des
coopératives agricoles, de moyennes exploitations privées et des
grandes unités de production (Maman, 2011 : 82). Mise à part la
formation des cadres d'agriculture dans l'Ecole supérieure d'agronomie
(ESA) installée à l'Université et dans l'Ecole nationale
d'agriculture (ENA) de Tové, une Division de la coopération et de
la mutualité créée en 1980 sous la direction des DRARAC
menait des activités de formation coopérative du personnel
d'encadrement et des responsables de groupements. Elle s'occupait de
l'assistance aux groupements dans l'élaboration et la réalisation
des microprojets grâce à un suivi régulier sur le
terrain.
69 Pour plus d'information, lire Tsigbé, 2010,
p. 171, ou Togo Dialogue, n°55 du février 1981, p. 22.
70 La nouvelle marche, n° 1041 du mardi
3 mai 1983, p. 1.
La motorisation de l'agriculture était un volet
important dans la politique de la révolution verte.
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