3.1.3 Les critères d'évaluation de la
qualité perçue
Les critères d'évaluation de l'audit externe
peuvent être décomposés en deux catégories :
~ Les indicateurs qui cherchent à déterminer la
qualité perçue par le marché de l'audit, tels que la
réputation et la taille du cabinet d'audit.
~ Les indicateurs qui cherchent à déterminer la
qualité intrinsèque de l'audit externe. Cette approche consiste
à évaluer la structure organisationnelle du cabinet en tant que
condition interne de la qualité de la prestation donnée par
celui-ci.
3.1.3.1 La qualité perçue
On considère généralement que
l'indépendance de l'auditeur est étroitement lié aux deux
points suivants :
~ la réputation
~ la taille
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Jean-Frédéric VÉFOUR
La réputation Au moment du choix d'un
auditeur externe les firmes peuvent se différencier de leurs concurrents
par le choix de la qualité de l'auditeur. Tous les auditeurs n'ont pas
la même signature, la même réputation. La réputation
devient alors un argument de choix, un signal de qualité. Plus ce signal
est important plus, l'auditeur sera en mesure de vendre ses prestations
à un prix élevé (Fodil et al., 2007). De nombreuses
études tentent à démontrer qu'il existe une
corrélation entre la réputation de l'auditeur et les variables
d'agence.
Ainsi pour préserver sa réputation, source de
revenus importants, les grands auditeurs seraient incités à
produire des rapport d'audit de qualité d'un niveau supérieur
à ceux des petites structures.
On distingue généralement les cabinets faisant
parti d'un réseau mondial (les Big-Four) des petits cabinets
n'appartenant pas à de tel réseau (les non Big-four).
En fait, l'hypothèse de la réputation s'inspire
de la théorie du signal. En effet, lorsque plusieurs détenteurs
d'information privée sont en concurrence, la partie la mieux
informée doit envoyer un message crédible à la partie
sous-informée afin de la convaincre de la qualité de sa
prestation (Le Duff et al., 1999) 4.
Les firmes du Big-four sont donc plus crédibles que les
cabinets non Big-four. Selon Lennox (1999) on constate que les marchés
financiers sanctionnent les entreprises qui remplacent un auditeur Big-four par
un non Big-four.
Pour McCracken (2003), les grandes firmes d'audit
dépensent des sommes d'argent considérables à court terme
pour défendre leur réputation. Elle observe qu'en cas de litige
même les entités disposant de moyens financiers importants, leur
permettant, en principe, de se défendre convenablement dans un
procès, préfèrent raccourcir les délais des litiges
et trouver une fin rapide au conflit par la négociation.
D'après Chaney and Philipich (2002), à long
terme, la perte de réputation, entraîne une diminution des
capacités de la firme d'audit à conquérir de nouvelle
clientèle et à conserver sa clientèle actuelle.
Skinner and Srinivasan (2009) ont étudié la
chute du cabinet d'audit ChuoAoyama au Japon. Cette société
d'audit est affiliée au groupe PricewaterhouseCoopers (PwC). Les Big-N
sont présents au Japon (Cf. Table 3.1) 5. En mai 2006,
l'agence de contrôle japon-naise, Financial Services Agency (FSA) a
suspendu le cabinet d'audit ChuoAoyama de toutes ces opérations sur le
marché pendant deux mois. Cette décision inédite faisait
suite à l'implication de l'auditeur dans une gigantesque fraude
comptable impliquant la société Kanebo Ltd., une grosse
société dans les cosmétiques.
Selon les auteurs, durant cet événement, la
société PwC n'a cessé de prendre des mesures pour
défendre sa réputation non pas seulement au Japon mais aussi au
niveau mondial. Allant de l'envoi de spécialiste américain et
britannique au Japon au début de la crise à son retrait pur et
simple du Japon en 2006.
Plus généralement, on constate que les grandes
firmes sont très sensibles à la réputation de leur
auditeur. Ainsi, dès que les premières rumeurs de fraude,
ChuoAoyama, a perdu sa clientèle. Les Tableaux 3.2 et 3.3 nous montrent
l'impact des rumeurs de fraude sur la clientèle de ChuoAoyama;
dès 2006 la quasi totalité de la clientèle l'a
quitté pour rejoindre un concurrent 6. En outre, les auteurs
montrent que la probabilité de changer d'auditeur est plus importante
dans les grandes firmes ayant un fort market-to-book ratios; en effet, ce type
d'entreprise, qui est davantage concernée par les coûts d'agence,
est plus demandeuse d'audit de grande qualité (Cf Table 3.3), elles
veulent envoyer des signaux forts aux investisseurs sur les marchés.
4. EGM, p. 1146.
5. Réalisé à partir des informations de
Skinner et ali.
6. Issues avec la table 3.3 de Skinner et ali.
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Jean-Frédéric VÉFOUR
TABLE 3.1 Big-5 au Japon
Réseau japonnais Big-5 ou(Big-4 à partir de
2002)
Asahi Andersen
AZSA KPMG
ChuoAoyama/Misuzu/Aarata PwC
ShinNihon Ernst & Young
Tohmatsu Deloitte
TABLE 3.2 Répartition du nombre de clients sur le
marché japonnais entre les big Five
Pour les partisans de la théorie de la
réputation, les contentieux en cas de contestation du rapport d'audit de
l'auditeur sont des signes forts qu'il faut éviter. En
conséquence, moins un cabinet d'audit est sujet à la contestation
des ses rapports, plus son opinion d'audit est de qualité, plus sa
réputation est grande.
La domination des Big-four sur l'ensemble des grands
marchés de la planète semble plaider en faveur de la
théorie de la réputation.
Pourtant, selon Lennox, l'hypothèse de la
réputation n'est pas confirmée par les études empiriques.
Ainsi, contrairement aux prédictions de cette hypothèse depuis
des décennies, on constate que les contentieux à l'encontre des
Big-four ont considérablement augmenté.
Cette situation prouve donc que la réputation n'est pas
l'élément majeur qui détermine le choix des entreprises
lorsqu'elles doivent désigner un auditeur légal.
La taille
There is now a great deal of evidence that large audit firms
provide higher
quality audits and offer greater credibility to clients'
financial statements than
TABLE 3.3 Répartition des clients entre les Big-5 au
Japon en fonction de leur poids de capitalisation de marché
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Jean-Frédéric VÉFOUR
TABLE 3.4 Nombre de critiques, nombre de clients, taille
moyenne des clients et nombre d'entreprises en difficulté en Angleterre
de 1987 à 1994
small audit firms (Lennox, 1999).
Selon (Pige, 2003) même si la taille n'est pas en soi un
indicateur de compétence, il n'en demeure pas moins une variable
estimative de l'indépendance de l'auditeur et donc de la qualité
de l'audit.
Pour les partisans de cette hypothèse, les grandes
firmes d'audit auraient beaucoup plus à perdre que les petites; ce qui
les inciterait à adopter une attitude plus conforme aux
intérêts des investisseurs. Ils sont plus incités à
produire des rapport de qualité en raison de l'importance des litiges
auxquels ils doivent faire face en cas d'erreur. Plus un auditeur est de taille
importante plus il risque de faire face à un contentieux important (Dye,
1993).
Contrairement aux affirmations de l'hypothèse de la
réputation, l'hypothèse de la taille considère
qu'il y a une corrélation positive entre la taille de l'auditeur et le
nombre de contentieux dont-il a à faire face.
Les cabinets de grande taille sont plus aptes à faire
face au coût d'un audit de qualité. Ils ont la surface
financière leur permettant de faire face aux investissements
nécessaires.
Ils disposent de moyens humains et matériels importants
et ils développent des systèmes de surveillance mutuelle
très robustes pour limiter les problèmes d'agence.
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Jean-Frédéric VÉFOUR
Lennox (1999) a étudié toutes les publications
7 concernant les sociétés cotées du Royaume
Unis de 1987 à 1994. La table 3.48 synthétise les
critiques, le nombre de clients, la taille moyenne et le nombre d'échecs
par société d'audit. On constate que le rapport des auditeurs
sont remis en cause lorsqu'ils n'ont pas su prévenir une faillite ou
alors en cas de fusion lorsque les acquéreurs considèrent qu'il y
a une surévaluation des comptes et qu'ils ont trop payé la
transaction. Par ailleurs, contrairement aux prédictions de
l'hypothèse de la réputation, on constate que les critiques
à l'encontre des auditeurs ne se traduisent pas par une baisse de
clientèle ou par une diminution de leurs honoraires. Ce qui
signifierait, d'après Lennox, que la réputation n'explique pas la
supériorité des grands auditeurs.
Cette étude examine les effets de la critique des
rapports d'audit sur la demande d'audit et les relation entre la taille de
l'auditeur et le nombre de contentieux. Pour l'auteur, tout semble conclure que
l'hypothèse de la taille de l'auditeur a un pouvoir explicatif plus
important que l'hypothèse de la réputation dans la motivation du
choix d'un auditeur par un client. Malgré leur plus grande
fiabilité les grands cabinets sont davantage sujet à contentieux
de la part de leur client. Cette conclusion est contraire à celle de
l'hypothèse de la réputation.
D'après Lennox les clients font les choix des grands
cabinets car il savent que ces derniers seront en mesure de faire face aux
coûts des poursuites judiciaire.
Plusieurs autres études ont présenté la
taille du cabinet comme une garantie implicite de la qualité des travaux
d'audit réalisés. Selon DeAngelo (1981), les cabinets de grande
taille, disposant d'un portefeuille clients important et diversifié,
seront moins vulnérables aux pressions d'un client particulier. En fait,
l'auditeur sait qu'il risque une perte plus importante de son revenu si ses
manipulations sont découvertes et révélées dans le
marché de l'audit.
Les Big-four disposent d'un portefeuille client
diversifié qui leur permette de ne pas dépendre d'un client
particulier pour l'obtention de leurs honoraires, par
conséquent ils sont moins dépendant que les non Big-four lors de
la formulation de leur opinion d'audit. Ainsi, selon certains auteurs,
l'information concernant les honoraires permet d'apprécier la relative
liberté dont peut disposer l'auditeur au moment de la rédaction
de son rapport d'audit. Les honoraires de vérification
représentent le coût économique de la mission d'audit. Ce
coût varie avec la taille et la complexité de l'entité
soumise à vérification ainsi que le risque qu'elle
représente.
Certains auteurs estiment de l'utilisation des montants
d'honoraires en valeur absolue constitue un critère d'analyse de
l'indépendance pertinent. En effet, les montants d'honoraires permettent
d'évaluer le poids des honoraires perçus par l'auditeur par
rapport à son chiffre d'affaires et donc sa dépendance
économique vis à vis de son client. Le risque de perdre une
fraction d'honoraires importante est supposé diminuer
l'indépendance de l'auditeur. A l'inverse plus ce dernier dispose d'une
clientèle large et varié, plus l'on pourra présumer de son
indépendance vis à vis de l'audité.
Les cabinets d'audit ne font pas toujours que de l'audit
légal des comptes. Compte tenu de la technicité de la profession
elles exercent aussi des activités annexes. Ces missions annexes aux
activités de contrôle sont des activités supports (Pige,
2003). Comme on peut le voir avec la table 3.5 9 ces
activités occupent une place plus ou moins importante selon les cabinets
d'audit en France .
Certains auteurs utilisent le ratio des honoraires de
non-audit sur le total des hono-
7. Ses sources sont des rapports d'audit, comptes annuels,
rapports de gestion, ... provenant de microfiches de l'université de
Warwick ainsi qu'une étude menée par le Department of Trade and
Industry (DTI) du magazine the Economist.
8. Issue de l'article de Lennox.
9. Table reconstituée à partir de La profession
comptable n?290.
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Jean-Frédéric VÉFOUR
TABLE 3.5 Chiffre d'affaires par activité de quelques
réseaux d'audit en France
raires comme indicateur de la capacité des honoraires
de non-audit à diminuer l'indépendance. Quand le ratio augmente,
les auditeurs sont plus susceptibles de compromettre leur
indépendance.
Les honoraires d'audit, et les honoraires de non-audit
permettent de mesurer la dépendance économique d'un auditeur par
rapport à un client donné.
Les honoraires des missions de non-audit permettent
également d'évaluer si la proportion et la magnitude de ces
missions sont de nature à obérer l'indépendance de
l'opinion émise sur les comptes faisant l'objet de l'audit légal
car ils sont supposés entraîner une perte d'impartialité et
d'objectivité (Audousset-Coulier, 2009).
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