Chapitre 2 : Les apports des femmes au sein des conseils
d'administration : mythe ou réalité ?
2.1 Les critères actuelles de recrutement des
femmes administrateurs
Cette première partie nous a permis de mettre en
lumière les différents freins à l'entrée des femmes
dans les CdA. Cette nouvelle section s'appuie sur les études
déjà menées va nous permettre de mettre en lumière
les critères de recrutement employés à jour pour
intégrer les CdA. On se posera la question de la différence qui
peut coexister entre les pratiques employées d'une part pour les hommes,
et d'autre part pour les femmes. Enfin il s'agit de mettre en avant quels
facteurs influencent le recrutement d'administrateurs de sexe féminin,
pourquoi certains secteurs sont aujourd'hui au-dessus des quotas imposés
tandis que d'autres plafonnent et s'enfoncent dans un cercle vicieux.
La première remarque que nous pouvons formuler est que
les entreprises qui promeuvent les femmes aux postes les plus
élevés sont souvent celles qui investissent beaucoup dans la
recherche, l'innovation et la technologie (OIT.)
Cinq autres caractéristiques semblent être
motrices dans la féminisation des CdA (Yves Moulin, Sebastien Point,
2012). Le premier est la taille de l'entreprise. Le constat
est simple, plus l'entreprise est grande, plus elle sera visible et sera
contrainte aux pressions de son micro et macro-environnement. Les parties
prenantes sont donc d'autant plus attentives quant au respect des lois et
à la bonne image que doit véhiculer l'entreprise (Hillman et al,
2007). La visibilité s'est d'ailleurs accrue en raison de l'explosion
des NTIC et de la nécessaire stratégie d'internationalisation.
Des études menées dans le contexte anglo-saxon ont permis de
mettre en évidence une importante connexion entre la taille de
l'entreprise et la féminisation des CdA (Burke, 2000 ; Peterson et
Philpot, 2007 ; Terjesenet Singh, 2008). Dans son étude, Mamadou
Toé (2014) relativise la relation entre taille et taux de
féminisation des organes de gouvernance. En effet, de son étude
ressort une relation négative, même s'il pose lui-même les
limites réelles ou non de son étude. Il convient donc de nuancer
son approche sur ce point en particulier.
Le second aspect se rapporte au secteur
d'activité. Une première hypothèse met en exergue
que le secteur d'activité, manufacturier ou non influe sur la
féminisation (Fields et Goodman, 1994). On peut constater que certains
secteurs sont encore attribués à un genre spécifique.
26
Une RH explique ainsi « quoiqu'on en dise, il y a des
métiers pour les hommes et d'autres pour les femmes... c'est comme
ça, c'est tout ! » (Bref du Céreq, 2013)
Les exemples les plus flagrants d'une moindre
féminisation sont sans conteste les métiers de la construction et
du bâtiment, de l'agriculture, de la défense et de
l'ingénierie21. A contrario, les métiers les plus
attractifs et où l'on retrouve la plus grande part de femme sont ceux
des relations publiques et de la communication, la finance et l'administration
(OIT, 2015.) Cette relation entre le secteur d'activité et le
pourcentage de femmes au poste d'administrateur pose cependant certain
problème. Cette première hypothèse semble ne pas se
vérifier dans tous les secteurs selon Singh et Vinnicombe (2007.) Une
réelle connexion semble toutefois coexister entre la proportion de
femmes administratrices et la féminisation du secteur d'activité.
Là où les femmes sont plus nombreuses, elles ont plus de chance
d'évoluer sur des postes d'administrateurs. L'étude de Mamadou
Toé (2014) met en exergue qu'une plus forte féminisation des
effectifs, du nombre de femmes cadres ou bien encore des comités
influent, in fine sur le nombre de femmes administrateurs. Le taux passe de 24%
à 37.8%.
Le troisième aspect concerne la diversification
stratégique. Rappelons qu'une entreprise peut opter soit pour
une intégration verticale dans la recherche de réduction des
couts par la maitrise de tout le processus de la chaine de valeur. Sinon elle
peut opter pour la standardisation dans le but de faire des économies
d'échelles. Mongomery (1994) avance que « le niveau optimal d'une
diversification dépend de la spécificité des ressources
détenus par l'entreprise. » De manière plus explicite, Yves
Moulin et Sébastien Point (2012) nous explique que moins les secteurs
d'activité seront éloignés les uns des autres, moins elle
sera exposé à la dépendance de son environnement. Par
contradiction, si les secteurs d'activités sont éloignés
les uns des autres (diversification conglomérale), le conseil
d'administration aura nécessairement besoin d'un conseil
hétérogène et donc de femmes qui ont souvent une
compétence spécifique.22
Le quatrième aspect se rapporte directement à
l'incertitude environnementale. L'idée est construite
autour de différent aspects. Le premier étant que si
l'environnement de l'entreprise est complexe, associé à une forte
croissance alors la dépendance aux ressources sera forte. Ensuite, dans
ce contexte, les fonctions d'administrateurs sont d'autant plus complexes.
C'est dans ce contexte que les firmes sont tentées de mettre en place un
CdA hétérogène avec des administrateurs ayant les
mêmes profils et bien souvent du même sexe pour éviter
toutes sortes de conflits. De ce résonnement découle
l'idée que le taux de féminisation est lié à
21 Voir annexe 5 page 48
22 Voir partie 2.2 : un apport en capital humain
différencié, page 29
27
l'incertitude environnementale. La stabilité
économique comme élément moteur du recrutement des femmes
au sein des organes de gouvernance (Mamadou Toé, 2014). La faible
croissance des entreprises23 est synonyme d'une plus forte
féminisation de ces organes.
Le quatrième aspect se rapporte au
contrôle du capital par un actionnariat familial.
L'idée étant que le nombre de femmes administrateurs
étaient plus présent dans les entreprises familiales car moins
enclin à la pression du genre et des actionnaires, mais aussi dans un
objectif de pérennité de la firme. Bien souvent, c'est au moment
du passage de relais entre les renouvellements de mandat que la famille
détentrice du capital affirme sa volonté de favoriser
l'entrée de nouveaux membres au sein du CdA. Il s'agit d'un enjeu
très important pour elle, car cela dilue le pouvoir tout en conservant
le contrôle de la société. Pour exemple, en France, la
troisième plus grosse entreprise en capitalisation qu'est L'Oreal est
une entreprise familiale. Trois membres sur 15 dont deux femmes sont issus de
la famille Bettencourt, famille créatrice. Avec une proportion de 38.5%
de femme au sein de son conseil, il respecte presque le pourcentage des 40%
imposé. Cet aspect est également corroborer par Belghitu-Mahut et
Lafont (2010) qui mettent en avant que « plus du 1/3 des femmes
siégeant au CdA présentent des liens avec la famille
propriétaire de l'entreprise.»
Enfin le cinquième et dernier élément que
les auteurs mettent en avant capable d'influencer le nombre de femmes
administrateurs est le contrôle du capital par des investisseurs
institutionnels. Les investisseurs institutionnels se sont largement
développés au début des années 2000. Cet
investissement est basé sur la construction d'une relation capital
/gestion étroite et durable. Le dirigeant en contrepartie se couvre
contre les risques de rachat hostiles. Les investisseurs utilisent le
mimétisme coercitif pour inciter les entreprises à respecter la
loi sur les quotas notamment. Ainsi dans ce type de schéma, les
entreprises ayant ce type de configuration technique devraient avoir une
féminisation de leurs instances de gouvernance plus significative.
L'ancienneté est également un
facteur invoqué dans le choix des administrateurs (Bacon et Brown,
1973.) Cette réflexion est facile à comprendre puisqu'un
salarié acquiert de l'expérience, une meilleure connaissance des
processus internes et du gouvernement d'entreprise au fil des années.
Nous allons maintenant voir les aspects qui impactent sur le
recrutement des femmes à ces postes vu par différentes
études empiriques. Mamadou Toé (2014), nous révèle
dans son étude
23 Diversité du genre et gouvernance
d'entreprise : les déterminants endogènes, Mamadou Toé,
IRG Université Paris-Est, VARIA, 2014
28
le profil des administratrices. Le premier constat est une
différence d'âge entres les femmes et les hommes nommés.
Tandis que les hommes attendent en moyenne 59,20 ans avant d'être
nommé, les femmes accèdent plus rapidement à ces postes
puisque c'est à l'âge (moyenne) de 53,87 ans qu'elles y
parviennent. Hillman et al (2002) ont obtenu les mêmes résultats
à partir des bases de données recueillis sur le territoire
américain. Second constat apporté par l'auteur, les femmes
administrateurs ont plus souvent le statut d'administrateurs indépendant
: 59.02% de femmes contre 43.47% d'hommes. L'étude mené par
Isabelle Allemand et Bénédicte Brullebaut confirme cet aspect et
nous explique les conclusions positives et négatives de cet aspect. En
effet, pour reprendre la théorie de l'agence, les administrateurs
indépendants sont considérés comme exerçant un
meilleur contrôle des dirigeants car moins soumis à la pression
des actionnaires. De manière défavorable la forte
représentativité des femmes en qualité d'administrateurs
indépendants confirme une « moins bonne connaissance de
l'entreprise dans laquelle elles exercent un mandat. »
Il subsiste toutefois une interrogation : les femmes
nouvellement nommées ont-elles le même niveau d'influence que
leurs homologues ? Finalement le glass ceiling quantitatif n'aurait-il pas
laissé place à un glass ceiling qualitatif ? (Stephane Gregoir et
Frédéric Palomino.) La loi en vigueur exclue tous les autres
comités, ce qui explique une faible probabilité pour les femmes
de siéger au sein de ceux-ci. Par ailleurs, il semble que les
responsabilités attribuées aux femmes soient toujours en dessous
de leur homologue masculin. Ainsi, une fois franchi la barrière du
plafond de verres, les femmes administrateurs doivent cette fois-ci se heurter
à celle de leur implication dans le processus décisionnel. Leur
présence se serait qu'à titre « symbolique » (Bilimoria
et Pederit, 1994 ; Graig et Philpot, 2007) ou relevant du « symbolisme et
du moral que du mérite et de la recherche de l'efficience »
(Burgess et Tharenou, 2002.) Kanter (1977) a déjà
dénoncé le problème sous le nom de « Tokenisme »
qui consiste à nommer de simple figurant (ici figurante), perdant au
passage le rôle et la compétence qui est lui normalement dû
au sein du CdA.
Nous allons maintenant revenir sur les « clubs old boys
»24, ils représentent un canal de recrutement important
pour intégrer les CdA. Ainsi, « l'élitisme scolaire
associé au passage par la haute fonction apparait comme beaucoup plus
déterminant dans la sélection des administrateurs » (Bauer,
Bertin-Mourot, 1997 ; Dudouet et Joly, 2010.) On peut par ailleurs avancer le
chiffre de 50,86%25 des administrateurs recrutés en 2006
provenaient des grandes écoles de l'Etat (Polytechnique, ENA). Certains
vont même jusqu'à avancer le terme de
24 Voir partie 1.1 Préjugés,
généralités concernant les femmes, approche
théorique page 11
25 Ethique et gouvernance d'entreprise en France,
Elizabet Genaivre, 2006
« consanguinité » des CdA, « trop
homogènes et fermés », « réservés
à des hommes du même moule éducatifs et professionnel qui
se partagent les mêmes réseaux sociaux et se cooptent »
(Picard, Labègue, 201026). Les courants de pensées
mettent en avant l'inefficience et la source de dysfonctionnement de
l'uniformité des profils et encourage à une diversité des
profils, que pourrait, entre autre, apporter les femmes. Enfin nous allons
terminer sur les trois critères objectivement mis en avant pour recruter
un administrateur (femme administrateur, gouvernement français, 2014) Le
premier est le professionnalisme qui induit la notion
sous-jacente d'engagement, d'assiduité et de participation aux
débats du conseil. Le statut des administrateurs est ici très
important. Le second critère est celui de la
loyauté. L'administrateur doit toujours
privilégier l'intérêt général,
considérer l'entreprise afin de ne pas favoriser sa propre situation. On
entend aussi par loyauté le fait d'accepter de bon gré la
collégialité dans laquelle les décisions sont prises. La
relation avec les dirigeants exécutifs doit s'exercer sans concession
mais avec une compréhension et une volonté d'apporter quelques
choses et de construire ensemble. Enfin le dernier élément est
l'indépendance : qui est propre à chaque
individu. En effet, on sous-entend que chaque administrateur a le droit et le
devoir d'exprimer sa propre opinion. Lorsqu'il se trouve en désaccord
grave et persistant
avec la direction exécutive de l'entreprise ou avec son
conseil, il a le devoir de démissionner. (Pour ne pas mettre en
péril sa responsabilité civile, un administrateur a le devoir de
faire notifier son refus quant à la décision et son
éventuel départ de la réunion)
29
26 Isa.fr, M.Picard et D.Labègue, 04 mars
2010,
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