CHAPITRE II
LES DÉTERMINANTS EXTRA-ÉCONOMIQUES DE
L'INVESTISSEMENT
Kobrin (1976) fut l'un des pionniers à avoir
incorporé, dans un modèle à la détermination de
l'investissement privé étranger, les variables politiques,
sociales, culturelles et administratives. Il a montré dans son
étude que le risque sous ces différentes facettes constitue un
obstacle majeur à la réalisation d'investissements privés
rentables et décourage tout investisseur potentiel. D'autres
études plus récentes abondent dans cette même ligne
d'idée et ont prouvé les liens intrinsèques entre ces
dites variables et l'investissement ; on peut citer les travaux de Mauro
(1995), Meldrun34 (2000), etc.
Les travaux empiriques de Tanzi et Davoodi (1994) ont
étudié comment la qualité des institutions physiques et
humaines influencent l'investissement domestique à travers la
corruption, l'instabilité politique et sociale.
Cependant, les travaux de Kaufmann (2000) et ceux de
Zoido-Lobatón (2000) ont prouvé que les variables politiques,
sociales, administratives sont toutes charriées par le concept de
Gouvernance. Pour ces auteurs, la gouvernance se
réfère aux traditions et aux institutions à
travers desquelles s'exerce l'autorité dans un pays. En ce
sens, se trouvent inscrits dans le concept de gouvernance : le respect des
institutions par l'État et les citoyens, l'allocation et la gestion des
ressources rares de façon à résoudre les problèmes
collectifs, La capacité des gouvernants de formuler et d'appliquer de
saines politiques et d'adéquates réglementations, les
procédures de choix, et de remplacement des gouvernants. Selon le
Programme des Nations pour le Développement (PNUD,1997), la
transparence, la satisfaction des besoins et des attentes, la primauté
du droit, la responsabilité, l'efficacité et
l'équité sont les principaux critères d'évaluation
de la qualité de la gouvernance. Les résultats d'études
d'Asiedu (2003) ont prouvé que la stabilité
macroéconomique des institutions efficientes, de la stabilité
politique et d'un cadre légal et réglementaire ont un impact
positif sur la décision d'investissement. Par contre, la
dérogation à ces caractéristiques constitue la mauvaise
gouvernance qui s'identifie par les troubles, violences, la hausse de la
corruption, les émeutes, le gaspillage des ressources
34Meldrun(2000,cf.Bonny,2005)
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nationales, l'exclusion, etc. Il existe de nombreux travaux
sur le lien entre ces dites variables et l'investissement. Déjà,
selon la CNUCED, la stabilité politique, sociale et économique,
les régimes commercial et fiscal, le cadre légal et
réglementaire influent sur la décision des investissements
privés. Bon nombre d'experts ont prouvé que la performance
économique d'un pays dépend principalement de son cadre
politique, institutionnel, et juridique [OCDE, 2001]. En ce sens, ce chapitre
est divisé en deux grandes sections : la première expose les
théories de l'école institutionnaliste ; la seconde
présente quelques résultats de travaux empiriques comme ceux
d'asante (2000), de Mauro (1995), le modèle de la Banque et Mondiale,
les travaux de Hall & Jones, les travaux de Hiren Sarkar & Aymul Hasan
(2001), et les travaux de Ndinga (2002).
SECTION I : Économie institutionnelle35
L'école institutionnaliste a connu ses premières
influences avec Max Weber (histoire économique) en Allemagne ou John
Hodson (l'impérialisme) en Angleterre, et les fondateurs de cette
école sont les américains Thorstein Veblen, Clarens Ayres, Wesley
Mitchell, J.M. Clark et J.R. Commons. D'après ces auteurs, le
problème économique ne s'articule pas autour de l'allocation de
ressources rares, de la production, de la répartition et de la
consommation de biens, mais il s'inscrit dans le cadre de l'organisation du
système économique, de la structure du pouvoir qui le
contrôle, et du système de croyances et de valeurs qui le
caractérise. Le progrès économique est fonction non
seulement de la technologie, mais aussi des institutions, qui ne sont pas des
données immuables, mais qui sont créées... et
changées par les hommes. On peut les définir comme « des
règles, des normes de comportement, des aspects de l'application des
lois » (North, 1990). Ainsi le marché, qui pour les
néoclassiques se confond avec l'économie et a pour tâche de
répartir les ressources n'est pour les institutionnalistes qu'une
institution en intéraction avec toutes les autres : « La position
fondamentale des institutionnalistes est que ce n'est pas le marché,
mais la structure organisationnelle de l'économie au sens large qui, en
fait, répartit les ressources. » (W.J. Samuel, Institutional
Economics, New Palgrave). Le néo-institutionnalisme se distingue de la
première école institutionnaliste dans la mesure où il ne
rejette pas les acquis de la Science Economique traditionnelle, mais cherche
plutôt à les élargir : « Le problème de
nombreux des premiers institutionnalistes est qu'ils voulaient une Science
Economique avec les
35 Cf. THEBEAU Michel (2010). Cycles, crises et
théories de la croissance économique, Notes de cours, FDSE,
3ème année, UEH.
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institutions sans les théories ; le problème de
nombreux néo-classiques est qu'ils veulent une théorie
économique sans institution ; ce que les néo-institutionnalistes
essaient de faire, c'est de fournir une Science Economique qui ait à la
fois de la théorie et des institutions » (Richard Langlois). Parmi
les néo-institutionnalistes, citons Ronald Coase, Douglas North et
Oliver Williamson.
La NIE (New Institutional Economics) a trouvé dans le
TIERS-MONDE un vaste champ d'investigation. Depuis Gannagé, Institutions
et développement, 1966), de nombreux auteurs comme Myrdal, Schultz,
Briton ont insisté sur la nécessaire compréhension de
l'environnement et des institutions pour la mise en place de politique de
développement. Le concept même de développement
économique considéré jusque-là comme la croissance
accompagnée de changements structurels, a pu être ainsi
défini par Nabli et Nugent comme « la croissance économique
accompagnée d'un changement efficace des institutions ».
Le concept d'institutions se rapporte à la notion
marxiste de superstructure idéologique de la société, sauf
qu'ici la relation est inversée. Alors que, pour Marx, le mode de
production auquel sont assujettis les hommes déterminent leur conscience
et façonne la superstructure idéologique de la
société, la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI) prône
que les institutions ont des effets économiques. Il en découle
logiquement un programme de recherche sur les institutions les plus efficientes
en matière de développement économique.
Comprendre le rôle des institutions dans le
développement économique nécessite de rapprocher cette
notion de celle de « coût de transaction ». En effet, depuis
Coase (1937), à côté des coûts de production, il faut
prendre en considération les coûts de transaction sur le
marché. Bien que ces coûts n'aient pas été retenus
par la Science Economique traditionnelle, ils sont très importants dans
les économies modernes. En effet, l'analyse néoclassique raisonne
avec des coûts de transaction nuls et ignore les institutions qui peuvent
être à l'origine de ces coûts. Ils ne constituent donc pas
un obstacle à la croissance qui dépend seulement de la population
(le travail), du capital et du progrès technique.
Or, selon les néo-institutionnalistes, les coûts
de transaction existent bien et constituent la « clé de la
performance économique » (North, 1990). Lorsque les coûts de
transaction s'accroissent plus vite que ne baissent les coûts de
production, le développement est entravé. En
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revanche, les bonnes institutions permettent de réduire
les coûts de transaction qui freinent la dynamique des échanges,
l'extension des marchés et en dernier ressort la croissance et le
développement.
Les coûts de production et les coûts de
transaction évoluent en sens inverse à mesure que la
société se développe et devient plus complexe.
Considérons, pour simplifier, un axe linéaire avec deux
extrêmes : une société primitive et une
société développée. Dans la première, les
relations économiques sont essentiellement des relations personnelles
fondées sur la réputation. Les coûts de transaction y sont
par conséquent très faibles. Mais, en revanche, la faible
spécialisation des personnes et le faible niveau de capital technique
génèrent des coûts de production élevés. Dans
une société développée, les relations
économiques deviennent impersonnelles à mesure que les personnes
se spécialisent. Dès lors, les coûts de transaction
deviennent croissants (coûts de recherche antérieurs à la
transaction, coûts de négociation sur les termes du contrat,
coûts d'application des termes du contrat). Dans ce type de
société, la division du travail permet la baisse des coûts
de production, mais ces gains de productivité sont contrebalancés
par des coûts de transaction plus élevés. Le
développement économique s'accompagne donc, parallèlement
à la baisse des coûts de production, d'un accroissement des
coûts de transaction. Toute la problématique du
développement réside donc dans la capacité des
institutions à faire en sorte que les coûts de transaction,
croissants en fonction du développement, ne gomment pas la baisse des
coûts de production.
Douglas North (1994, 1997) nous apporte quelques idées
préliminaires sur la question de structure institutionnelle. Il souligne
que la structure incitative de la société- qui est fondamentale
pour le processus de changement- dépend de la structure institutionnelle
de cette même société. Les institutions36
représentent « les règles du jeu dans la
société, ou (...) les contraintes humainement disposées
pour former les intéractions humaines » Il ne s'agit pas seulement
de règles formelles (constitutions, lois et règlement) mais aussi
de contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de
conduite auto-imposés). C'est de l'ensemble de ces règles, normes
et conditions de mise en pratique, que dépend la performance
économique.
À cette phase du débat, nous pouvons dire que le
potentiel effectif de croissance rapide de la productivité des pays ne
se détermine pas uniquement par les différences de niveau de
36 Institution : lois fondamentales régissant
la vie politique et socio-économique d'un pays.
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technologie, d'intensité capitalistique et
d'efficacité de l'allocation des ressources qui les séparent des
pays développés. Ces pays sont aussi limités par leurs
caractéristiques institutionnelles qui restreignent leurs
possibilités de financer, d'organiser et de faire fonctionner le genre
d'entreprise dont ils auraient besoin pour exploiter les technologies
situées aux confins de la science et de l'ingineering. Ce sont tous ces
éléments qui, ensemble, déterminent le potentiel effectif
de croissance de la productivité d'un pays (Abramovitz et David,
1996).
Après le capital physique, le capital humain et le
capital éducationnel, certains économistes ajoutent aux
déterminants de la croissance un « capital social ». La
rentabilité économique du capital social devient tangible lorsque
c'est l'intéraction sociale qui produit des effets externes et permet
une action collective en faveur d'un bénéfice mutuel en dehors du
marché. On peut considérer la confiance, la
réciprocité, les réseaux interpersonnels, la
coopération et la coordination comme un « capital social civil
» qui conditionne les interactions entre les agents économiques et
produisent des effets externes.
Par infrastructure sociale, on entend la manière dont
se font les affaires, plutôt que le capital humain. Un système
dans lequel les individus se comportent de façon malhonnêtes, ou
dans lequel la bureaucratie fait de l'obstruction, ou dans lequel les droits de
propriété ne sont pas clairement définis et
respectés, peut conduire à une allocation très inefficaces
des ressources en raison de coût qu'impliquent l'assurance contre la
malhonnêteté, le fait de circonscrire la bureaucratie ou le
renforcement des droits de propriété. Ces coûts, ainsi que
les distorsions au niveau des incitations, peuvent constituer de sérieux
obstacles à la croissance (Stern, 1991).
Collier (1998) définit le capital social comme la
cohérence sociale et culturelle interne de la société, les
normes et les valeurs qui gouvernent les interactions au sein de la population,
et les institutions dans le cadre desquelles ces normes et valeurs entrent en
jeu.
On peut, de même, définir le « capital
social gouvernemental » comme recouvrant les avantages de la loi, de
l'ordre, des droits de propriété, de l'éducation, de la
santé et d'un bon gouvernement. Dans la mesure où le capital
social réduit les coûts de transaction et les coûts de
l'information rendant ainsi le capital physique et le capital humain plus
productifs, on doit pouvoir le considérer comme un déterminant de
la productivité totale des facteurs.
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Cette importance accordée au capital social- autrement
dit à la culture, aux institutions et aux structures comportementales-
devrait donner à l'explication du processus du changement un aspect
pluridisciplinaire. Selon North (1990, 1997), les croyances culturelles
constituent un déterminant fondamental de la structure
institutionnelle.
? ?
Ne pas
1.1 Le problème de la décision
d'investissement par l'entreprise
Quels sont les facteurs à prendre en compte quand une
grande entreprise multinationale envisage d'implanter une filiale dans un pays
quelconque ? L'analyse coût-bénéfice, qui consiste à
calculer les coûts totaux d'un projet et à les comparer aux
bénéfices totaux, permet de répondre à cette
question. Désignons, en effet, par F le coût fixe37
qu'implique l'ouverture de la filiale et par II la valeur de la somme
actualisée des profits38. Une approche formelle du
problème de l'investissement conduit à un schéma de
décision très simple. Si la valeur nette de la filiale, II, est
supérieure à son coût de mise en place, F, il faut opter
pour l'ouverture. On a donc :
?
|
F
|
Investir
|
??
F
|
|
?
|
|
investir
|
Nous avons choisi d'illustrer ce problème par la
décision d'ouvrir une filiale étrangère. Cependant, ce
schéma peut s'appliquer à bien d'autres cas de figure :
investissement domestique, transfert de technologie ou choix d'une formation.
L'application au transfert technologique est implicitement présente dans
notre exemple, car l'ouverture d'une filiale implique très probablement
un transfert notable de technologie. Il est d'ailleurs bien connu que
l'ouverture de filiales par les entreprises multinationales est une des formes
du transfert technologique. Le schéma est aussi valable pour
l'accumulation des connaissances. Dans ce cas, la décision porte sur le
temps de formation. Prenons l'exemple d'une personne qui doit décider si
elle consacre ou non une année de plus à se former. Si F
représente le coût d'une année de formation, à la
fois en termes de dépenses directes et de coût
d'opportunité (salaires auxquels on renonce implicitement
37 Ce coût correspond, par exemple, à
l'obtention des licences, domestiques et étrangères, ainsi
qu'à la prise de contact avec les fournisseurs et les distributeurs du
pays d'accueil.
38 L'activité rapporte un profit chaque
année si la filiale est ouverte c'est-à-dire F est
dépensé. Dans ce cadre simplifié, Ï représente
la valeur de la filiale. Si la maison mère décidait de se
séparer de sa filiale, combien un acquéreur potentiel accepterait
-il de payer pour en devenir propriétaire ? La réponse est
donnée par la valeur de la somme actualisée des profits, ou du
moins par la valeur anticipée de cette somme. Voilà pourquoi la
valeur de la filiale est égale à Ï.
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en choisissant ne pas travailler pendant un an), le
bénéfice Ï correspond à l'augmentation de salaire qui
résulte de la formation complémentaire.
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