PARAGRAPHE 3 : Des limites patentes du système
sécuritaire de la police d'ordre en vigueur
La police d'ordre a fait et continue de faire ses preuves en
tant qu'approche sécuritaire contre la criminalité.
Néanmoins, face à l'accroissement exponentiel des populations
surtout urbaines, celui des villes ; compte tenu du perfectionnement des
méthodes criminelles avec des bilans de plus en plus impressionnants et
spectaculaires, toutes choses qui contrastent avec les aspirations
évolutives des citoyens aux libertés publiques et à plus
de bien-être, la reconnaissance des limites de la police d'ordre s'est
imposée et la nécessité de s'adapter à la nouvelle
donne est devenue incontournable soit par le colmatage des brèches de
l'ancienne approche, soit par la mise en place d'une autre .
Au fait que reproche-t-on à la police d'ordre ? Un
parcours historique des pays aux vieilles traditions de police communautaire
nous permet de relever des lacunes très diversifiées. Celles-ci
vont de la corruption endémique du corps policier à
l'augmentation du taux de criminalité en passant par la violation
excessive des droits de l'Homme, les méthodes de travail
réactives et peu efficaces, la marginalisation des
bénéficiaires de la sécurité dans la formulation
1 Moupou et Akei Mbanqa, 2008, pp. 165 - 170.
2 Id. p. 168.
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des solutions à leurs problèmes, la
distanciation de la police vis-à-vis de la population qu'elle est
censée protéger et la liste n'est pas exhaustive.
A ces sujets, certains auteurs sont formels. Alan Bryden et
Boubacar Ndiaye, après avoir examiné les maux de la police
d'ordre, sont parvenus à plusieurs conclusions dont une a retenu notre
attention : « En conclusion... on peut toutefois constater plusieurs
traits communs : premièrement, la très faible participation de la
population aux activités relatives à la
sécurité... »1. Maurice Chalom et autres
constatent que « Pour leur part, les populations continuent d'exprimer
leur insatisfaction à l'égard des réponses
apportées à la délinquance, notamment le recours à
l'incarcération... »2.
Au Cameroun, nous avons déjà
démontré, entre autres : que les méthodes de travail de la
Sûreté Nationale étaient réactives, que les acteurs
étaient étatiques. Pour ne plus nous répéter, nous
aborderons, dans ce paragraphe, les limites relatives à la corruption,
la rupture sociale entre la société et la police et la
prévalence des nouvelles menaces dites asymétriques avec pour
finalité de justifier l'opportunité de la police
communautaire.
En commençant par la corruption que le code
pénal camerounais définit en son article 134 alinéa 1
comme le fait pour « ... tout fonctionnaire qui, pour lui ou pour un
tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou
présents pour faire, s'abstenir de faire ou ajourner un acte de sa
fonction. »3; on est tenté de dire qu'elle est la
chose la mieux partagée des policiers tout au moins en se mettant dans
la posture des usagers qui n'ont pas manqué de les affubler de
sobriquets dont le plus célèbre est « mange-mille
» pour signifier que la complaisance du policier camerounais face aux
transgressions de la circulation routière par exemple, est acquise
contre mille francs CFA.
Concrètement, au cours des contrôles routiers,
une série de documents précis sont exigibles aux conducteurs pour
vérifier s'ils sont en conformité avec le fisc, s'ils sont
qualifiés pour conduire le type de voiture en leur possession, s'ils se
sont acquittés de la police d'assurance...La plupart du temps, les
chauffeurs et les propriétaires de véhicules se soustraient
à leurs obligations mais poursuivent allègrement leurs
activités moyennant le versement d'un pot de vin dont le montant varie
généralement entre 250 francs CFA et 1000 francs CFA à
chaque contrôle.
1 Bryden et N'diaye, 2011, p. 7.
2 Chalom et al, 2001, p. 22.
3 Hamadou, 1998, p.128.
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Mr. Roger Ngoh Yom, secrétaire exécutif de
transparency international Cameroun, révèle, au cours d'une
conférence de presse donnée à Yaoundé le mardi 09
juillet 2013, que « La police camerounaise, selon le baromètre
mondial de la corruption 2013, occupe la première place des
institutions les plus corrompues du pays avec un chiffre de 69%. "Elle remplace
à ce rang, les services de la douane, sortis premiers lors de la
précédente enquête sur les services les plus corrompus du
Cameroun." »1.
Bernard Amougou renchérit, parlant de la
Gendarmerie et de la Sûreté Nationale en déclarant que
« Ces deux corps autrefois d'élite, sont depuis longtemps
entrés dans la danse de la corruption et de l'enrichissement
illicite. »2. C'est dire que le ver est dans le fruit et
qu'on ne saurait rester indifférent à une telle
dépravation des moeurs d'où la nécessité de penser
à la reforme profonde de la police en général et de la
Sûreté Nationale en particulier.
En poursuivant avec la rupture de confiance entre la police et
la société, on déduirait aisément qu'elle est l'une
des conséquences de cet état de corruption
généralisé que nous venons de peindre. En effet, la
présence de la police ne rassure plus suffisamment comme elle aurait du
le faire. Un renseignement qu'un informateur communique à un agent de
police sur les agissements répréhensibles d'un individu ne le met
pas à l'abri des représailles du dénoncé que le
policier a entre temps contacté pour, grâce au chantage, obtenir
des retombées égoïstes.
Une enquête parfois objectivement, au regard des faits,
favorable au plaignant ou à la victime, est subitement retournée
contre l'un ou l'autre par une alchimie que seuls les dessous de table ou les
affinités relationnelles peuvent expliquer.
Un propriétaire de véhicule vient de se faire
braquer par des malfaiteurs qui ont emporté sa voiture. Il se rend
à un commissariat pour signaler son infortune, il lui est exigé
de l'argent pour que la station fixe de radio communique la nouvelle aux
patrouilles sur le terrain en vue d'une éventuelle traque.
Les patrouilles elles mêmes sont, surtout les
motorisées, des passages rapides voire des déplacements
d'agrément sans interaction avec les populations. Dans tous les cas,
pédestres ou motorisées, les patrouilles de police et même
les dispositifs policiers de sécurité focalisent leur attention
sur le domaine artificiel de l'Etat ou sur ceux qui incarnent l'autorité
de l'Etat au détriment de la population.
1 Cameroun web news du 10 juillet 2013.
2 Amougou, 2013, p. 112.
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Tous ces exemples pour montrer que la rupture du contrat de
confiance qui devrait exister entre la police et la population est
consommée. Bernard Amougou, en guise de confirmation, scande «
Par ailleurs, si la confiance à l'armée en
général est acquise, tel n'est pas le cas avec la gendarmerie et
la police. »1. Alan Bryden et Boubacar Ndiaye,
pérorant sur les conséquences des tares de la police d'ordre,
vont plus loin « Ceci se traduit par un manque de confiance
généralisé de la part du public et un manque de
compréhension vis-à-vis des acteurs de la sécurité.
»2. Elie Mvie Meka, allant dans le même sens au
sujet des forces de sécurité, conclut qu' « Elles sont,
dans la plupart des cas, en rupture de confiance avec les populations qu'elles
sont censées rassurer et protéger. »3.
Terminant avec les menaces non conventionnelles dites
asymétriques, on doit admettre que si hier, elles n'étaient pas
d'actualité, aujourd'hui, elles ne sont plus de la fiction et se posent
même avec acuité. La conséquence logique est que c'est une
approche sécuritaire imprégnée de ces nouvelles menaces
qui devrait être indiquée pour y faire face. Deux types de menaces
sont retenus ici en guise d'illustrations : le trafic de la drogue et les actes
terroristes de la secte boko haram. Parmi leurs caractéristiques
communes, on peut citer la dilution des auteurs au sein des populations et par
conséquent, la difficulté à identifier les auteurs et
à lutter contre eux.
La drogue par exemple, a des chiffres en constante
augmentation en termes de production, de transit et de consommation. Pour
étayer nos propos, comparons les statistiques du service des
enquêtes et des expertises de la direction de la police judiciaire
à la Délégation Générale à la
Sûreté Nationale de 1993 et 20134. En 1993, la seule
drogue saisie était le cannabis et la quantité était de
472,35 kilogrammes. En revanche, en 2013, 5628,003 tonnes de cannabis ont
été saisies et 04 hectares de plantation détruits. La
même année, 2,7 kilogrammes de méthamphétamine ; 200
grammes de crack ; 8,2 kilogrammes et 13,5 litres de cocaïne ; 12, 350
kilogrammes d'héroïne ont été saisis.
Dans le même sillage, les actions de la secte terroriste
boko haram se multiplient à un rythme infernal notamment dans la partie
septentrionale du pays. De l'enlèvement de la famille Fournier à
l'attaque de kolofata à l'issue de laquelle, au-delà des morts,
des personnes y comprise l'épouse du vice-premier ministre Amadou Ali
ont été prises en otage en passant par les enlèvements des
trois religieux et les dix ouvriers chinois pour ne citer que ces cas, les
1 Amougou, 2013, 12.
2 Bryden et N'diaye, 2011, p. 7.
3 Mvié Meka, p. 22.
4 Bourssamon Félix, ex-chef dudit service,
téléphone 77 95 16 29.
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victimes de cette secte deviennent de plus en nombreuses ;
leurs cibles de plus en plus symboliques...
Parlant des moyens de lutte contre ce fléau, le
général de brigade Elokobi Daniel Njock, directeur central de la
coordination de la gendarmerie nationale est formel : « Compte tenu de
la configuration géographique de la zone, l'apport de la population dans
la recherche du renseignement est par conséquent indispensable.
»1.
Cette proposition de solution montre à la fois les
limites du dispositif conventionnel et balise le chemin des avantages de la
police communautaire qui est une approche participative et donc, capable de
fournir le renseignement sus évoqué.
1Elokobi Njock, 2014, p. 13.
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