SECTION II : DES INDICATEURS NATIONAUX
Au plan international, nous venons de soutenir, grâce
à certains indicateurs, qu'il est idoine d'internaliser la police
communautaire au Cameroun. Le contexte national est-il autant favorable ? C'est
la trame de cette section qui, pour faire cette analyse, se fonde sur trois
facteurs : l'existence d'une vision stratégique de la police
communautaire ; la promotion de la démocratie, de la
décentralisation et de l'esprit associatif ; les
limites patentes du système sécuritaire de la police d'ordre en
vigueur. Le choix de ces facteurs résulte lui-même de la
confrontation des causes et surtout les atouts qui ont motivé la
réforme communautaire de la police dans certains pays où cette
nouvelle approche a fait ses preuves.
1 Pierre, Loizeau, 2014, p. 6.
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PARAGRAPHE 1 : L'existence d'une vision stratégique
de la police communautaire.
Quel que soit le pays où la police communautaire a
été implémentée, la grande orientation, l'impulsion
politique ou stratégique sont venues du sommet de l'Etat ou tout au
moins, du pouvoir politique. Nous avons cité plus haut, entre autres,
les cas de l'Angleterre, du Canada, de la France où des actes
législatifs ou réglementaires ont été pris pour
marquer la volonté des autorités en charge du pays de voir la
police changer l'approche sécuritaire pour infléchir la courbe
ascendante de la criminalité.
Au Cameroun, et c'est déjà une lapalissade
puisque nous avons fait ce constat plus haut, il n'y a pas une doctrine de
police communautaire. Toutefois, au-delà des discours, trois
éléments nous permettent d'affirmer qu'il existe au moins une
vision de la police communautaire.
Le premier de ces éléments est contenu dans deux
documents clefs de la vie nationale. Le Document de Stratégie pour la
Croissance et l'Emploi, élaboré en 2009 et qui donne la vision
globale et prospective du Cameroun jusqu'en 2035 relève que «
Pour renforcer la reprise économique amorcée depuis une
décennie et l'asseoir durablement, le Gouvernement a
élaboré un document de vision partagée du
Développement au Cameroun à l'horizon 2035. Elle se formule ainsi
qu'il suit : " LE CAMEROUN : UN P AYS EMERGENT, DEMOCRATIQUE ET UNI DANS SA
DIVERSITE ". »1 Point n'est besoin d'insister sur le
caractère préalable de la sécurité pour la
réalisation d'un tel objectif.
S'agissant particulièrement de la vision de la police
communautaire, c'est l'Elaboration de la Stratégie du Sous-secteur
Sécurité par le Cabinet Primat Conseil, document
recommandé par le DSCE à chaque secteur de la vie nationale, qui
est plus explicite : « Dès lors, les activités
présentes et futures de la DGSN évoluent et évolueront
dans le cadre d'une stratégie qui soutiendra une vision qu'elle a
déjà formulée à savoir "La police camerounaise, une
police de proximité, force régulière, moderne, plus
performante et au service de tous les citoyens".»2.
En combinant les deux documents, le premier
élément qui montre qu'il existe une vision stratégique
nationale se résume en la vision prospective du Cameroun à
l'horizon 2035 qui est d'être un pays émergent,
démocratique et uni dans sa diversité en s'appuyant, entre
1 DSCE, 2009, p.14.
2 Primat Conseil, 2012, p. 11.
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autres, sur une Police camerounaise qui a pour ambition
d'être une police de proximité, une force régulière,
moderne, plus performante et au service de tous les citoyens.
Le deuxième élément visionnaire de la
police communautaire est l'effectivité de certaines mesures qui, en
dépit de leur utilisation communautaire très discutable, n'en
constituent pas moins les ingrédients de la police communautaire. Il en
est ainsi des conteneurs installés dans certains carrefours de certaines
grandes villes et appelés postes de police de proximité à
l'instar du rond point Déido à Douala et du carrefour Mvog-bi
à Yaoundé.
Dans le même sillage, à la faveur du
défilé de la fête nationale, édition 2013, est
apparu, à l'initiative du Délégué
Général à la Sûreté Nationale, monsieur
Martin Mbarga Nguele, un carré très applaudi des policiers
à vélo appelés « bikers ». Comme
l'affirme le commissaire de police principal Joyce Cécile Ndjem Mandeng,
chef de la Cellule de la Communication à la DGSN, ces bikers sont «
Une sorte d'unité versatile dont les missions à terme, dans
une approche de police de proximité, les transformeront en
îlotiers. »1.
Ces deux exemples montrent bel et bien que la vision
communautaire de la police existe mais ces moyens restent au service du domaine
artificiel de l'Etat avec les méthodes de la police d'ordre. En
conséquence, du simple fait de l'existence de ces outils qui font partie
des instruments de la police communautaire, on ne saurait parler de
l'effectivité de celle-ci, mais d'une vision.
Le dernier élément visionnaire de la police
communautaire est décrit dans l'ouvrage du Chef de L'Etat dont le titre
est évocateur : Pour le Libéralisme Communautaire
publié en 1987. Pour le schématiser sous l'angle de la
sécurité, son excellence Paul Biya part du constat que notre pays
en général et nos villes en particulier sont un
conglomérat de diversités potentiellement explosif avant de
proposer comme solution, le libéralisme communautaire.
L'auteur affirme en effet que le Cameroun est « ...
une terre de la multiplicité et de la diversité sociohistorique,
le lieu de rendez-vous d'une variété insoupçonnable de
forces centrifuges et antagonistes, d'une infinité de communautés
sectaires voire hostiles, campant face à face en une sorte de
veillée d'armes permanente où l'évidence des
particularismes ethnico-géographiques est par trop frappante : les
quartiers de nos villes revêtent parfois des spécificités
ethniques manifestes qui rappellent, en une concentration spatiale
particulièrement explosive, les contradictions humaines de notre
société. Au plan linguistique, le Cameroun
présente
1 Ndjem Madeng, 2014, p. 39.
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l'image d'une véritable tour de Babel. Nos clivages
religieux eux-mêmes ne sont pas moins des sources possibles de
confrontations sociales. »1.
Une description aussi potentiellement conflictuelle
nécessite une approche de sécurité non seulement
étroitement suivie, mais également participative des
bénéficiaires, caractéristiques de la police communautaire
dont l'auteur avait déjà la vision en 1987 en suggérant le
libéralisme
communautaire. Ce concept sous-tend en effet un triptyque que
développe l'ouvrage : le devoir de solidarité, la liberté
d'entreprendre et la fonction régulatrice de l'Etat, principes chers
à la police communautaire. En clair, tout comme la vision
stratégique de la police communautaire, la promotion de la
démocratie, de la décentralisation et l'esprit associatif
constituent des facteurs
nationaux favorables à l'émergence de cette
réforme policière.
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