PARAGRAPHE 2 : Une organisation jacobine
Depuis sa mise en oeuvre, l'organisation de la police
communautaire n'est pas uniforme dans tous les pays. Au Canada, la
sécurité a une structuration à trois niveaux :
fédéral, provincial et communal. Dominique Raimbourg et Jean
Jacques Uryoas sont clairs sur cette répartition tripartite : «
Au Canada, la mission de sécurité est répartie sur
trois niveaux : le fédéral, le provincial et le municipal.
»1.Le premier palier est chargé de veiller à
l'application des lois fédérales. Par contre, les second et
troisième paliers, par le biais des contrats signés avec les
autorités citadines, se comportent en véritables prestataires
publics de sécurité. Il s'en suit une
1 Dominique Raimbourg et Jean Jacques Uryoas, 2011 ,
p. 2.
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concurrence rude et une imagination fertile des approches et
modes d'action capables de conduire aux meilleurs résultats possibles.
C'est ici qu'intervient l'approche communautaire pour créer une
adéquation entre les besoins sécuritaires des populations et les
solutions apportées par les services de sécurité.
En France, Caroline Ober1 distingue une organisation
à cinq strates :
? La direction centrale de la sécurité publique
fixe au niveau national, les orientations générales ;
? Les directions départementales assurent
l'organisation et le contrôle de la mise en oeuvre de la police de
proximité ;
? Les districts qui couvrent la zone urbaine et
périurbaine et où sont installés les commissariats
centraux, jouent le rôle de coordination ;
Le secteur est une entité territoriale chargée
de la préparation, du commandement et de l'évaluation de la
mission de police de proximité ;
? Le quartier est la ligne d'exécution des attributions de
la police de proximité.
En dépit de cette multiplicité
organisationnelle, les analystes s'accordent sur deux exigences qui
caractérisent le cadre d'épanouissement de la police
communautaire : la décentralisation et le rôle
prépondérant de l'unité de base du dispositif. Cette
dernière est la véritable cheville ouvrière de la doctrine
de police communautaire. C'est en effet cette unité de base qui
identifie les composantes sociologiques de sa zone de compétence, ses
acteurs, les besoins sécuritaires, les solutions concertées,
assure le contact régulier... Bref, elle assure l'immersion sociale de
la police. Quelle que soit la forme organisationnelle adoptée, celle-ci
doit mettre un accent particulier sur la place et le rôle de cette
structure de base. Son appellation importe peu, ce sont les
responsabilités, le degré d'initiative, le professionnalisme...
qu'on lui reconnait qui facilitent l'impact de la police communautaire.
A titre d'illustration, au Japon, cette unité de base
est dénommée Koban. Maurice Chalom et autres, évoquant
cette structure japonaise, estime qu'il s'agit d'un « Système
de police japonais qui, composé de mini-postes de police communautaires
et orienté vers la résolution des problèmes, allie le
caractère indispensable de l'interaction étroite entre les
citoyens et les policiers, vus avant tout comme des membres à part
entière de la collectivité. »2. Dans le
même
1 Ober, 2002, p. 14.
2 Chalom et al, 2001, p. i.
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sillage, Bessel, analysant l'organisation en Allemagne de
l'Est, constate que « Le pays entier fut divisé en
mini-districts d'à peu près 3500-4000 habitants, ce qui donnait,
pour toute la RDA, environ 4700 ABV. [Auxiliaires Volontaires de la
police] »1.
L'importance de l'unité de base est la confirmation que
la structuration du dispositif de la police communautaire est davantage
fonctionnelle qu'organique. Toutefois, elle a besoin d'être
adossée, et c'est la deuxième exigence, sur la
décentralisation. Ce système a plusieurs avantages dont a besoin
la doctrine de police communautaire pour mieux s'exprimer : souplesse, une plus
grande autonomie, la multiplicité des expertises. Voici ce qu'en pensent
Maurice Chalom et autres : « Dans les pays où la fonction
policière est décentralisée ... plusieurs types de
mécanismes d'échange et de concertation peuvent être
envisagés. »2.
En revanche, la centralisation ou jacobinisme a pour principe
de base, l'unicité de l'autorité et réduit les organes
déconcentrés en relais d'exécution sans grande marge de
manoeuvre. Maurice Chalom et autres sont certains que « Dans les pays
où la fonction policière est centralisée à
l'échelle nationale, il est plus difficile d'établir des
mécanismes de liaison et de concertation entre la police et les
collectivités locales. »3.
Au total, bien que la nécessité d'adapter la
police à son milieu (géographique, humain, culturel,
sécuritaire...) explique la disparité organisationnelle ; il
convient de souligner qu'un cadre décentralisé qui affine autant
que possible et valorise son unité de base, est propice à
l'épanouissement de la police communautaire.
En examinant l'organisation de la Sûreté
Nationale mise en place par le décret présidentiel no 2012/540 du
19 novembre 2012 portant organisation de la Délégation
Générale à la Sûreté Nationale, on aboutit
à trois constats : le pouvoir est très administratif et
centralisé ; le métier de policier est exercé par une
technocratie qui étend ses compétences à tous les
échelons géographiques pour appliquer, de manière
uniforme, des stratégies formulées au niveau central ;
l'existence des unités chargées de traduire en acte l'orientation
répressive de la Sûreté Nationale.
Le premier constat est clairement énoncé dans
l'article 2 « La Sûreté Nationale est un corps de
commandement et d'administration placé sous l'autorité du
Président de la République qui en est le chef suprême.
». L'article 5(2) démontre avec plus de précision le
jacobinisme de la Sûreté Nationale : « Elle
exécute les missions qui lui sont confiées par les
autorités
1 Bessel, 1999, p. 228.
2 Chalom et al, 2001, p. 41.
3 Id. p. 40.
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gouvernementales dans le cadre de leurs compétences
respectives, en se conformant aux directives du Président de la
République. La Sûreté Nationale agit sur l'initiative de
son Chef de Corps ou de ses différents responsables, dans le strict
respect de leurs attributions. ».
Le deuxième constat se manifeste dans la nature du
personnel et la territorialisation des structures notamment la direction de la
sécurité publique. Celle-ci, au-delà des services centraux
qui en dépendent, est représentée au niveau
régional par la division de la sécurité publique, le
groupement de la voie publique ; les commissariats centraux sont placés
dans les grandes agglomérations, les commissariats de
sécurité publique sont généralement situés
dans les arrondissements ainsi que les postes de sécurité
publique.
Toutefois, depuis quelques années, on observe, dans
certaines zones des villes de Douala, de Yaoundé... des containers ou
autres locaux où exercent un nombre plus ou moins important de
fonctionnaires de la Sûreté Nationale sans que ces structures
relèvent forcément de l'organigramme de la
Délégation Générale à la Sûreté
Nationale. Ces postes de police qu'on retrouve par exemple à
Bata-nlongkak, au marché de Madagascar et à la poste centrale
à Yaoundé, participent de la volonté de la
hiérarchie de la Sûreté Nationale de rapprocher la police
de la population et sont même appelés police de
proximité.
Cependant, ces postes de police qui rappellent les koban
japonais, les ABV Est-allemands et les ilots français en matière
de police communautaire, focalisent leur action dans le domaine artificiel de
l'Etat pour y relayer l'orientation répressive de la
sécurité au Cameroun. Même la police administrative qui y
est menée, qui se réclame préventive, prévient, non
la cause de l'insécurité mais les manifestations. Mieux, elle
n'est pas préventive mais dissuasive. La solution qui en résulte
ne résout pas durablement le problème puisque la cause reste
intacte, la solution n'est pas concertée... On ne saurait donc parler de
police de proximité ici encore moins communautaire.
Le troisième constat qui a trait aux unités
répressives se manifeste par l'existence du commandement central des
groupements mobiles d'intervention au niveau central et du groupement mobile
d'intervention à la région. Ces unités constituent le bras
séculier de l'Etat pour faire régner l'ordre en temps de paix ou
de crise. L'article 16 (1) qui définit les attributions de la structure
centrale précise, en temps normal, qu'elle est chargée de
« renforcer l'action des autres forces et unités territoriales
de police pour le maintien de l'ordre préventif, la protection des
personnes et des biens... ».
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En somme, malgré une territorialisation poussée
qui reste à affiner davantage, l'organisation de la Sûreté
Nationale est beaucoup plus jacobine et est surtout au service du paradigme
répressif. Elle s'identifie plus à la police d'ordre qu'à
la police communautaire. Qu'en est-il des acteurs, des stratégies et des
modes d'action ?
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