Ecriture dramatique camerounaise contemporaine : visages, palmares, caracteristiques et outils de valorisationpar Marcelle Sandrine BENGONO Université Yaoundé I - Master II 2019 |
I-1) -PrésentationNé le 02 octobre 1982 à Kribi, Edouard Elvis Bvouma est un auteur, metteur en scène et comédien camerounais. Petit, il aimait regarder les livres depuis la vitrine d'une librairie non loin de son école primaire. Il admirait leur couverture. Son histoire avec l'Art de manière générale commence avec la peinture. Il réalisera plusieurs oeuvres mais ne sera jamais exposé. Il rencontre la scène grâce à Essindi Mindja49(*) avec lequel il commence l'aventure comme comédien. Peu après, Essindi décède en France en juillet 2005, pour Elvis c'est une page qui se ferme. Il est loin de se douter qu'il a été repéré par France Ngo Mbock50(*). Elle ira à sa recherche et l'invitera à rejoindre la Compagnie Diben qu'elle dirige alors. Il évolue en son sein comme comédien également. Il écrit en même temps de la poésie ce qui lui vaut la médaille d'or du concours de poésie du Bleuet International en 2006. Il devient passionné d'écriture et sa position de comédien lui confère l'envie d'écrire pour la scène. Il commencera par des sketches souvent co-écrit avec les autres membres de Diben, puis son écriture s'émancipera. Il continuera de peindre, avec les mots cette fois, la société qu'il observe avec ses yeux d'auteur. C'est ainsi qu'il passera de la poésie à la nouvelle, au roman, puis au théâtre. Il décide d'assumer totalement son travail d'artiste et il ne fait que ça. Choisir de faire de l'art une profession au Cameroun et plus encore « auteur », ne séduit personne et encore moins ses parents qui ont en plus beaucoup de mal à accepter son nouveau look : des dreads locks. Révolutionnaire dans le look et au-delà de tout par ses idées, ses amis le surnomment « le Che » en référence au Che Guevara51(*). Malgré ce surnom affectueux, il décide de signer ses oeuvres de son vrai nom. Loin de se laisser démonter par les critiques, Bvouma s'investira et mettra en oeuvre plusieurs moyens qui lui permettront d'aller à la conquête de son nouvel amour : l'écriture théâtrale. Son premier jet est Monopolar qui ne passera pas inaperçu. C'est le début de l'histoire d'amour de ce Camerounais avec la dramaturgie. Auteur prolifique, il sera amené à partager son expérience au travers d'ateliers d'écriture théâtrale qu'il dirige au Cameroun et sous d'autres cieux. Il cofondera avec Ousmanou Sali le Zouria théâtre et sera le promoteur du Contexthéâtral, un chantier d'écriture contemporaine qui se tient à Yaoundé depuis 2013. Son talent incontestable, lui permettra aussi d'écrire des séries courtes comiques pour la télévision. Bien que non-éditée, sa pièce Monopolarsera sélectionner aux Récréatrales52(*) à Ouagadougou. La proposition de mise en scène envisagée par Valery Ndongo ne sera pas retenue pour la suite mais le texte fera parler de lui et de cet auteur venu de nulle part. La pièce sera néanmoins mise en scène plus tard par Valéry Ndongo, qui tient toujours à son projet, et jouée au Centre Culturel Français de Yaoundé et de Douala. Pendant la même période, un autre texte de Bvouma, Les Martyrans, est mis en scène cette fois par Serges Fouha. D'abord programmée au Centre culturel français de Yaoundé, cette représentation fera l'objet d'une tournée à Yaoundé, à Douala et en France. Le public et le monde du théâtre se demandent « qui est cet auteur talentueux qui est monté par les jeunes metteurs en scène ? ». Loin de s'arrêter là, notre auteur va continuer d'affuter ses armes : ateliers d'écriture, Stages, et résidences, lui permettent de se bâtir. Bvouma fait la rencontre d'Alfred Dogbé53(*). Ce dernier donnera un conseil qui va encore ajouter une nouvelle corde à l'arc de notre désormais comédien-auteur : « Si tu veux que ton écriture existe, met tes textes en scène, c'est ce que j'ai fait moi-même ». En effet, après Monopolar et Les Matyrans, portés à la scène par ses amis du théâtre, Bwouma écrit mais il n'existe plus sur les plateaux. C'est un problème quand on sait que la notoriété d'un auteur dramatique aujourd'hui c'est sa capacité à se faire jouer. Anne Ubersfeld54(*) le dit si bien « Le théâtre n'accède à l'existence que joué ». Qui pour faire exister Edouard Elvis Bvouma ? Pouvons-nous nous demander pour paraphraser Anne Ubersfeld. Qui pour faire exister son théâtre ? En effet Valery Ndongo se tourne vers, un art émergent, le Stand-up et Serges Fouha a quitté le pays. Les propos de Dogbé, raisonnent dans l'esprit de l'auteur mais ont, dans un premier temps, beaucoup de mal à être appliqués. En effet, il sort de l'école de France Ngo Mbock citée ici par Bvouma : « on ne s'improvise pas metteur en scène, il faut d'abord avoir bien roulé sa bosse sur les planches ». Un peu plus tard en 2010, il écrit Petit à petitl'oiseau perd son nid. Cette pièce attirera le regard d'un promoteur culturel qui se proposera de financer et de tout mettre en oeuvre pour la création et la tournée effective d'un spectacle. Le projet tombe à l'eau car le promoteur ne s'y investit pas comme conclu. Pourtant Bvouma se voyait déjà jouersur plusieurs scènes. Cette mésaventure lui fera se remémorer les propos de Dogbé. C'est décidé : il veut mettre en scène même s'il n'a pas fait les planches assez longtemps. Il met sur pied une petite équipe et se concentre sur la création du projet que le promoteur n'a pas conduit à son terme. Pendant qu'ils sont en résidence de création, le Goethe Institut de Yaoundé lance un concours de mise en scène pour son cinquantenaire au Cameroun. Ambitieux, Bvouma voit en cet appel, une occasion d'éprouver ses aptitudes dans la fonction de metteur en scène. Son équipe et lui mettent en stand-by le travail sur Petit à petit l'oiseau perd son nid et vont à la quête du titre. Il est question pour tous les participants de proposer lamise en scène d'un extrait de l'oeuvre Iphigénie en Tauride de Goethe imposé par le concours. A la clé, la possibilité de monter tout le spectacle qui sera joué au Goethe Institut de Yaoundé et une enveloppe. La mise en scène de Bvouma remportera le concours devant celle de professionnels plus aguerris tels que Jacobin Yarro, Junior Esseba, Annie Tchawack...en 2011. Il se remettra sur la création de Petit à petit, l'oiseau perd sonnid. La pièce jouée au Centre Culturel Français sera un succès. Elle sera représentée plusieurs fois à Yaoundé, Douala, Ndjamena et Kinshasa. Il faut noter que ces spectacles naissent sous le sceau de la Cie Zouria Théâtre qu'il co-fonde avec Ousmanou Sali. Il renouvèlera l'expérience en 2013 avec son texte Le Deal des Leaders et en 2014 avec L'assemblée des Femmes deAristophane. Le conseil de Dogbé avait porté des fruits : les textes de Bvouma seront lus, mise en espace, ou créés en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis. Comme avec l'écriture, Bvouma se diversifie. Il met en scène des spectacles de stand-up à succès qui tournent. Il s'agite de Don't Cry, Stand up ! (2014) et Je suis Charlotte (2017) ; deux one woman show de Charlotte Ntamack. En 2018, il met en scène l'humoriste camerounais Petit gougou dans son one man show Si jeunesse savait... Bvouma réussit à tirer son épingle du jeu dans un contexte hostile au théâtre. En effet depuis plusieurs années, le théâtre au Cameroun traverse une crise. Il n'y a plus d'espaces de création et de performance, plus de salles de spectacles, pas de Théâtre. Il restait quelques festivals agonisants qui ont fini par s'essouffler. Plusieurs théâtraux : acteurs, metteurs en scène, sont partis vivre hors du pays. Les actrices se marient et abandonnent le théâtre. Sa génération se bat pour que par la passion, vive le théâtre. Pour emprunter l'expression au dramaturge congolais, Dieudonné Niangouna, cette génération fait de la « résistance théâtrale ». Bvouma fait partie de ces auteurs qui apportent un nouveau souffle au théâtre camerounais au-delà du manque d'infrastructures et de politique culturelle. C'est parce qu'il est plein d'espoir en l'avenir de ce théâtre qu'il ne cesse d'écrire, mais aussi de penser des stratégies pour participer à une redynamisation de celui-ci. C'est dans cette optique qu'il promeut le « Contexthéâtral » qu'il définit lui-même comme un chantier d'écritures contemporaines. Il est important pour lui de parler au public camerounais, mais également à tous ceux du monde. * 49 Essindi Mindja, 1945-2005, enseignant d'histoire et de géographie au Lycée Leclerc de Yaoundé, humouriste camerounais célèbre. * 50 France Ngo Mbock : Comédienne-metteure en scène camerounaise. Directrice et fondatrice de la Compagnie Diben. * 51 Che Guevara, 1928-1967, révolutionnaire et homme politique argentin célèbre. * 52 C'est un projet qui a vu le jour en 2002 donc le but est d'offrir aux artistes de théâtre africains un espace de travail, de formation et de réflexion. Il se tient au Burkina. * 53 Alfred Dogbé, 1962-2012, Niger, Nouvelliste, dramaturges, scénariste, poète. * 54 Anne Ubersfeld, 1918-2010, France, historienne du théâtre. |
|