2. Un plaidoyer comme processus :
Nous avons, dans le cadre de notre travail, identifié
quatre étapes d'élaboration du plaidoyer dans les associations
rencontrées : 1. Prise de conscience d'une injustice collective 2a. La
construction d'un point de vue 2b. La construction d'une
légitimité 3. La formulation et le choix des outils de plaidoyer
4. La revendication. Une cinquième étape, mentionnée par
une informatrice, qui n'est pas faite dans les associations est l'étape
de l'évaluation de l'impact de ce plaidoyer.
Un guide de l'agence canadienne de santé
publique62, à l'attention des associations en vue de les
former et de les sensibiliser au plaidoyer en santé présente
aussi des étapes pour la construction d'un plaidoyer efficace : 1.
reconnaître le problème; 2. élaborer un
énoncé de position/politique; 3.
définir les buts et objectifs; 4.
déterminer les possibilités et les risques; 5.
repérer les intervenants et leur opinion; 6.
choisir sa méthode de plaidoyer; 7. formuler des
messages clés; 8 créer un plan d'action; 9.
l'instaurer et l'évaluer.
La différence d'étapes entre le guide et ce que
nous avons trouvé s'explique par plusieurs raisons. La publication
canadienne est un guideline précis et détaillé, à
suivre pour élaborer un plaidoyer politique pour un problème de
santé. Ils insistent sur l'anticipation et la préparation
rigoureuse et méthodique du plaidoyer pour une revendication. Notre
étude du plaidoyer a dégagé ces étapes car elles
sont récurrentes mais ne sont pas systématiques et
appliquées stricto sensu. De plus et nous le verrons plus tard
le plaidoyer se construit à l'initiative des femmes et ne poursuit pas
toujours dès le départ, un objectif précis de
revendication. Celui-ci se construit au fur et à mesure du processus.
62 ASSOCIATION CANADIENNE DE SANTE PUBLIQUE (2009) « Le
leaderchip en Santé Publique : Un guide de plaidoyer pour les
associations de santé publique »
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2.2.1. Les cinq étapes du plaidoyer :
Tableau 4. : Les étapes du plaidoyer :
1. Prise de conscience d'une injustice collective
A ce stade, l'objectif est de rendre compte qu'une situation
problématique individuelle, à cause des différents
mécanismes de domination, est une injustice collective. Il faut qu'il y
ait cette phase de prise de conscience pour pouvoir enclencher toutes les
autres étapes du plaidoyer. Nous retrouvons donc à cette
étape le travail de plaidoyer qui prend la forme d'animations,
d'ateliers et d'échanges entre femmes. C'est aussi entre autre le
travail d'éducation permanente qui est à la base du travail de
plaidoyer.
« Il faut d'abord prendre conscience de l'enjeu
collectif. Ça ce n'est déjà pas évident. Les femmes
sont parfois fort isolées, avec des statuts culpabilisants, qui ne
travaillent pas, de milieu populaire, migrantes. (...) Du coup c'est
déjà tout un travail de dire « on vit plus ou moins toutes
les mêmes choses et on trouve que c'est injuste » »
Carolle
2a. Construction d'un point de vue et d'une vision commune:
Cette étape consiste à développer une
analyse et un argumentaire en fonction de la problématique qui touche
les femmes. Cela s'illustre par des groupes de travail ou de réflexion
qui permettent d'analyser les situations d'injustice, de faire des liens avec
d'autres
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problèmes et de déceler les causes et les
conséquences de ce problème. Il s'agit de décortiquer des
situations pour pouvoir argumenter et rendre plus fort le message à
diffuser par la suite. Le terme de « construction » montre que c'est
un processus plus ou moins long qui évolue au fur et à mesure des
échanges. Ce travail peut prendre différentes formes : soit
à huis clos avec certaines femmes soit lors de rencontres nationales par
exemple où il peut être plus créatif.
« Nous allons essayer de développer un point
de vue. Par exemple, il y a eu une recherche action sur la
précarité et les violences conjugales. Là, nous prenons
vraiment le temps de pouvoir développer une analyse fine, à
partir de tout ce qu'on observe» Carolle
« Avec les femmes, nous sommes parties de dessins
'qu'est-ce que c'est la violence pour vous ?'. Les femmes dessinaient. Quand on
voit les dessins, on a l'impression que ce sont des dessins d'enfants mais ils
veulent dire beaucoup de choses, après, on en a fait avec une
dessinatrice et on a pris ceux qui représentait le plus la violence
contre les femmes. On a sélectionné une quinzaine et de ces
dessins-là, on a travaillé avec des animatrices pour plaider et
lutter contre ça » Fouzia
2b. Construction d'une légitimité :
Cette étape est liée à la
précédente et se fait parfois en même temps. En effet la
légitimité se construit par l'argumentaire élaboré
dans la phase de construction du point de vue et de la vision autour d'une
problématique. Cependant la construction d'une légitimité
passe aussi par les partenariats et les échanges avec d'autres
structures associatives féministes ou d'autres secteurs. Cela permet de
multiplier les points de vue et d'être attentif à des
problématiques récurrentes chez les femmes. Les partenariats avec
l'université permettent aussi d'avoir une plus grande
légitimité. Ce travail de co-construction d'un savoir et d'une
légitimité est assez courant mais n'est pas
systématique.
« Dans ce domaine-là (secteur du logement), on
est plus dans un travail de réseau avec d'autres associations Je trouve
que c'est intéressant de le faire quand il y a des enjeux communs car on
a plus de force. Mais parfois quand on a des choses assez spécifiques,
on ne rencontre pas toujours les acteurs qui partagent les mêmes
enjeux» Carolle
« L'université est importante comme partenaire
car elle porte une voix légitime. (...) La place des universités
dans le plaidoyer à tout son sens. C'est aussi eux qui vont être
écoutés, en fonction des recommandations qu'ils font.»
Manue
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Le nombre de personnes impliquées dans cette
étape est aussi un moyen d'augmenter la légitimité. Elle
est à la fois destinée à une éventuelle
revendication auprès de décideurs politiques mais aussi sur le
terrain auprès des autres acteurs impliqués dans le plaidoyer
(autres associations, public de l'association...)
3. Formulation et choix de méthodes de revendications
:
Cette troisième étape consiste à exposer
son point de vue dans une optique de revendication ou de dénonciation et
de choisir la façon la plus adaptée pour porter cette parole
revendicatrice. Il s'agit dans ce cas de construire un argumentaire pour une
demande et des revendications précises à destination des
décideurs politiques, médias mais aussi du grand public. La
différence avec les étapes précédentes
réside dans le fait que le plaidoyer bascule dans une optique de
revendication et d'interpellation. L'objectif est alors de transformer le
problème collectif en problème social et public.
« Quand ça reste au sein de la Maison
Mosaïque, ça va plus ou moins mais alors le dire publiquement, de
se sentir légitime et finalement sortir la parole du cocon, c'est autre
chose et ça prend beaucoup de temps. » Carolle
Le choix des stratégies de revendications
dépend alors des objectifs de ce plaidoyer, des ressources disponibles
et du temps qu'il faut pour mettre en place les activités de
revendications.
4. La revendication :
La revendication est le produit final et la fin du processus
de plaidoyer et rend visible tout le travail de construction en amont. Cette
revendication peut être directement adressée à des
décideurs politiques ou au grand public. Il faut, à cette
étape être très créatif et inventif pour arriver
à être le plus représentatif des situations vécues
par les femmes si celles-ci ne peuvent pas participer. Comme nous l'avons vu
dans la partie sur les outils de plaidoyer, les outils peuvent être
très variés.
5. Mesurer l'impact du plaidoyer:
Mesurer l'impact du plaidoyer au niveau des décisions
politiques et de l'opinion publique peut être une cinquième
étape pour clore le processus de plaidoyer. Cependant ces
évaluations ne sont pas faites systématiquement par les
associations. Les personnes
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rencontrées ont le sentiment que certaines de leurs
actions ont fait évoluer les choses mais la dimension complexe et
multifactorielle d'une prise de décision décourage
l'évaluation plus approfondie de ces actions. Les travailleuses ont
cependant un retour de ce qui se dit et fait au niveau politique, qu'elles
transmettent à nouveau aux autres membres des associations afin
d'être mises au courant des évolutions.
« Pour les violences, j'ai lu la déclaration
gouvernementale et je pense que quand même si on n'avait pas fait toutes
nos activités et les autres associations, on ne serait peut-être
pas arrivé là. Ce n'est pas la première fois qu'on se pose
la question. Evaluer l'impact est très complexe. » Gisela
Le plaidoyer est considéré comme complet
lorsqu'il comprend toutes ces étapes et aboutit à une
revendication. C'est un parcours qui est souvent long et fastidieux. Cependant,
dans la dimension « Plaidoyer de terrain », les activités ne
visent pas forcément à aboutir à une revendication. Il se
peut alors que cela fasse un retour en arrière pour alimenter une
étape précédente du plaidoyer. Par exemple, les ateliers
et activités de construction d'un point de vue et d'une forme de
légitimité permettent par la suite de créer un outil ou
des supports pour favoriser « la prise de conscience d'un enjeu collectif
». A l'inverse dans certaines situations d'urgence (par exemple un projet
de loi proposé par un décideur, contraire aux valeurs de
l'association), la dimension « Plaidoyer de revendication » se passe
d'un travail politique co-construit avec les femmes.
Dans ce cadre-là, une activité de plaidoyer peut
réunir différents objectifs du plaidoyer.
« Il se peut qu'il y ait des prises de positions dans
l'urgence, en fonction de l'actualité. Nous ne refaisons pas pour cela
tout le processus. C'est le travail de tous les jours qui nous donne la
légitimité de parler car ancré et co-construit »
Aline
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