Section II: spécificité du marché
de travail au Burkina Faso
Le marché de travail Burkinabè est
caractérisé par une segmentation type des pays en voie de
développement et une progression de l'offre de travail par rapport
à une demande qui lui est toujours inférieure.
1. La segmentation du marché du travail
La segmentation du marché du travail est une
stratégie adoptée par les entreprises en vue de faire face
à la question de l'ajustement de l'emploi par rapport à la
variation de la production. Cet ajustement est lié à
l'hypothèse centrale d'incertitude de l'environnement dans lesquelles
les entreprises opèrent. En rappel, la théorie de la segmentation
est née à la fin du 19ème siècle
après les travaux des institutionnalistes (VEBLEN, COLE, PERLMAN), puis
des néo-institutionnalistes fondateurs de l'économie du travail
à savoir (DUNLOP, ROSS, KERR, FISHER, etc.). Dans les années
vingt et trente le constat aux Etats Unis montre des inégalités
persistantes entre les couches sociales. Ces inégalités
conduisaient à des inégalités dans la «
répartition« de la pauvreté et du chômage.
Les différentes théories de la segmentation
insistaient sur le caractère dual du marché de travail
(marché interne et externe, primaire et secondaire, moderne et
traditionnel, urbain et rural...). Mais cette segmentation dualiste du
marché de travail ne corrobore pas avec la réalité des
économies en voie de développement notamment celle
Burkinabè dans la mesure où le taux de salariat reste encore
faible. Le Projet d'Appui Régional à l'Intégration (PARI)
a effectué en 2002 une segmentation en dix groupes d'individus au
Burkina Faso étant donné
l'hétérogénéité et la
précarité du marché du travail. Les segments
considérés sont les salariés protégés, les
salariés non protégés, les indépendants non
agricoles évolutifs, les indépendants non agricoles involutifs,
les agriculteurs progressifs, les agriculteurs de subsistance, les
chômeurs, les éleveurs, les autres actifs et les inactifs.
L'élément central à noter dans cette
segmentation est quelle dépasse le caractère dual mais remplit
les conditions de RYAN (1981) qui sont :
? Le fonctionnement à l'intérieur d'un segment
diffère de celui d'un autre segment ;
? L'existence des barrières à la mobilité
entre les segments de nature particulière. Si nous devons nous en tenir
à la perception duale du marché du travail dans l'économie
du Burkina Faso, nous retiendrons le secteur moderne et le secteur
traditionnel. Mais vu que l'économie Burkinabè tout comme celle
des autres pays en développement est caractérisée par un
sempiternel problème de désarticulation sectorielle et de la
faiblesse du salariat, cela rend moins pertinente la segmentation duale. Pour
rester en phase avec l'hypothèse selon
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laquelle la segmentation implique simultanément
cohésion à l'intérieur des segments retenus et divergence
entre eux, on peut alors ébaucher une typologie en quatre segments
(KOBOU, 1994) : le monde rural, le secteur informel, la fonction publique et le
secteur privé.
? Le segment lié au monde rural
L'activité principale du monde rural est l'agriculture
et l'élevage qui emploient plus de 80% de la population active
Burkinabè. La main d'oeuvre est abondante mais reste peu
qualifiée. Une des caractéristiques de ce segment est la
faiblesse de son salariat et un sous-emploi rural en baisse: selon le MJFPE
(2010), le sous-emploi touchait un quart de la population occupée au
Burkina mais avec une proportion deux fois plus forte en milieu rural. Le taux
de sous-emploi visible a sensiblement diminué entre 1998 et 2007.
Passant de 38% à 24,5%, ce sous emploi touche relativement plus les
femmes et les jeunes (MJFPE, 2010).
En 2011, le secteur primaire a contribué à
hauteur de 35,4% à la formation du PIB (OCDE, 2012) mais le constat
général est que le secteur agricole est de type de subsistance et
reste dominé par un tissu entrepreneurial embryonnaire. L'agriculture,
essentiellement de type traditionnel, est dominée par l'exploitation
familiale et est fortement menacée par les changements climatiques.
? Le segment lié au secteur informel
Ce secteur est plus développé dans les zones
urbaines et occupe la majorité de la population active urbaine
Burkinabè. Il regroupe l'ensemble des micros entreprises individuelles
ou collectives qui s'exercent en dehors des régulations publiques. Ces
micro unités opèrent sur une très petite échelle
avec un très faible niveau d'organisation et de productivité et
absorbe une partie de la main d'oeuvre du monde rural. Le secteur informel est
aussi caractérisé par l'absence ou la faiblesse de son capital.
Selon le rapport de l'UEMOA (2002) moins de 10% de cette population a
accès aux emprunts bancaires à Ouagadougou et les conditions dans
lesquelles les entreprises évoluent sont souvent précaires
(locaux inadaptés, non accès aux principaux services publics).
Les emplois informels souffrent d'une faible rémunération et de
l'absence de protection sociale. Les normes légales régissant la
durée du travail ne sont pas respectées. La particularité
de ce secteur réside dans le fait qu'une augmentation de la demande de
produits n'entraine pas une augmentation de la taille des entreprises (des
emplois), mais plutôt une augmentation de leur nombre.
Ces deux segments (rural et informel) peuvent être
regroupés pour former le marché traditionnel. Comme le
marché moderne n'est pas homogène on va le scinder en deux sous
marchés :
? La fonction publique
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L'Etat recrute des personnels à travers le
Ministère de la Fonction Publique du Travail et de la
Sécurité Sociale. Le taux de salariat est élevé
mais l'affectation des individus aux emplois ne pas toujours la logique d'une
gestion rationnelle de la main d'oeuvre. En effet, entre 2000 et 2008, le
nombre de fonctionnaires est passé de 48 239 à 81 042 soit une
augmentation de 68% (MJE, 2009). Cette rapide augmentation des effectifs de la
fonction publique est à mettre à l'actif du gouvernement qui
déploie des efforts dans la création de nouvelles fonctions. En
plus, 47% des agents de la fonction publique ont un âge compris entre 30
et 40 ans. Les moins de 30 ans représentent 19 % et les personnes de 40
à 44 ans représentent 13%. Les plus de 60 ans ne font que 1% des
fonctionnaires. Au regard de cette situation, la question majeure reste
l'accès à l'emploi de la jeune génération des moins
de 18 ans dans la mesure où il y'a un grand déséquilibre
entre le nombre de ceux qui vont à la retraite et le nombre de ceux qui
demandent l'emploi.
? Le secteur privé
Il regroupe le privé formel et le privé
informel. C'est dans le privé formel que la politique d'emploi suit une
gestion rationnelle de la main d'oeuvre. Le privé formel est
caractérisé par un taux de salariat élevé et une
contribution à l'emploi total faible. En 2008, 497 171 agents sont
employés par les entreprises installées au Burkina Faso, avec un
ratio d'une femme pour six hommes (ONEF, 2009). En considérant le niveau
d'emploi de 2008 du privé formel, nous obtenons une contribution
à l'emploi total de 6,6% au Burkina Faso. De façon
générale, les emplois dans le privé formel au Burkina Faso
obéissent au même profil que dans la fonction publique mais la
particularité réside dans le fait que l'expérience est
liée au niveau d'étude et à la catégorie
professionnelle.
Le secteur privé reste le secteur qui emploie le plus
au Burkina. Selon l'INSD (2010) le secteur privé informel
représentait plus de 50% du PIB au Burkina et constitue le principal
secteur pourvoyeur d'emplois en milieu urbain et rural. Ainsi, le secteur
privé notamment le privé informel reste un maillon important de
l'économie nationale et surtout de la création d'emplois au
regard de son poids et de son rôle de stabilisateur
socioéconomique. Selon SOULAMA et ZIO (2004), pour que ce secteur puisse
jouer convenablement sa partition dans le développement de
l'économie Burkinabè, le partenariat secteur public/secteur
privé se révèle être une nécessité en
vue de la mise en place d'un environnement propice à l'initiative
privée.
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