Le parti unique et la question de l'unité nationale au Togo de 1961 à 1990.( Télécharger le fichier original )par Balowa KOUMANTIGA Université de Kara - Maîtrise ès Lettre Sciences Humaines 2013 |
DEUXIEME PARTIE :LE PARTI RPT ET LA VIE POLITIQUE ET SOCIOECONOMIQUE SOUS LE REGIME MONOLITHIQUE (1969-1990)Dès son arrivée au pouvoir, le général Gnassingbé Eyadema fit de la réconciliation nationale, de la stabilité et de la paix le triptyque sur lequel il entendait fonder sa politique dite de nouvelle marche. Plusieurs actions sur divers plans, notamment sur les plans politique avec la politique de réconciliation nationale et socio-économique furent entreprises, découlant des origines des maux dont souffre le Togo. Quel bilan peut-on dresser de l'action du parti ? Les actions initiées ainsi que les moyens utilisées eurent des implications sur la vie politique et socioéconomique. Quelles furent ces implications ? Il s'agit dans cette partie, d'étudier dans un premier temps les divers moyens utilisés par le parti et dans un second temps d'aborder son action quant aux enjeux de son époque. Il revient à faire un bilan d'action du parti unique RPT dans le sens de l'unité nationale et de ressortir les implications sur la vie politique économique et sociale. Chapitre Troisième :LE RPT ET L'OEUVRE DE CONSTRUCTION DE L'UNITE NATIONALE (1969-1990) Le climat politique délétère qui régna au Togo à la veille de 1967 avait compromis de facto la paix et la cohésion nationale. Le peuple togolais aspirait profondément à un nouveau style d'existence. C'est ainsi que le Rassemblement du peuple togolais, dès sa création, a inscrit dans son agenda ses préoccupations et édicter une politique dite de Nouvelle Marche ou « New-Deal »74(*) définie comme « une nouvelle manière d'aborder les problèmes d'une mentalité positive ». Le RPT s'engagea dans la réalisation de ses objectifs dont l'unité nationale est la priorité des priorités. Faut-il le rappeler, la réalisation de tout but ou objectif se fait en terme de moyens c'est-à-dire de procédés ou mieux de techniques et d'actions. Dans ce chapitre, il s'agira donc pour nous de relever les moyens mis en oeuvre sous le régime RPT pour triompher les causes de l'institution de ce parti, puis de dresser un bilan de son action en faveur de ces mêmes causes. 1- Les moyens mis en oeuvre pour la construction de l'unité nationaleRéaliser l'unité nationale, c'est réunir les parties de manière à former un tout organique. Pour réaliser l'unité nationale au Togo, il a nécessité plusieurs moyens que nous pouvons résumer en pratiques juridiques et en pratiques politiques. 1.1- Les pratiques juridiquesIl faut entendre par moyens juridiques tout ce que l'autorité a cru devoir prendre comme mesure assimilable au droit. Ainsi, après le deuxième coup d'Etat, la première mesure réglementaire tendant à réaliser l'unité fut la dissolution et l'interdiction par décret présidentiel des partis politiques. Le choix du monopartisme qui sera institutionnalisé par la constitution de 1980 reste en lui-même le second moyen. En effet le pays était resté dans un vide juridique jusqu'en 1979, année où un référendum fut organisé pour ratifier une constitution proposée par le RPT et qui légalisait le parti unique. La diversité des partis politiques était considérée par le pouvoir en place comme néfaste à la cohésion comme l'indique les propos suivants du général Eyadema : « Je me suis demandé ce qui était à la base de la division de nos populations ; c'étaient les partis politiques car il suffit que deux frères de même père et de même mère soient de partis différents pour qu'ils ne se parlent pas »75(*). A cela il faut ajouter la législation électorale. Sous le parti unique les élections s'apparentent à un référendum. Les électeurs sont appelés à ratifier les choix du parti. En vertu de cette législation tout candidat à une quelconque élection ou ce qu'on pouvait désigner par tel devait être issu du parti76(*). En conséquence, le Président Eyadema restait le seul candidat aux élections jusqu'en 1990. Par contre au niveau des législatives, à la différence de la première législature (1980-1985), la seconde législature (1985-1990) fut caractérisée par la diversité de candidats mais tous issus du RPT (Amah 2010 : 81). Et le Président de la République pouvait justifier cette option en ces termes : « C'est pour éviter de réveiller le démon de la politique politicienne qui a failli engendrer la guerre civile, que le parti, au premier stade de [l'expérience] parlementaire, a cru bon de proposer lui-même des candidats pour être élus députés [...] Compte tenu des résultats positifs de cette expérience, et dans le souci de poursuivre le processus de démocratisation amorcé, les candidats à l'occasion du prochain renouvellement de l'Assemblée voleront de leurs propres ailes » (Danioue 1994 : 256). La concentration des pouvoirs fut aussi l'une des pratiques. Au terme de la constitution de 198077(*), le chef de l'Etat détenait la totalité du pouvoir exécutif. Il est tout ; il est le chef des armées (article 16)78(*), détenteur du pouvoir réglementaire (article 15) et du pouvoir discrétionnaire de nomination (article 17) et chef du gouvernement (article 20). Parlant de cette situation de concentration des pouvoirs en Afrique, P-F. Gonidec, éminent analyste politicien écrit : « Principium et fonds détenteur du pouvoir gouvernemental, dont les ministres ne sont que les organes d'exécution, le président de la République est le chef dans toute la plénitude du terme. » (Gonidec 1971 : 270) La centralisation s'opéra aussi au niveau de l'administration du territoire. Les délégations spéciales de circonscriptions et des délégations spéciales municipales restèrent longtemps en vigueur après la dissolution des conseils de circonscription ainsi que des conseils municipaux instaurer sous la première République79(*). L'ensemble de ces moyens juridiques favorisait la stabilité dans la mesure où l'unicité des candidats aux élections, d'ailleurs sans enjeux véritables, épargnait le pays de contestations électorales sources de violences ouvertes et d'instabilité. Toutefois, nous ne pouvons affirmer avec certitude que le choix des candidats au sein du parti se faisait à l'unanimité et donc qu'il n'y avait pas de contestations internes. La concentration des pouvoirs quant à elle permettait au président de la République d'user de tout son poids pour faire appliquer les mesures d'intérêt national sans souffrir de blocage. Ainsi, elle était-elle source de stabilité et aussi d'assurance d'une pérennité au pouvoir. Par ces moyens le parti s'est enraciné partout et pouvait réaliser sa politique d'unité nationale. Ces pratiques ont été complétées par des pratiques politiques. * 74 Nom donné au programme mis en oeuvre par le Président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt entre 1933 et 1938 pour contrecarrer les effets de la grande dépression due à la crise économique de 1929. Dans le cas du Togo, c'est donc une figure de rhétorique qui établit un rapport de similitude entre la situation de crise qui prévalait en ce moment au Togo et les mesures envisagées. * 75 Discours du Président Eyadema aux populations de Lomé le 19 novembre 1976, in Allocutions et discours du Président Fondateur 1969- 1979, tome II, p. 970. * 76 Les décrets convoquant le corps électoral illustrent cette affirmation. Les électeurs sont appelés à répondre par oui ou par non à un choix. Voir JORT 1971 numéro spécial du 29 décembre décret 71-221 du 29/12/71 ; JORT 1979 numéro spécial du 14 décembre décret 79-285 du 13 décembre 1979. * 77 Constitution de 1980, JORT, numéro spécial du 12 janvier 1980. * 78 Constitution de 1980, JORT, numéro spécial du 12 janvier 1980. * 79 Ordonnance numéro 4 et numéro 5 du 27 janvier 1967, JORT 1967, numéro spécial 30 janvier 1967. |
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