Le parti unique et la question de l'unité nationale au Togo de 1961 à 1990.( Télécharger le fichier original )par Balowa KOUMANTIGA Université de Kara - Maîtrise ès Lettre Sciences Humaines 2013 |
1.2- Les pratiques politiquesL'un des moyens politiques a consisté à évoquer et à instrumentaliser l'histoire afin de dénoncer les violences et le tribalisme sous toutes les formes. Ainsi les acteurs de la vie politique entre 1958 et 1963 sont accusés de tribalistes comme l'illustre cet extrait de discours du Président-fondateur du RPT, le général Gnassingbé Eyadema prononcé à l'ouverture du troisième congrès statutaire du RPT : « Nous avons souvenance des efforts, des privations, des sacrifices consentis par les uns et les autres pour que naisse la Nation togolaise. Mais malheureusement, ce combat commun, qui aurait dû rapprocher les hommes et unir le peuple, a été très tôt détourné de son but, par une caste de dirigeants privilégiés, avides de pouvoir pour le pouvoir, avait vite fait de confisquer à son bénéfice exclusif le fruit de l'effort commun. Ainsi, il s'installait contre la volonté du peuple, une oligarchie de circonstance dont l'action était fatale à l'unité nationale. »80(*) L'exaltation du sentiment national par l'histoire devait servir à sublimer le présent et constituer un ferment pour l'unité nationale. Au delà de ce discours, c'est tous les discours ou presque qui stigmatisent ce comportement chez les premiers dirigeants du Togo indépendant. La dénonciation et la condamnation du tribalisme devaient aboutir à un désaveu du tribalisme et par ricochet magnifier le parti qui devait bénéficier des effets bénéfiques du rejet de cette vile attitude. La dénonciation et l'instrumentalisation visait aussi à dissuader les populations de toute idée d'opposition ou de contestation. La dénonciation à outrance des complots de déstabilisation, même les plus imaginaires, relève de la même logique. L'idéologie officielle tendait à présenter les opposants comme des ennemis à la nation, qui sont contre l'unité nationale81(*). Un autre procédé fut la dénonciation de l'impérialisme et du néocolonialisme. Le 24 janvier 1974, sorti indemne de l'accident d'avion à Sarakawa, le Président ne tarda pas à trouver derrière cet évènement la main de « la haute finance internationale ». Cette accusation n'est ni aussi simple ni aussi gratuite. Tout à coup le peuple s'unit derrière ses dirigeants pour condamner cet acte ignoble. Ainsi l'anti-impérialisme, un des thèmes phares du RPT contribuait à la recherche de l'unité nationale. Le rejet du néocolonialisme s'est accompagné du rejet de la culture exotique. La politique de l'authenticité culturelle a été mise à contribution dans la recherche de l'unité. Elle consistait en l'affirmation de la culture togolaise dans sa diversité car l'affirmation de sa culture propre est un élément de prise de conscience, facteur d'unité et de cohésion. Dans les faits, elle n'est pas allée plus loin que l'abandon momentané des prénoms chrétiens et des habitudes vestimentaires alors qu'elle devait mettre en lumière la vocation culturelle propre à chaque région. Ce qui fait dire qu'elle n'a été en réalité qu'une campagne de déchristianisation des prénoms. Tout parti assure la cohésion interne par une idéologie82(*). Dans le cas du RPT, parti unique togolais, quelle est son idéologie ? Au RPT, on affirme ne pas avoir une idéologie mais plutôt des idéaux83(*). A première vue, l'absence d'une idéologie relève de la politique d'ouverture inaugurée sous la première République et de la politique de non alignement dans un monde que se partageaient les idéologies capitaliste, socialiste et communiste afin de bénéficier en cas de besoin de l'aide extérieur au développement. Mais ce refus de s'affubler d'idéologie révélerait aussi une stratégie visant à se débarrasser de tout ce qui pouvait être source de diversion dans la mesure où le choix d'une idéologie éloignerait de facto les adeptes de toute idéologie contraire. L'absence d'une idéologie chez le RPT dénote d'une souplesse d'une ouverture du parti unique togolais contrairement à ses pairs africains. Le contrôle de l'information fut un autre moyen. Ainsi le pouvoir s'est assuré une bonne maîtrise du quatrième pouvoir. Pour ce faire on assista à une restriction de la liberté d'expression. La presse fut mise sous surveillance (Batchana 2008 : 346) car : « Les dissensions entre Togolais dues en grande partie aux luttes stériles de la politique ont été volontairement et soigneusement entretenues par les lettres et documents anonymes distribués clandestinement dans le dessein de continuer par dresser les citoyens, les collectivités et les groupements les uns contre les autres et de maintenir la haine et les troubles dans notre pays » (Batchana 2008 : 346). Dès 1967, des dispositions avaient été prises tendant à un meilleur contrôle du secteur de l'information par exemple la déclaration des machines à écrire et à reproduire les documents84(*). Dans ces conditions, la presse privée et indépendante disparu au profit de la presse nationale. Mais, cette dernière fut mise au service du parti et de son chef et de son image de marque (Batchana 2008 : 355). La politique qui présidait à la fabrication et à la diffusion des organes de la presse togolaise, pouvait se résumer en quelques mots : informer les Togolais des orientations politiques nationales et des réalisations accomplies dans les domaines économique, culturel et social, afin de les préparer à la mobilisation et au militantisme au sein du RPT. Le désir de contrôler l'information relève du « souci permanent et de la volonté inébranlable de conduire enfin le Togo à une véritable et sincère réconciliation nationale »85(*). Le caractère multinational des Etats africains en général et du Togo en particulier nécessitait plutôt une politique favorisant la cohésion nationale. Tous ces moyens ont été accompagnés par des actions concrètes. * 80 Rapport du troisième congrès statutaire du RPT, p. 15. * 81 On ne voit pas l'utilité d'une opposition et n'accepte pas que l'opposition est une caractéristique nécessaire d'un régime politique. * 82 Gonidec fait ressortir l'importance des idéologies dans l'intégration nationale. * 83 Rapport du symposium national du 10e anniversaire tenu à Lomé p. 33. * 84 Décret du 2 mai 1967, JORT n° 357 du 16 juin 1967. * 85 J. Assila Togo presse, n° 1445 du samedi 06 mai 1967. |
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