II/ L'analyse nécessaire de la composition des
pools
L'analyse de la formation d'un pool nécessite
en premier lieu d'examiner l'identité de ses membres. Les Lignes
directrices européennes soulignent en ce sens l'aspect favorable
associé à la participation de personnes représentant des
intérêts différents à la création du
regroupement et à la
24 B. Versaevel et V. Dequiedt, « Patent Pools
and the Dynamic Incentives to R&D » Working Papers 0703,
Groupe d'Analyse et de Théorie Economique (GATE), Centre national de la
recherche scientifique (CNRS), Université Lyon 2, Ecole Normale
Supérieure, 2007.
25 R. Lampe et P. Moser, « Do Patent Pools
Encourage Innovation? Evidence from the 19th-Century Sewing Machine Industry
», Journal of Economic History, Mars 2010, p.900.
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détermination des conditions de licences26 :
de telles précautions réduiraient le risque que l'accord
restreigne la concurrence. Mais plus important encore, la plupart des
commentateurs s'accordent pour dire que l'étude des
caractéristiques des brevets contenus dans un pool (B), ainsi
que des relations économiques qui les lient (A), est d'une importance
cruciale pour déterminer le caractère proconcurrentiel ou
anticoncurrentiel des effets engendrés par le pool.
A) L'exigence de regroupement de brevets essentiels et
complémentaires
Les autorités de la concurrence américaine et
européenne s'accordent pour dire qu'elles sont favorables à la
présence de brevets essentiels et complémentaires au sein d'un
pool, même si l'appréciation de tels critères est
concrètement difficile.
1. Le bien-fondé de la Théorie de
l'Essentialité
Les brevets peuvent ainsi être rivaux,
complémentaires, bloquants ou sans lien27. Les brevets sont
dits rivaux, ou substituables, lorsqu'ils présentent des moyens
alternatifs pour la création de certains produits. Plus
concrètement, deux produits ou technologies sont substituables si
l'augmentation du prix de l'un deux accroît la demande pour le second.
L'analyse économique permet de conclure que les risques
anticoncurrentiels des pools naissent de l'inclusion en leur sein de
brevets substituables, dans la mesure où elle élimine la
concurrence qui aurait pu exister entre les détenteurs de brevets. Par
exemple, lorsque les entreprises de fabrication de verre aux Etats-Unis ont
formé le pool Hartford-Empire, elles ont mis en commun des
brevets qui protégeaient deux techniques substituables de confection du
verre. Le pool a ainsi pu exercer un contrôle quasi complet sur
l'ensemble du marché en fixant un prix de collusion, et éliminer
la concurrence qui aurait pu s'exercer entre les deux principales technologies
du secteur28.
Les brevets complémentaires en revanche sont des
brevets protégeant des inventions séparées, qui peuvent
être combinées pour créer un nouveau produit -ce qui
augmente d'ailleurs leur valeur. Certains auteurs soutiennent que l'existence
d'une complémentarité parfaite entre des brevets est très
rare, dans la mesure où une invention qui n'offrirait aucun
bénéfice par elle-même ne devrait
26 Commission Européenne, « Lignes
directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité
CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal
Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §231.
27 M. M. Fellig, « Patent Pools and
Competition Law : An Examination of the Enforcement Strategies of Competition
Authorities », op. cit., p. 52.
28 C.S., Hartford-Empire Co. v. United States, 46 F.
Supp. 541 (D. Ohio 1942), modifié par US.S 386 (1945).
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pas obtenir la protection d'un brevet29. Dans
certains cas, les brevets complémentaires sont sans valeur, voire
inutiles, lorsqu'ils sont détenus séparément : c'est ce
qu'on appelle des brevets bloquants. Cette notion demeure une source de
débats et de questions pour les autorités de la concurrence, car
les problématiques qu'elle soulève sont inhérentes
à la tension existant entre le droit de la propriété
intellectuelle et le droit de la concurrence. Quoiqu'il en soit, les brevets
complémentaires, de même que les brevets bloquants, peuvent mener
à la Tragédie des Anticommuns décrite plus haut.
Sur le fondement de cette distinction, les autorités de
la concurrence ont développé une doctrine de
l'Essentialité, qui permet de déterminer quels brevets
méritent d'être inclus dans un pool donné : il
s'agit d'un mécanisme qui consiste à examiner le contenu du
pool afin de vérifier qu'il incorpore bien des brevets
bloquants ou complémentaires. Plus précisément, un brevet
essentiel est un brevet nécessaire à l'utilisation de la
technologie, qui n'a pas de substitut, et qui est légalement valable.
Carl Shapiro explique que « the key distinction in forming a patent
pool is that between « blocking» or «essential» patents,
which properly belong in the pool, and «substitute» or
«rival» patents, which may need to remain separate
»30.
Ainsi, dans son analyse du pool MPEG-231,
le Department of Justice américain avait admis les effets
positifs du regroupement grâce à l'aide d'un expert
indépendant qui avait jugé que l'ensemble des brevets
regroupés dans le pool étaient essentiels à
l'utilisation du standard technique, dans la mesure où ils n'avaient
aucun substitut et où leur utilisation conjointe était
nécessaire.
Le Department of Justice américain souligne
par ailleurs dans une de ses Business Review Letters que l'inclusion
de brevets non-essentiels au sein d'un pool augmente le risque
d'exclusion d'autres technologies. La licence du portefeuille de brevets permet
en effet au preneur de bénéficier, sans coût
supplémentaire, d'un brevet non-essentiel au pool,
éliminant ainsi la demande pour une technologie substituable. En
ajoutant de tels brevets, les membres du patent pool disposent ainsi
d'un moyen de forclusion de la concurrence de brevets non-essentiels.
29 G. Goller, « Competing, Complementary and
Blocking Patents : Their Role in Determining Antitrust Violations in the Areas
of Cross-licensing, Patent Pooling and Package Licensing », Journal of
the Patent Office Society, 1968, p. 725. 30C. Shapiro, «
Navigating the Patent Thicket: Cross Licences, Patent Pools, and
Standard-Setting », in A. Jaffe, J. Lerner et S. Stern, Innovation
Policy and the Economy, MIT Press, Cambridge, 2001, p. 134.
31 Department of Justice Ð Antitrust Division,
Business Review Letter, Trustees of Columbia University, Fujitsu
Limited, General Instrument Corp., Lucent Technologies Inc., Matsushita
Electric Industrial Co., Ltd., Mitsubishi Electric Corp., Philips Electronics
N.V., Scientific-Atlanta, Inc., and Sony Corp. (collectively the "Licensors"),
Cable Television Laboratories, Inc. ("CableLabs"), MPEG LA, L.L.C. ("MPEG LA"),
26 juin 1997.
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