CHAPITRE DEUXIEME : CONTEXTE DE L'INTEGRATION
ECONOMIQUE REGIONALE ET CROISANCE ECONOMIQUE DANS LA SADC
Introduction
L'un des grands défis auxquels les pays africains sont
confrontés en ce vingt-et-unième siècle est, à la
fois, de réussir à créer des blocs économiques et
monétaires pouvant leur permettre de réduire le degré de
marginalisation dont ils sont victimes à l'échelle mondiale, et
de promouvoir leur développement socio-économique et
institutionnel durable. Dans une certaine mesure, ce double objectif peut se
rapporter en un seul, si l'on considère qu'une intégration
économique bien menée accélère la dynamique de la
productivité régionale. Une telle ambition nécessite
toutefois des mesures d'engagement fermes et une sérieuse prise de
conscience générale qui implique un pragmatisme implacable.
L'expérience de l'Afrique australe en matière de
construction régionale se dessine différemment des autres
organisations sous-régionales du continent, si l'on tient compte de son
histoire, de son organisation intérieure et de son fonctionnement. Elle
développe certes les mêmes objectifs que les autres regroupements
à savoir, s'intégrer «optimalement» pour mieux
renforcer ses efforts de développement socio-économique. Mais,
l'une des particularités de la régionalisation australe est
qu'elle est impulsée au départ par une volonté politique
et stratégique de s'affirmer contre l'hégémonie d'une
puissance africaine qui n'est autre que l'Afrique du Sud.
Aujourd'hui, la SADCC devenue la SADC depuis 1992, a
évolué tant sur la forme que sur le fond, et s'est
considérablement élargie, passant de cinq Etats lors de sa
création à quinze Etats à nos jours. Bien qu'elle ait
conservé son organisation institutionnelle décentralisée,
ses objectifs et ses stratégies ont tout de même changé
depuis sa refondation. En effet, l'Afrique du Sud, rentrée dans
l'organisation depuis 1994, n'est plus l'ennemi d'hier qu'il fallait combattre
politiquement et économiquement, mais le partenaire le plus important de
la région. Il va de soi alors que les objectifs comme la lutte
antiapartheid et la libération économique vis-à-vis de
l'Afrique du Sud soient délaissés pour donner naissance à
des nouvelles orientations tournées vers le renforcement de la
coopération et de l'intégration régionale, la lutte contre
la pauvreté et le développement régional réel.
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De la SADCC12 à la SADC signifie aussi le
passage d'une conférence de coordination à une communauté
économique qui s'explique par différents facteurs tant externes
qu'internes à l'organisation sous-régionale. En effet, sur plan
international, les événements de la fin des années 80 (la
chute du mur de Berlin synonyme de la fin de la guerre froide) et l'ampleur des
mouvements économiques et financiers induits par la mondialisation ont
influencé ce changement. Il devenait ainsi primordial pour des Etats de
l'Afrique australe de fortifier leur régionalisation pour
répondre aux mutations internationales auxquelles on assistait. Sur le
plan régional, une reconsidération spatiale en faveur d'une
région unifiée s'imposait compte tenu de la
démocratisation du système politique sud-africaine et de
l'indépendance de la Namibie, symbole de la fin du colonialisme dans la
région. Aussi, la révision de l'existence même de la SADCC
qui n'était qu'une organisation régionale de facto, sans
traité ni base légale (K. Dupreelle, 2001),
s'imposait afin de mettre en place un espace favorable aux échanges
bilatéraux et multilatéraux, au développement
régional des initiatives privées et des compétences,
à l'attractivité des capitaux et à la
productivité.
Malgré les fortes disparités structurelles au
sein de l'organisation australe, la SADC est aujourd'hui perçue comme
l'un des avancements crédibles du régionalisme en Afrique. En
effet, les réformes institutionnelles et économiques, le
développement et la répartition des unités sectorielles,
les réalisations des grands projets régionaux la placent sur une
trajectoire dynamique et rapide en termes processus d'intégration.
L'évaluation des potentiels d'unification régionale australe
repose sur la capacité des Etats membres à créer une
structure adéquate et viable face à la donne internationale.
C'est pourquoi une organisation régionale
reflète avant tout les pays qui la composent. Plus les Etats sont
tournés vers des accords de coopération réalistes, plus
pragmatique sera la régionalisation pour laquelle ils oeuvrent. La force
de la SADC réside dans le fait qu'elle soit conçue par des
économies complémentaires et substituables, par des pôles
de croissance et développement, et par des différentes ressources
tant naturelles qu'humaines.
L'organisation australe n'a pas seulement que des atouts.
Comme certaines organisations sous-régionales, son évolution
reste marquée par des incertitudes et des
rééchelonnements. En effet, le retard pris par des membres pour
conditionner leur économie à la concurrence régionale et
internationale a
12 Née en 1980, la Conférence pour la Coordination
du Développement de l'Afrique australe -
Southern African Development Coordination Conference -
doit son existence à un long processus de négociations et de
consultations politiques entamé en 1975 entre les différents pays
de la région.
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contraint l'organisation à différer la mise en
place d'une zone de libre-échange de 2008 à 2015. En plus,
l'ouverture des marchés à la concurrence étrangère
reste un sujet très délicat dans plusieurs pays de la zone. Les
gouvernements craignent en effet une déstabilisation de leurs
économies, encore trop fragiles pour pouvoir absorber un
déferlement des produits importés. En plus, une
libéralisation mal négociée risque d'avoir des
conséquences très graves sur le tissu social des pays
concernés.
C'est pourquoi, l'intégration économique
basée sur la coopération sectorielle (comme c'est le cas de la
SADC) trouve toute sa justification dans la mesure où,
l'hypothèse d'une véritable intégration économique
et commerciale sans entrave nécessite des nouvelles approches. Ceci
implique notamment des mesures devant permettre la suppression des
barrières et obstacles à la libre circulation des personnes, des
biens et des capitaux au sein de la région. Une configuration du type
«Union Européenne» exige des mécanismes institutionnels
et économiques très sophistiqués que ne peut, à
l'heure actuelle, prétendre la SADC. Le processus de
régionalisation australe est encore à ses débuts
malgré les 27 années cumulées de son existence. Il existe
donc des obstacles et des problématiques dont la résolution
demande plus de temps. De plus, l'hégémonie de l'économie
sud-africaine au sein de cette région donne à
l'intégration australe un aspect configuré de
polarisation/marginalisation entre un centre (Afrique du Sud) et une
périphérie formée par la plupart des autres
pays13.
2.1. INTEGRATION ECONOMIQUE REGIONALE DANS LA SADC
Pour les économies en développement, et
même pour les économies développées en l'occurrence
les pays européens, la construction des blocs régionaux semble
s'apparenter à un processus répondant à l'évolution
dynamique de la mondialisation. Ceci conduit justement à un débat
théorique et contradictoire sur l'essence même de la
régionalisation face à la mondialisation. Si, pour certains, le
regain du régionalisme est une réponse alternative à
l'approfondissement difficile du multilatéralisme à
l'échelle universelle (J-M. Siroën, 2004), pour d'autres, la
préférence communautaire qui se dégage du
régionalisme est vue comme une forme du nouveau protectionnisme
inter-blocs (P. Krugman, 1987). Pour d'autres encore, la poursuivre des
constructions régionales s'inscrit dans la continuité du
processus de la mondialisation et n'entrave en rien son évolution (J.
Bhagwati, 1993).
13 Lambert Opara Opimba, Op-cit., p62
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Mais par-dessus tout, la mise en place d'un bloc
régional répond aux besoins et aux compétences nationales,
aux convictions politiques, aux intérêts économiques et
à la forme de coopération que ces pays souhaitent bâtir. En
effet, les zones de libre-échange, les unions douanières ou
encore les marchés communs ont été les principales formes
choisies par les différents Etats de cette région pour encadre
leur effort de régionalisation (K. Dupreelle, 2001).
L'Afrique australe recèle d'indéniables facteurs
d'intégration. Au nombre de ceux-ci figurent les importantes
opportunités d'échanges commerciaux intra-régionaux,
l'existence de complémentarités économiques potentielles
et la présence de l'Afrique du Sud qui constitue un puissant pôle
de croissance. Toutefois, le programme d'intégration
sous-régionale se heurte à un certain nombre d'obstacles, au rang
desquels figurent le manque de convergence macroéconomique et de
stabilité, l'appartenance des pays de la sous-région à
plusieurs organisations d'intégration régionale, la
précarité de la situation sociale, l'incidence des catastrophes
naturelles et l'insécurité alimentaire qui en découle, la
stabilité politique et la gouvernance, et la quasi-inexistence
d'infrastructures de liaison entre les différents pays et les
contraintes institutionnelles internes.
Bien que l'objectif immédiat de la SADC ne soit pas de
disposer d'une monnaie commune, la convergence macroéconomique demeure
primordiale pour la réalisation de la stabilité
macroéconomique, qui est indispensable pour attirer l'investissement
étranger et promouvoir l'intégration régionale. Au nombre
des paramètres de la convergence macroéconomique proposés
par le Comité des gouverneurs des banques centrales de la SADC en vue
d'orienter les efforts des États membres vers les réformes et la
stabilité qui assurent la cohésion et l'unité d'objectifs
figurent le taux d'inflation, la valeur actualisée nette de la dette
publique ou des prêts garantis par l'État comme pourcentage du
revenu national brut, le déficit du budget public comme pourcentage du
PIB et le déficit du compte courant en tant que pourcentage du PIB. La
convergence macroéconomique a été plus rapide dans les
pays membres de la SACU, ainsi qu'à Maurice, tandis qu'elle a
été plus lente dans les autres pays.
Bien que l'inflation accuse un recul dans l'ensemble des pays,
la moyenne pour les pays de la SACU, entre 2000 et 2003, était de 8,2 %,
contre 46,5 % pour les pays de la SADC non membres de cette organisation et
32,4 % pour l'ensemble de la sous-région. Ces niveaux d'inflation
élevés se traduisent souvent par des coûts d'intrants
élevés, limitant ainsi la production des denrées
d'exportation et les échanges intra-régionaux. De même, les
déficits budgétaires sont beaucoup plus faibles dans les pays de
la SACU, représentant en moyenne
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1,6 % du PIB pour la période 2000-03 - le Botswana
ayant enregistré un excédent budgétaire depuis 2000, bien
que celui-ci soit en baisse. Il n'en demeure pas moins encourageant de
constater que, même parmi les pays de la SADC non membres de la SACU, le
déficit budgétaire, en tant que pourcentage du PIB, a constamment
baissé, s'établissant en moyenne à 5,6 % entre 2000 et
2003. Un certain nombre de pays de la sous-région, notamment le
Mozambique et la Tanzanie, ont entrepris des programmes de réforme
économique qui ont permis de réduire l'inflation et les
déficits budgétaires. Des dérapages importants ont
été constatés dans d'autres pays, notamment au Zimbabwe,
en RDC et en Angola. Enfin, l'évolution de la situation de la dette
extérieure indique également une convergence plus rapide au sein
de la SACU et une convergence lente pour les autres États membres.
À l'exception peut-être du Lesotho, les autres États
membres de la SACU et Maurice ont des ratios de la dette extérieure
relativement faibles, inférieurs à 25 % du PIB, tandis que les
autres États membres de la SADC ont des ratios dette/PIB
supérieurs à 80 %, le Malawi étant le pays le plus
endetté. D'une manière générale, les indicateurs de
convergence témoignent de la nécessité pour les
gouvernements de la SADC d'adopter des politiques nationales propres à
réduire au minimum les taux d'inflation, les déficits
budgétaires et la dette publique, afin d'assurer la convergence
macroéconomique générale en vue de promouvoir les
échanges commerciaux et l'investissement.
L'examen de l'effet de l'intégration économique
régionale sur le choix de localisation des firmes ou simplement sur
l'afflux des capitaux internationaux fait l'objet d'une littérature
empirique très ciblée, car elle s'inspire essentiellement des
faits existant dans zones qui ont une forte capacité
d'intégration. A partir d'un modèle de gravité et en
distinguant les IDE intra et extrarégionaux, J. de Sousa et J. Lochard
(2004) montrent que l'élargissement de l'union européenne
à 25 attire à la fois les investissements des pays membres et non
membres de l'Union. Bien avant les deux auteurs et dans la même
problématique traitant de l'intégration européenne, A.
Rieber (2000) montrait déjà que, d'une part, le degré
d'ouverture indique une complémentarité entre les flux
commerciaux et les investissements directs et, d'autre part, la variable UE,
désignant l'organisation européenne, indique un effet positif du
marché unique sur les IDE intra-communautaire. Dans le même ordre
d'idée, Bende-Nabende (2002) analyse l'attractivité de l'ASEAN
(APEC) à partir des variables indicatrices, mais montre que la formation
de cette zone n'a pas un lien économétrique direct avec les flux
des IDE détenus par la région. D'après l'auteur, le fait
d'appartenir à l'ASEAN n'affecte pas le choix des investisseurs. O.
Bertrand et N. Madariaga (2003) se sont intéressés à
l'analyse de l'investissement direct étranger américain à
destination de l'ALENA et du MERCOSUR. Leurs résultats issus d'une
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estimation en panel « indiquent que
l'intégration économique a influé sur la structure des
choix de localisation des entreprises américaines ». Dans une
approche plus générale de l'impact de l'intégration
économique sur les IDE, F. Albornoz et G. Corcos (2003) partent du
principe que le lien qui s'opère entre les deux est complexe, et
montrent à partir des simulations numériques la
réalisation des différents scénarios de localisation des
FMN en fonction des stratégies concurrentielles adoptées par des
pays d'accueil, malgré le fait qu'ils appartiennent à une
même région.
Ces différentes études, y compris celles
menées par M. Blomström et A. Kokko (1997) et K. Sekkat et O.
Galgau (2002), se consacrent essentiellement aux économies
développées ou aux zones où l'intégration est
très appuyée. A notre connaissance, très peu de travaux
ont porté un intérêt particulier au cas des pays africains
avec la même approche analytique et dans le même style. Les raisons
à cela sont diverses et concernent généralement les points
suivants : i) la non disponibilité des données tangibles
susceptibles d'enrichir les tests économétriques ; ii)
les flux des IDE en Afrique sont assez prévisibles d'avance
puisqu'ils font l'objet de sélection adverse, due au risque, et
concernent surtout les secteurs de l'extraction de l'économie; iii) le
faible degré de l'intégration des pays africains qui limitent par
conséquent l'interconnexion des économies et la taille critique
de la zone ; iv) la faible diversité des activités
économiques qui réduit le choix et les opportunités des
entrepreneurs ; v) la dominance des effets spécifiques de
chaque pays et l'omniprésence des pouvoirs étatiques dans la
sphère économique.
Il sied de signaler qu'en vertu du protocole commercial, les
États membres ont pris l'engagement d'établir une zone de
libre-échange permettant au programme d'intégration
économique de la SADC d'entrer dans le champ d'application des
règles de l'Organisation mondiale du commerce se rapportant aux accords
commerciaux régionaux.
La ZLE14 de la SADC est entrée en vigueur en
janvier 2008 et elle a été officiellement lancée par le
Sommet, au cours de sa session ordinaire d'août 2008 à Sandton en
Afrique du Sud. Toutefois, la ZLE de la SADC est encore confrontée
à des défis majeurs, concernant notamment sa mise en oeuvre
effective, la pleine participation des membres qui en sont encore à la
finalisation des offres respectives ou sont encore en consultations avec leurs
mandants, le
14 Une Zone de Libre-échange: est un espace conventionnel
dans lequel deux ou plusieurs Etats appartenant ou non à une même
région géographique, s'accordent à se donner des faveurs
douanières (notamment la suppression des droits des douanes). Toutefois,
ils se réservent le droit de taxer, chacun à sa
façon, les tiers Etats.
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2013
plein engagement de la communauté des affaires de la
région et du public en général.
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