1.1.2. Etat de lieux de l'intégration
économique régionale en Afrique
Dans une logique d'accroissement des flux commerciaux, la
coopération économique régionale est
présentée depuis les années 1960 comme la solution aux
problèmes de développement dont souffrent les pays pauvres et
singulièrement ceux de l'Afrique Subsaharienne (ASS). Elle recouvre
plusieurs formes allant de simples coopérations sectorielles aux
transferts de souveraineté (Hugon, 2001). C'est ainsi que l'acte
constitutif de l'Union Africaine a fixé comme objectif ultime à
cette organisation l'intégration économique et politique du
Continent. Il réaffirme la stratégie de mise en place de la
Communauté Economique Africaine par convergence progressive des espaces
et schémas d'intégration des Communautés Economiques
Régionales -CERs, avec pour finalité de « bâtir une
Afrique intégrée, prospère, en paix, et constituant une
force dynamique sur la scène mondiale». En dépit des
progrès enregistrés au cours des deux dernières
décennies par certaines CERs, et dans divers domaines de
coopération, le rythme de mise en oeuvre des objectifs est jugé
globalement lent, eu égard aux nombreux défis de
5 De Bornier J.M., « Hayek, philosophe de
l'économie ? » in Economies et
Sociétés FE, n°45, décembre 2011,
pp.13-25.
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développement du continent et aux mutations de
l'environnement économique international.
L'intégration peut prendre plusieurs formes. Autrefois
considérées comme successives et complémentaires
(Marshall, 1966), ces formes cristallisent aujourd'hui des processus
contradictoires entre autre l'intégration par les mouvements de capitaux
qui cherche à promouvoir une uniformité des règles de
gestion tant au niveau des firmes qu'au niveau des Etats. L'intégration
par la production qui exige la disponibilité de ressources et de
conséquences spécifiques que seuls peuvent livrer des territoires
différenciés par leurs systèmes de formation et
d'innovation. L'intégration monétaire qui implique l'utilisation
d'une monnaie unique entre divers Etats d'un bloc dans le but d'optimiser les
échanges internes dans la zone c'est le cas des pays de la CEMAC.
L'intégration par les règles d'harmonisation et la règle
du protectionnisme minimum et enfin l'intégration par le marché
qui est l'abolition des barrières nationales dans les transactions entre
les Etats membres d'un bloc, afin que les facteurs de production circulent
librement au sein de la zone.
La théorie standard du commerce international souligne
les gains statiques procurés par une meilleure spécialisation de
chaque pays participant à l'échange qui voit son revenu national
s'accroître (modèle Hecksher-Ohlin à 2 pays, 2 facteurs, 2
biens par exemple). Dans le meilleur des cas, l'effet statique est cependant
modeste. De plus, dans le cas d'un grand pays qui influe sur la
détermination des prix au niveau mondial, la libéralisation
unilatérale peut avoir un impact négatif (Verdier, 2004).
Dans le cadre des nouvelles théories du commerce
international, l'existence d'externalités implique que le commerce
international ne profite pas nécessairement à tous les pays
participant à l'échange. En présence de rendements
croissants, un pays plus efficient peut en effet ne pas pouvoir entrer sur le
marché d'un produit du fait de la présence d'un second pays qui
dispose d'une rente de situation sur ce produit (Krugman et Obstfeld, 1995).
Les théories de la croissance endogène (Romer,
1986, Grossman et Helpman, 1991) ont mis en évidence l'existence de
gains dynamiques (avec un impact sur la croissance du revenu et non plus
seulement sur son niveau), liés en particulier aux économies
d'échelle (hypothèse de rendements croissants) et à la
diffusion du progrès technique favorisée par le commerce (pour un
Survey sur ce thème, voir Fontagné et Guérin, 1997).
Cependant, ces gains ne sont pas garantis et des modèles inspirés
de ces nouvelles théories montrent que l'ouverture peut pousser les pays
concernés vers une spécialisation dans des secteurs peu
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dynamiques avec au total un impact négatif sur la
croissance (Rodriguez et Rodrik, 2000). L'exemple des PED
spécialisés dans l'exportation de matières
premières dont la demande est peu porteuse montre que ces modèles
sont bien adaptés à l'expérience de nombreux pays, sachant
que la théorie de la baisse tendancielle des termes de l'échange
pour les produits primaires en vogue dans l'après-guerre (Prebish, 1950)
allait également dans le sens d'une moindre croissance pour les pays
exportateurs de ces produits.
En effet, un mécanisme d'intégration
régionale est un accord préférentiel entre un groupe de
pays, visant à réduire les obstacles aux transactions
économiques et non économiques entre ces pays. Ce
mécanisme peut revêtir des formes aussi diverses allant d'une
simple zone d'échange préférentiel en passant par la zone
de libre-échange, l'union douanière, le marché commun
jusqu'à l'union économique et même politique, chaque
étape progressive se caractérisant par l'incorporation des
mécanismes plus ambitieux comme indiqué au tableau 1
ci-après.
Tableau 1. Arrangements institutionnels en matière
d'intégration économique
Type
d'arrangements
|
baisse de
tarifs
entre membres
|
libre échange
entre membres
|
politique commerciale commune
|
mobilité des facteurs
|
politiques fiscales et monétaires
communes
|
un seul
gouvernement
|
zone d'échange préférentiel
|
x
|
|
|
|
|
|
zone de libre échange
|
x
|
x
|
|
|
|
|
union douanière
|
x
|
x
|
x
|
|
|
|
marché commun
|
x
|
x
|
x
|
x
|
|
|
Union
économique
|
x
|
x
|
x
|
x
|
x
|
|
union politique
|
x
|
x
|
x
|
x
|
x
|
X
|
La question centrale qui intéresse les
économistes est celle de l'impact effectif de l'intégration
régionale sur le bien-être, sur la modification de la structure
tant de consommation que de production des pays membres ainsi que sur les flux
d'investissements directs entre ces pays eux-mêmes et en provenance de
l'étranger. Les accords régionaux de commerce sont une forme
particulière de libéralisme commercial comportant un aspect
discriminatoire. La constitution d'une union douanière, par exemple,
peut avoir des effets de création et de détournement de commerce
dans les pays membres. Etant donné que les firmes faisant partie d'un
processus d'intégration pourront avoir accès à un
marché plus vaste, une analyse
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complète de l'intégration se doit
également de considérer l'impact de celle-ci sur le degré
de concurrence, les marges et les prix pratiqués ainsi que sur les gains
dynamiques sous forme d'une innovation accrue de la part des firmes ainsi mises
en concurrence6
Évaluant le mouvement d'intégration
économique en Afrique7, la Commission Économique pour
l'Afrique soutient que l'intégration et la coopération
régionale peuvent, en effet, aider les pays africains à
remédier à la taille réduite des marchés nationaux,
stimuler la concurrence entre pays membres, mobiliser davantage des ressources
d'investissement, favoriser le partage de connaissances et la mise en commun de
certaines ressources (par exemple les cours d'eau), promouvoir la paix et la
sécurité, accroître la capacité collective de
négociation et la visibilité dans les arènes
internationales. En dépit de différences en matière de
dotations en ressources, les pays africains pourraient exploiter utilement
leurs avantages comparatifs, joindre leurs compétences et concevoir des
solutions communes à l'allocation des ressources.
L'Afrique compte à ce jour 14 Communautés
Économiques Régionales distinctes, avec 3 à 4 CER en
moyenne dans chacune des cinq régions naturelles du continent : le
Centre, l'Est, le Nord, l'Ouest et le Sud, comme l'indique le tableau 2
ci-après. Il est à noter en particulier que le Marché
commun de l'Afrique orientale et australe - le COMESA - est à cheval
entre trois régions : l'Afrique australe, l'Afrique de l'Est et
l'Afrique du Nord. Paradoxalement, plusieurs pays africains appartiennent
à la fois à une multitude de groupements économiques
sous-régionaux, un phénomène qui est connu sous
l'appellation de « the spaghetti bowl ».
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6 MUCCHIELLI, J.-L., MAYER, T., Économie
internationale, Paris, Dalloz, 2005, p. 407-421.
7 Economic Commission for Africa, Assessing Regional
Integration in Africa, Addis Ababa, 2004.
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Tableau 2. Les Communautés Économiques
Régionales en Afrique
Régions
|
Communautés Économiques Régionales
|
Afrique de l'Ouest
|
Communauté pour le développement
économique de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO/ECOWAS)
|
|
Union économique et monétaire
ouest-africaine(UEMOA)
|
|
Union de la Rivière Mano (URM/MRU)
|
|
Communautés des États Sahélo-Sahariens
(CEN-SAD)
|
Afrique Centrale
|
Communauté Économique des États de l'Afrique
Centrale (CEEAC/ECCAS)
|
|
Communauté Économique et Monétaire de
l'Afrique Centrale (CEMAC)
|
|
Communauté Économique des Pays des Grands Lacs
(CEPGL)
|
Afrique Australe
|
Communauté de Développement de l'Afrique Australe
(SADC)
|
|
Union Douanière pour l'Afrique Australe (SACU)
|
|
Commission de l'Océan Indien (IOC)
|
|
Marché Commun de l'Afrique orientale et australe
(COMESA)
|
Afrique Orientale
|
Communauté d'Afrique de l'Est (EAC)
|
|
Autorité intergouvernementale pour le développement
(AIGD/IGAD)
|
Afrique du Nord
|
Union du Maghreb arabe (UMA)
|
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Figure 1. Groupement d'intégration régionale en
Afrique et appartenance à des entités multiples.
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Une autre caractéristique de l'intégration
économique régionale en Afrique est l'appartenance d'un pays
à deux ou plusieurs organisations sous-régionales. Pourquoi un
pays tiendrait-il à être membre dans plusieurs organisations
sous-régionales ? Les raisons les plus immédiates et susceptibles
d'expliquer l'adhésion à une communauté donnée
sont:
? La proximité géographique,
? L'interdépendance économique,
? Une culture ou une langue commune,
? Des relations de coopération
historiques et
? Le partage des ressources communes.
À cela, peuvent s'ajouter des raisons politiques et
sécuritaires. Plus subtilement, ce serait aussi une question de
positionnement stratégique. Des pays se livreraient ainsi à une
certaine « géométrie variable » en fonction de
circonstances du moment. Autrement dit, appartenir à plusieurs CER donne
la possibilité d'une part de maximiser le bénéfice
découlant du dynamisme de certains groupements et, d'autre part, de se
désengager éventuellement des organisations les moins
performantes. D'après une enquête de la Commission
Économique pour l'Afrique8, les raisons invoquées par
les pays pour rejoindre les CER sont par ordre d'importance : politiques et
stratégiques (50 %), économiques (35 %), géographiques et
historiques (10 %) ainsi que culturels (5 %).
L'appartenance à plusieurs CER n'est pas sans
inconvénients en termes d'efforts et d'argent. Les pays membres se
prêtent malgré eux à un nombre croissant d'obligations :
paiement des cotisations, participation aux réunions incessantes
à divers niveaux, adoption et ratification des protocoles d'accords,
etc. En outre, les pays concernés s'exposent à la duplication, au
chevauchement et à l'incohérence des programmes sous
régionaux ; ce qui est de nature à diminuer l'efficacité
de ces programmes ou à ralentir le processus même
d'intégration économique.
La SADC et le COMESA figurent parmi les CER les plus
performantes en Afrique, comme déjà indiqué plus haut. Au
sein de la SADC, l'Afrique du Sud s'est arrogé 64 % des exportations
intracommunautaires, en 2000-2007. Pour ce qui est du COMESA, 81 % des
exportations proviennent des pays suivants : Kenya (29 %), Libye (15 %),
Égypte (13 %), Zambie (11 %), Zimbabwe (8 %) et Ouganda (6 %). Au
chapitre des importations, l'Afrique du Sud et l'Angola ont
réalisé respectivement 69 % et 9 % des importations totales de la
SADC.
8 Economic Commission For Africa, Assessing
Regional Integration in Africa II. Rationalizing Regional Economic Communities,
Addis Abeba, 2006.
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Pour le COMESA, il s'agit de l'Égypte (45 %), de la
Libye (12 %) et du Kenya (9 %). Certains auteurs considèrent que le
processus d'intégration régionale risque d'être
fragilisé si les pays membres n'ont pas le même niveau de
développement économique. Par exemple, au sein de la SADEC, il y
a d'énormes disparités : «D'un côté le
Mozambique, le Malawi et la Tanzanie font partie des sept pays les plus pauvres
du monde; de l'autre, l'Île Maurice et l'Afrique du Sud sont en passe
d'entrer dans la catégorie des pays industriels. Seule l'Afrique du Sud
dispose d'un marché intérieur suffisamment grand, et au pouvoir
d'achat suffisamment élevé, pour que les investissements directs
dans les secteurs des biens de consommation et des biens d'investissement y
soient jugés rentables.»9
La réussite du processus d'intégration
régionale dépend dans une grande mesure du degré
d'harmonisation des politiques économiques des pays membres, notamment
en matière de tarifs, de taux d'inflation, de taux de change, de ratios
de la dette publique, etc. La réalisation de la stabilité
macroéconomique et de la convergence des agrégats
macroéconomiques clés est une condition nécessaire pour la
création d'une union monétaire. De toutes les CER auxquelles
appartient la RDC, il n'y a que la SADC et le COMESA qui envisagent
explicitement de mettre en circulation à terme une monnaie unique
à l'usage de leurs États pays. De ce fait, elles ont
édicté une série de critères de convergence
macroéconomique devant être remplis préalablement à
la création de leurs zones monétaires respectives. Par contre, au
sein de la CEEAC, hormis la République Démocratique du Congo et
Sao-Tomé et Principe, les autres pays membres font partie
déjà de la Communauté Économique et
Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC). Néanmoins, ils sont tous
soumis au respect des critères de convergence macroéconomique
applicables dans le cadre du Programme de Coopération Monétaire
en Afrique (PCMA).
Cette large incertitude théorique confère une
importance particulière aux travaux empiriques sur le lien
ouverture-croissance, sachant qu'il est toutefois difficile de mettre en
évidence empiriquement les gains de l'ouverture en termes de croissance
pour les PED.
9 François Kabuya Kalala et Tshiunza Mbiye,
Communautés Économiques Régionales : Quelle
Stratégie D'intégration En RDC ? , Kinshasa, mai 2010, dans
L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2009-2010, p337
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