Les tensions entre l'union africaine et la cour pénale internationale à l'occasion de la poursuite des chefs d'état africains( Télécharger le fichier original )par Stephanie Laure Anguezomo Ella Université de Limoges - Master 2 2015 |
B- Le choix des poursuites par la Cour dans la crise ivoirienneDans le cas ivoirien, la difficulté n'a pas tant été la sélection, mais les critères qui la commandent. Ils doivent être transparents, objectifs et surtout cohérents, ce qui fera que la justice internationale même sélective soit néanmoins non-discriminatoire. La Cour a en l'espèce fondé son enquête sur l'approche séquentielle qui consiste à enquêter et poursuivre les crimes commis par un groupe armé avant d'aborder ceux commis par les autres54. Cette approche a conduit le procureur qui en a usé, à une discrimination entre les suspects éventuels aussi bien dans le choix de la période de poursuite, que des événements. Lorsque la procureure a été autorisé par la Chambre préliminaire à enquêter sur les crimes de 2002-2010, elle a à l'évidence fait le choix de ne poursuivre qu'un seul camp en restreignant la période 52Ibid 53Ibid 54Jacques B.MBOKANI, L'impact de la stratégie de poursuite du procureur de la Cour pénale internationale sur la lutte contre l'impunité et la prévention du crime, Droits Fondamentaux, N°7, janvier 2008-Décembre 2009, www.droits-fondamentaux.org, p13 Page 31 | 97 des poursuites aux seuls crimes commis lors de la crise post-électorale de 2010-2011 par les forces pro-Gbagbo alors que le crime le plus grave, le massacre de Duekoué par les forces pro-Ouattara avait fait plus d'un millier de morts55. L'organisation HUMAN RIGTHS WATCH a décelé deux erreurs de la CPI dans les enquêtes relatives à la situation en Côte d'ivoire 56 faisant ressortir par la même occasion, le manque d'indépendance et la partialité dont a fait preuve la Cour. D'abord, l'organisation précise que toutes les enquêtes menées par la CPI ne concernent uniquement que les crimes commis par les alliés de l'ex président, malgré les Observations de commission d'enquêtes de Cote d'ivoire et des Nations Unies mettant en cause les deux camps (GBAGBO-OUATTARA). Ensuite, que les affaires de la CPI ont été axées sur des crimes prétendument commis à Abidjan alors que certains des pires abus ont été perpétrés dans la partie occidentale du pays57. M. Matt Wells, chercheur à HUMAN RIGTHS WATCH révèle par ailleurs que « le pouvoir était prêt à aider la CPI à monter un dossier contre le Président Laurent GBAGBO »58. Il est surprenant de constater que près de 6 ans après l'arrestation de GBAGBO, aucune enquête ou poursuite n'a été menée à ce jour contre les forces pro-Ouattara alors que l'on a pu remarquer la rapidité avec laquelle les enquêtes et poursuites contre les forces pro-Gbagbo ont été dirigées. Ainsi l'approche séquentielle est mise en échec par le temps et la lenteur des procès car jusqu'à ce que GBAGBO soit condamné ou non, la procureure aura certainement fini son mandat. Y a-t-il donc des raisons de croire que ce qui est aujourd'hui une poursuite unilatérale deviendra bilatérale ? Nous en doutons fortement. D'ailleurs de par les liens entre la CPI et l'ONU qui a apporté son appui à M. OUATTARA pour son accession au pouvoir et qui a eu à prendre position dans la crise ivoirienne59, il est difficilement concevable que la CPI soit en contradiction avec l'ONU. La CPI est apparue dans l'affaire GBAGBO comme une justice des vainqueurs en n'inculpant que le perdant aux élections, Laurent GBAGBO et son bras droit, Charles BLE GOUDE. L'action de la Cour en Côte d'ivoire n'a pas fait l'unanimité au sein de la population ivoirienne, ce qui a affaibli son 55Félix TANO, La Gouvernance judiciaire mondiale à l'épreuve de la crise ivoirienne : la Cour Pénale Internationale et l'affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo, http://www.lesamisdelaurentgbagbo.com/uploaded/PDF/la-gouvernance-judiciaire-mondiale-a-l-epreuve-de-la-crise-ivoirienne-felix-tano.pdf, (consulté le 15/10/2015) 56HUMAN RIGHTS WATCH, CPI : Le cas de la cote d'ivoire illustre certaines erreurs commise par la Cour, 4 Août 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/08/04/cpi-le-cas-de-la-cote-divoire-illustre-certaines-erreurs-commises-par-la-cour (consulté le 30/12/2015) 57Ibid 58Félix TANO, La Gouvernance judiciaire mondiale à l'épreuve de la crise ivoirienne : la Cour Pénale Internationale et l'affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo, http://www.lesamisdelaurentgbagbo.com/uploaded/PDF/la-gouvernance-judiciaire-mondiale-a-l-epreuve-de-la-crise-ivoirienne-felix-tano.pdf, (consulté le 15/10/2015) 59Ibid Page 32 | 97 impact dans ce pays. L'opinion est divisée car la Cour n'a toujours pas poursuivi les crimes commis par l'autre camp (pro-Ouattara). La CPI doit s'assurer de rendre justice aux victimes et pas à une seule catégorie de victimes, dans la mesure ou toutes les victimes méritent d'obtenir justice. Qu'advient-il des victimes des crimes commis par les pro-Ouattara ? Telle est la question que se pose une partie de la population ivoirienne 6 ans après l'arrestation de l'ex président GBAGBO. Sauf que sur le terrain de l'opportunité des poursuites, si la CPI devait s'en prendre pro-Ouattara, voire au président Alassane OUATTARA lui-même, cela nuirait gravement à la paix relative et fragile en Côte d'ivoire. |
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