Les tensions entre l'union africaine et la cour pénale internationale à l'occasion de la poursuite des chefs d'état africains( Télécharger le fichier original )par Stephanie Laure Anguezomo Ella Université de Limoges - Master 2 2015 |
Paragraphe II) Le cas des situations africaines donnant lieu à des affaires nonafricaines Lorsque la Cour est saisie par un Etat partie, le CS ou à l'initiative du Procureur, elle se saisit d'une situation à partir de laquelle elle peut en tirer une ou plusieurs affaires. Le Statut ne limite pas le procureur en ce sens. Il a donc au vu des éléments de renseignements et de preuves qui se présentent à lui, la possibilité de tirer d'une situation aussi bien une affaire africaine qu'une affaire non-africaine. Parmi les situations pendantes résultant pour la plupart de crises politiques ou de conflits ethno-raciaux, certaines bien qu'ayant données lieu à des affaires africaines, auraient également dû être mieux analysées par la Cour de façon à mettre en exergue une potentielle responsabilité, l'implication ou l'intervention d'acteurs externes. La plupart des récents conflits ont eu lieu en interne, comme cela a été le cas par exemple de la guerre Civile en Sierra Leone en 1991, qui s'est soldée par une condamnation de l'ex président libérien Charles Taylor par le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone. Taylor avait une part de responsabilité dans le maintien de ce conflit et des intérêts économiques, notamment l'exportation illégale des diamants. Cet exemple illustre de façon plutôt nette qu'une crise peut faire intervenir plusieurs acteurs obscurs, principalement des acteurs internationaux qui vont avoir un intérêt politico-économique à ce qu'un conflit ait lieu, qu'il prenne fin ou a contrario qu'il perdure temporairement, en commettant certains abus parfois au détriment des civils. Les exactions de ces acteurs cachés contre la population civile du pays où ils interviennent sont à bien des égards couverts non seulement par l'instabilité circonstancielle du pays, mais aussi par le mandat international délivré dans la plupart des cas par l'ONU à des forces étrangères, sur le fondement de l'aide humanitaire ou de la stabilisation du conflit. Le choix de situations africaines explique-t-il toujours celui des affaires concernant uniquement l'Afrique ?19. 19Ibid Page 16 | 97 La première situation est celle de la Côte d'ivoire, où l'intervention de la force militaire française, appelée « Force Licorne » aurait nécessité une enquête de la CPI. D'aucun soutiennent que cette intervention a été une ingérence dans les affaires internes de la Cote d'ivoire puisque le mandat de l'ONU ne va rétroagir qu'après celle-ci. D'autres par contre soutiennent l'argument du droit à l'ingérence et de l'existence d'accord de défense entre les deux pays pour légitimer l'action de la force de la Force. Sauf qu'un groupe de dix députés français dont Jean-Jacques CANDELIER, François ASENSI, Alain BOCQUET, Marie-George BUFFET, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU, ont dans une proposition de résolution datant du 26 juillet 201220, demandé la création d'une commission d'enquête sur le rôle de la force Licorne en Côte d'ivoire. Dans ladite proposition, le groupe déclare que : « Les événements survenus en Côte d'Ivoire et l'implication volontariste des forces armées françaises dans une guerre civile sous le Gouvernement précédent interrogent. Auraient dû être défendues la neutralité quant aux enjeux internes ivoiriens et les valeurs intemporelles et universelles qui sont les fondements de l'État français. Il était impératif que la souveraineté du peuple ivoirien soit respectée, car au regard du droit international et particulièrement de l'article 2§4 de la Charte des Nations unies, il est inacceptable qu'une puissance étrangère s'immisce dans le déroulement des affaires internes d'un pays quel qu'il soit. Dès lors, le rôle joué par la présence militaire de la France en terre ivoirienne, ancienne colonie, peut être considéré comme ambigu et problématique. Seul le respect des principes et des valeurs portés par le droit international doivent en tout temps et en tout lieu prévaloir. Pourtant la France, mandatée par l'ONU pour protéger les populations civiles, s'est possiblement rendue coupable de complicité de meurtres de masse, voire d'épuration ethnique à Blolequin ou à Duékoué, en étant l'allié objectif et parfois agissant des forces présentées aujourd'hui comme républicaines ». Il est reproché aux forces françaises Licorne par le groupe de députés de n'avoir pas protégé les populations civiles alors qu'elles se trouvaient à proximité de Duékoué, lieu où se sont commis les plus grandes exactions en Côte d'ivoire. En transposant l'adage « qui ne dit rien consent » à ce cas précis, l'abstention de la force Licorne implique sur le plan juridique une complicité dans les faits. Cela se devait d'interpeller la CPI. En effet, une chose est de s'immiscer, d'intervenir dans un conflit interne dans le but d'éviter plus de massacres par une protection de la population civile et une autre est de laisser sciemment d'autres personnes commettre des infractions tout en ayant connaissance des 20Proposition de résolution 26 juillet 2012, Compte rendu n°131 demandant création d'une commission d'enquête sur le rôle de la force Licorne en Côte d'ivoire, http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0131.asp (consulté le 05/02/2016) Page 17 | 97 conséquences, sans les en empêcher ou les dissuader de les commettre. Pour quelles raisons cette force s'est donc rendue en Côte d'ivoire ? La Cour aurait pu rechercher sur le fondement de l'article 28 la responsabilité du supérieur hiérarchique, c'est-à-dire du donneur d'ordre qui ayant un contrôle sur ses subordonnés ne pouvait ignorer les agissements de ces derniers sur le terrain et avait conscience que des crimes étaient en train d'être commis ou allaient être commis, sans pour autant empêcher leur commission. Cela a été le cas de Jean Pierre BEMBA, qui a été déclaré coupable de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre en sa qualité de président du MLC. La deuxième situation est celle de l'intervention en Libye de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) mandatée par la résolution 1973 du CS lors de la guerre en Libye conduisant à la chute du régime dictatorial instauré par Mouammar KADHAFI. Un rapport intitulé « Report of Independent Civil Society Fact-Finding Mission to Libya »21, dénonce les faits constitutifs de crimes de guerres imputés à l'OTAN. Il mentionne : « (...) il semble que l'OTAN aurait participé à ce que l'on pourrait qualifier d'actions offensives entreprises par les forces d'opposition, y compris, par exemple, des attaques sur des villes et villages contrôlés par les forces de Kadhafi. De même, le choix de certaines cibles, comme un entrepôt alimentaire régional, soulève de prime abord des doutes sur le rôle de telles attaques quant à la protection des civils. »22 Au vu de telles allégations, dans son troisième rapport au CS de l'ONU en application de la résolution 1970, le Procureur va préciser d'une part que rien ne permet au Bureau du Procureur de conclure que les bombardements de l'OTAN, qui ont pu faire des morts et des blessés civils, étaient sciemment dirigées contre la population23 et d'autre part que rien ne permet de penser que le commandement général de l'opération « Unified Protector », avait autorisé ces frappes tout en sachant qu'elles causeraient des victimes24. L'inconvénient dans ce rapport est qu'il n'apporte pas plus d'éléments sur l'exacte réalité des faits et paraît peu crédible. Il ne se fonde que sur l'absence de l'intention de tuer de l'OTAN, élément fondamental pour constituer les crimes imputés. Une enquête indépendante et plus crédible aurait pu être menée par le procureur de la CPI, avec la Coopération de 21Barry Grey, Les crimes de guerre des États Unies et de l'Otan en Libye, Mondialisation.ca, 27janvier 2012, http://www.mondialisation.ca/les-crimes-de-guerre-des-tats-unis-et-de-l-otan-en-libye/28915 (consulté le 05/02/2016) 22Ibid 23 CPI, Troisième rapport de la Cour pénale Internationale au Conseil de Sécurité de l'ONU en application de la résolution 1970 (2011), 16 mai 2012, https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/3CB0EAB8-7B00-450C-9A7C-99DBB8FB1421/0/UNSCreportLibyaMay2012Fra.pdf (consulté le 06/02/2016) 24Ibid Page 18 | 97 certains États comme la Russie par exemple. Ce dernier avait multiplié auparavant les demandes au Conseil de Sécurité pour une enquête rapide sur les crimes dus aux bombardements de l'OTAN. Il déplorera aussi que le Secrétaire général de l'ONU, BAN KI-MOON, se borne à déclarer que les agissements de l'OTAN en Libye étaient « conformes » aux préceptes de la résolution 197325. Cette décision de ne pas poursuivre révèle un manque de rigueur et d'approfondissement de la CPI dans la mesure où elle choisit de ne se fonder que sur le compte rendu d'une commission d'enquête de l'ONU concernant une force qui a été mandaté par l'ONU. Par ailleurs, peut-on parler d'indépendance pour cette enquête ? La Cour fuit-elle ses responsabilités ou cherche-t-elle à protéger ? Bien que tous les éléments présentés tendent à condamner la CPI, dont la conception du mot justice ne semble prendre pleinement son sens qu'en Afrique, il nous apparaît nécessaire de nuancer ces griefs de justice choisie en mettant en relief les facteurs démontrant que la Cour n'est pas seule à l'oeuvre dans cette focalisation sur les affaires africaines. |
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