I.2. Evolution du cadre théorique : la montée
du concept de co-création
Nous avons traité cette partie de façon
chronologique en se basant essentiellement sur les articles de Vargo et Lush
initiateurs du courant sur la logique dominante de service. Le premier
paragraphe met l'accent sur l'évolution de la logique dominante de
produits à une logique dominante de service. Le second paragraphe
s'intéresse à l'évolution de la logique des marques : dans
une perspective de SDL.
a) De la logique dominante de produits à une
logique dominante de service
Le marketing a hérité d'un modèle
classique basé sur une logique dominante d'échange de produits ou
des unités de production. La valeur est créée lors du
processus de production et ces unités produites constituent les
composantes essentielles de l'échange. Une approche dite normative
puisqu'elle sépare la production de la consommation des produits sans
faire participer les consommateurs : les clients sont donc exogènes et
restent en dehors du processus de fabrication (Vargo et Lush, 2004). Les
produits fabriqués sont standardisés, périssables et
parfois mêmes réfractaires aux évolutions des besoins des
consommateurs souvent insatisfaits de la qualité ni souhaitable et ni
valable des produits proposés. Vargo et Lush ont initié une
nouvelle logique plus collaborative où le consommateur est partenaire de
l'entreprise SDL : la logique dominante de service.
? Vers un modèle de SDL :
La logique dominante de service considère que le
consommateur est coproducteur et que les produits doivent être
personnalisés afin de mieux s'adapter aux besoins des clients. Les
auteurs remettent en cause le marketing dont la fonction est principalement
commerciale où le producteur est créateur de valeur et où
le consommateur est utilisateur, et ils suggèrent une approche
processuelle ("to market to" à "to market with") qui
tient compte des compétences des consommateurs. Ainsi, les entreprises
doivent apprendre à être à la fois concurrentielle et
collaborative, autrement dit, elles doivent apprendre à gérer les
relations avec leurs clients. (Vargo et Lush, 2004)
17
L'objectif de la logique dominante de service n'est pas donc
de fabriquer et de vendre des unités de production « des biens
» mais plutôt d'offrir des services personnalisés aux clients
et autres organisations. Cette logique implique la combinaison et la
coordination des ressources opérantes des consommateurs de telle
manière à fournir des avantages, et des bénéfices
aux clients. Ces derniers sont endogènes à la création de
valeur. « Plus précisément, le S.D.L. suggère que la
création de valeur est la résultante de l'effet conjugué
de ressources opérantes (operant resources), définies
comme un ensemble de savoirs (knowledge), savoir-faire
(skills), expertise (expertise), capacité
(capacity), activées par chacune des parties prenantes (Vargo
et Lusch, 2008b), l'entreprise et le consommateur ». La participation du
consommateur dans le processus de production voire de spécialisation
constitue une clé d'obtention d'un avantage concurrentiel. (Vargo et
Lush, 2004)
? Service et servuction :
Il faut souligner également que le terme service dans
la S.D.L "Service doimant Logic" n'est pas restrictif au sens
littéral ce qui veut dire des biens immatériels. En ce sens, la
logique dominante de produit G.D.L "Good domiant Logic" ne serait pas
différente de la S.D.L puisque les services sont des produits
intangibles. Le terme service (au singulier) est utilisé pour signifier
le processus de faire quelque chose (Vargo et Lush, 2006). La définition
de service selon Vargo et Lush prend en compte l'application des
compétences spécialisées des clients à travers des
actes, des processus et des performances en faveur d'une autre entité ou
l'entité elle-même.
Grönroos définit le service comme « des
procédés consistant en une série d'activités,
où certaines ressources sont utilisées dans une interaction
directe avec le client, de sorte qu'une solution sera trouvée
répondant au problème du client »4. Le service
renvoie au processus de faire quelque chose pour et surtout avec quelqu'un (le
market with prend le pas sur le market to) (Ezan et Cova,
2008)
On parle aussi de servuction qui se définit comme suit
: « C'est l'organisation systématique et cohérente de tous
les éléments physiques et humains de l'interface
client-entreprise
4 Cité par Vargo et Lush (2006) Lusch R.F.
et Vargo S.L. (2006), « Service-Dominant Logic: Reactions, Reflections and
Refinements », Marketing Theory, 6, 3, pp. 281-288.
« Service-dominant logic: reactions, reflections and
refinements » Grönroos (2000: 48) defines services as processes
consisting of a series of activities where number of different types of
resources are used in direct interaction with a customer, so that a solution is
found to a customer's problem'»
18
nécessaires à la réalisation d'une
prestation de service dont les caractéristiques commerciales et les
niveaux de qualité ont été déterminés.
» Ce néologisme désigne à la fois le système
de production et de distribution de service. (Benoît Meyronin, Charles
Ditandy, 2011)
Du point de vue de prestation de service, les auteurs mettent
l'accent sur le rôle des clients actuels et/ou les clients potentiels :
les consommateurs cherchent à domestiquer et apprivoiser le
marché en nouant des liens avec les organisations. Ceci facilitera aux
entreprises l'acquisition des solutions de service sur mesure et de
manière efficace par le biais des clients impliqués dans le
processus de création de valeur.
Pour conclure, nous dirons que la différence majeure
entre S.D.L et G.D.L serait donc dans le traitement de tous les clients, les
employés et les organisations opérants en tant que ressources
dans le processus de création de valeur et dans le processus
d'échange. (Vargo et Lush, 2006)
Tableau 1 : Transitions conceptuelles
Concepts de GD logic
|
Concepts de transition
|
Concepts de GS logic
|
Biens
|
Services
|
Service
|
Produits
|
Des offres
|
Des expériences
|
Des attributs ou des
fonctionnalités
|
Des prestations ou des bénéfices
|
Des solutions
|
Valeur ajoutée
|
Co-production
|
Co-création de valeur
|
Max profit
|
Ingénierie financière
|
Apprentissage/Rétroaction financière
|
Prix
|
Création de valeur
|
Proposition de valeur
|
Système équilibré
|
Système dynamique
|
Système complexe adaptatif
|
Chaîne d'approvisionnement
|
Chaîne de valeur
|
Création de valeur réseau/
constellation
|
Promotion
|
Intégration de la communication
Marketing
|
Dialogue
|
Pour commercialiser to market
|
Commercialiser à (to market to)
|
Commercialiser avec (to market with)
|
Orientation produit
|
Orientation marché
|
Orientation service
|
Source: Robert F. Lusch and Stephen L. Vargo
(2006) Service-dominant logic: reactions, reflections and refinements»
19
b) Vers une nouvelle logique des marques dans une
perspective de SDL
Les entreprises reconnaissent de plus en plus que les marques
sont des actifs précieux pour les entreprises et que le rôle
essentiel des marketers est d'intensifier les ressources qui contribuent
à la construction des marques (Madden, et al. 2006 ; Simon et
Sullivan,1993)5. Il se révèle donc pertinent
d'intégrer les parties prenantes dont les consommateurs ou encore les
communautés de marque dans le processus de création de valeur
pour la marque (Vargo et Lush, 2009).
De ce fait, les chercheurs ont repensé la logique de
marque et d'image de marque où l'on considère que la
conceptualisation de la marque est la propriété de l'entreprise
vers une logique plus collaborative où la création de valeur pour
la marque se fait en interaction avec les parties prenantes et les entreprises.
Les consommateurs considèrent de plus en plus les marques comme des
biens culturels partagés qui appartiennent à tout le monde,
plutôt que comme une propriété intellectuelle privée
de l'entreprise (Cova et Dalli, 2009).
L'évolution de la littérature sur les marques
est à l'origine de la logique dominante de service, en d'autres termes
l'évolution de la logique des marques n'est que le reflet de la logique
dominante de service (Vargo et Lush, 2009).
? La co-création de la marque
(Vargo et Lush, 2009), ont donné un aperçu
historique de la marque. Ainsi, ils identifient 4 ères de la
littérature sur les marques :
- La première ère (1900-1930) :
L'ère des biens individuels "individual goods- Focus Brand
Era"
Les marques en tant que indicateurs (Copeland, 1923 ; Low et
Fullerton, 1994 ; Strasser, 1989). Selon Low et Fullerton (1994) : « les
produits fabriqués avaient des identités distinctes et claires.
Leur emballage distinctif les rend clairement identifiable visuellement».
La marque est là, pour que les consommateurs puissent reconnaître
les différents produits. La valeur de la marque est encastrée
dans les produits physiques et créé lorsque les marchandises sont
vendues (valeur d'échange). Enfin, Les consommateurs sont passifs dans
le processus de création de valeur.
5 Merz, Michael A., Yi He, and Stephen L. Vargo (2009) ;"The
evolving brand logic: a service-dominant logic perspective" Journal of the
Academy of Marketing Science»;Vol. 37, No. 3, pp. 328-344.
20
- La deuxième ère : (1930-1990) :
L'ère de la valeur "Value- Focus Brand Era" On
distingue une valeur fonctionnelle et une valeur symbolique pour la marque :
Les bénéfices fonctionnels de la marque
(Functional Value-Focus Branding : Brown 1950; Jacoby et al, 1971 ; Park et al.
1986) : Les bénéfices fonctionnels répondent aux besoins
physiologiques et de sécurité. Les consommateurs choisissent les
marques pour satisfaire leurs besoins en consommation (des besoins qui sont de
nature externes). Les clients sont passifs dans le processus de création
de valeur.
Les bénéfices symboliques (Symbolic Value-Focus
Branding : Gardner et Levy, 1955; Goffman, 1959; Levy, 1959) Les marchandises
sont considérées comme de plus en plus similaires en termes
d'attributs utilitaires. Les marques sont donc choisies en vue de satisfaire
les besoins internes. En ce sens, les bénéfices symboliques
répondent à des besoins d'expression personnelle et d'approbation
sociale. « La marque en tant que concept symbolique désigne
l'identification des individus à un groupe désiré,
à un rôle ou encore à une image de soi » « A
brand with a symbolic concept is one designed to associate the individual with
a desired group, role, or self-image » Park, Jaworski & MacInnis
(1986).
La valeur de la marque est créée lorsque les
marchandises sont vendues (Valeur d'échange). Les clients restent
passifs dans le processus de création de valeur de la marque.
- Troisième ère (1990-2000) :
L'ère des relations " Relationship-Focus Brand Era"
La Relation Client-Entreprise : (Customer-Firm Relationship
Focus : Aaker, 1991; Blattberg et Deighton, 1996; Kapferer, 1992; Keller,
1993). Les clients constituent des ressources opérantes et donc des
actifs co-créateurs de valeur pour la marque. Les auteurs ont
également souligné que la perception de valeur réside dans
la valeur d'usage de la marque par les clients.
La relation Client-Marque : (Customer-Brand Relationship Focus
Aaker, 1997; Fournier, 1998 ; Gobe, 2001). La marque a une personnalité,
qui fait que le client forme une relation dyadique avec elle. Le processus de
co-création de valeur se base sur la relation du client avec la
marque.
La relation Enterprise-Marque: (Firm-Brand Relationship Focus:
Berry, 2000; de Chernatony 1999; Gilly et Wolfinbarger, 1998; King, 1991). Les
consommateurs en interne qui ne sont
21
que les employés des entreprises sont des ressources
opérantes et participent au processus de co-création de valeur
pour la marque.
- La quatrième ère (2000 et ...) :
l'ère des parties prenantes "Stakeholder-Focus Brand Era
»
La marque comme processus dynamique et social : (McAlexander
et al. 2002 ; Muniz et al. 2001 ; Muniz et al. 2005 ; Ballantyne et Aitken,
2007 ; Ind et Bjerke, 2007 ; Jones 2005). Les auteurs ont souligné que
non seulement les clients pris individuellement, mais aussi les
communautés de marque et toutes les parties prenantes constituent des
ressources opérantes. Ainsi, le processus de co-création de
valeur pour la marque est un processus continu, social, dynamique et en
perpétuel interaction entre l'entreprise, la marque et toutes les
parties prenantes.
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