c. Argumentation et
concept d'existence
Ce concept d'existence a une grande importance pour Hamlet,
qui en fait une obsession. Sur le plan actanciel, la question de l'existence
est liée à un choix qui doit être fait. L'existence est
thématisée d'une manière limitée puisque d'un
côté on voudrait bien embrasser la mort pour s'éloigner
d'une vie pleine de souffrance (« [...] la calamité d'une
si longue existence. ») mais d'autre part, il y a une sorte de
réticence puisque nous ne savons pas ce qu'est la mort, telle une peur
de l'inconnu : « la crainte de quelque chose après
la mort ».L'argumentation est ainsi constituée de deux
discours : il y a à la fois cette envie de se jeter dans l'inconnu
puisque ce qui nous ait connus nous fait souffrir, et à la fois une
crainte de ne pas savoir où l'on sera. Une connexion entre la
pensée et l'action qui s'opposent dans un même temps : la
pensée est là (esprit) mais l'action est freinée par
l'incertitude (corps). Par ailleurs, il y a une généralité
avec l'utilisation du pronom personnel « nous ». Hamlet
parle de l'ensemble des hommes, et pas seulement de lui. C'est assez
contradictoire si nous nous concentrons sur la nature du soliloque. En incluant
tous les hommes, Hamlet essaie de s'éloigner de la solitude.
La première partie de l'argumentation s'ouvre sur cette
question philosophique qui sous-entend un doute quant à savoir si Hamlet
doit vivre ou non. S'ensuit une comparaison entre la mort et le sommeil. Le
sommeil guérirait tous les maux ; il serait une sorte de
délectation de l'âme. Après le sommeil, c'est au tour du
rêve d'être associer à la mort. En fait Hamlet cherche
plusieurs options pour se convaincre et essayer de prendre une décision
finale. Comparer la mort au sommeil puis à un rêve revient
à modéliser les formes que peut prendre la mort. Seulement,
peut-on accès à la mort comme nous avons accès au sommeil
et au rêve ? Hamlet ne serait-il pas en train d'idéaliser la
mort ? Le fait pour le personnage de donner des facettes à la mort,
ne lui fait pas pour autant prendre une décision. Cette première
partie est intéressante sur le plan thématique car le suicide
prend la forme d'une légitimation dont il faut explorer les
possibilités.
La seconde partie de l'argumentation se fait directement
après la mention du rêve : « Oui, là
est l'embarras » jusqu'à « [...] dans ceux que nous
ne connaissons pas ». C'est dans cette partie qu'il y a un
renversement de l'argumentation avec cette crainte de la vie après la
mort. La présence d'isotopies négatives renforce cette
idée de déplaisance concernant la vie. « Car quels
rêves peut-il nous venir dans ce sommeil [...] » constitue une
phase de transition et récapitule la première partie. Au niveau
figuratif, cette seconde section passe des malheurs de la vie sous diverses
formes à ce qui peut bien y avoir après la mort. Grâce aux
nombreuses énumérations, nous pouvons bien nous visualiser ces
différents malheurs. La « région
inexplorée » de la mort plonge Hamlet dans un pur
désarroi et nous amène à penser qu'elle n'est en aucun un
soulagement, ce qui encore une fois est contradictoire avec l'idée de
départ que se faisait Hamlet.
La troisième et dernière partie de
l'argumentation commence avec « Ainsi la conscience fait de nous tous
des lâches [...] » et continue jusqu'à la fin du
soliloque. Avec la présence de la même isotopie temporelle «
Ainsi », le raisonnement d'Hamlet se conclut plutôt dans la
logique. L'argumentation a totalement changé par rapport à la
première partie car l'envie de se suicider a diminué de phrase en
phrase. « [...] les couleurs natives de la résolution
[...] » constitue une métaphore qui dévoile ce
changement d'opinion vis-à-vis du suicide. Sur le plan actanciel, ce
concept d'existence passe par l'étape d'une conscience qui nous fait
subir la vie : il n'y a pas de réaction à adopter face
à la vie si ce n'est que de la subir. Au final, il y a bien une prise de
décision mais le problème n'est nullement résolu. Il y a
comme un retour à la case départ.
Enfin, nous pourrons qualifier la dernière phrase de
retour à la réalité pour le protagoniste
lorsqu'Ophélia entre dans la pièce.
|