Conclusion
Tout comme les autres formes d'échange, le soliloque
est un discours complexe. Entre un interlocuteur peu ordinaire et un contenu
purement réflexif et parfois irrationnel, il se distingue
néanmoins des autres échanges.C'est dans un contexte totalement
indépendant d'autrui, que l'énonciateur fait appel au soliloque
pour faire un point et avancer dans son plan d'action. Le soliloque est un
monologue non-adressé qui remet en cause la solitude mais qui la
recherche dans un même temps. C'est pourquoi nous lui attribuons ce
côté paradoxal. Il constitue une certaine unité qui met en
avant sa structure abandonnique au travers d'un personnage rempli
d'états d'âme. Le soliloque ne peut être confondu avec le
monologue qui lui, est adressé ; ni avec le dialogue qui
nécessite au moins deux interlocuteurs et obéit à des
règles.
Au théâtre, l'argumentation est vue comme
indirecte car le dramaturge transmet son message au travers d'une fiction pour
la plupart du temps, amuser le lecteur tout en l'amenant à
réfléchir. Elle est également vue comme étant
principalement dialogale puisqu'elle fait partie d'un circuit d'échange
où se mêlent diverses formes de discours : le dialogue, le
monologue, le soliloque, l'aparté. Le théâtre est un art
qui maîtrise le dialogue et notre première impression nous
amène à affirmer qu'il y a une sorte de
délibération entre les personnages. Par ailleurs, l'argumentation
dans les tragédies de Shakespeare se manifeste par le biais de
personnages en constante recherche d'un acte à planifier et à
accomplir. Un acte qui les mènera à leur perte au moment du
dénouement. Enfin, l'argumentation peut être liée à
une même notion sans pour autant les confondre : la notion de
manipulation.
Au vue de nos trois analyses, nous pouvons affirmer que
l'argumentation se manifeste bel et bien dans le soliloque. Elle prend forme
indirectement et n'est pas reconnaissable à première vue du fait
de la question de l'interlocuteur. Elle apparaît cependant au travers
d'une même notion au sein du soliloque : au travers du doute, de
l'incertitude. Nos trois personnages sont confrontés face à une
incertitude concernant une action à mener. A chaque fois, ils
pèsent le pour et le contre mais prennent toujours une décision.
Cette décision ne sera peut-être pas la bonne et aura
sûrement des conséquences à terme mais il est
nécessaire d'évaluer la vérité même si les
personnages ne l'atteignent pas réellement et peuvent rester dubitatif
face à leurs choix. Outre un pur moment de réflexion et un
accès à l'esprit du locuteur, le soliloque n'apporte guère
de réponse aux personnages mais participe quand bien même à
l'intrigue puisqu'il est un moment clé pour le lecteur qui a un
accès aux pensées profondes du personnage. Richard III, Macbeth
et Hamlet sont autant les uns que les autres sceptiques en ce qu'ils
n'accèdent pas à la vérité en tant que telle. Les
sceptiques sont en constante recherche d'une vérité absolue.
Hamlet se pose une question existentielle dans son discours : qu'il y
a-t-il après la mort ? C'est une interrogation totalement sceptique
puisque nul homme ne peut répondre à cette question. Il ne s'agit
pas en fait d'affirmer qu'il ne peut rien y avoir du tout mais de chercher
plusieurs possibilités. Les locuteurs énoncent des opinions
contradictoires, c'est pour raison que nous avons deux discours dans ces
soliloques.
Si nous devions donner une suite à ce mémoire,
une étude plus détaillée sur le soliloque serait
envisagée, mais cette fois-ci, en privilégiant le
côté des émotions, des passions. Il serait question
d'étudier les raisons et les possibilités de ces états
d'âmes et de ces émotions dans le théâtre
shakespearien et de les analyser particulièrement dans le soliloque,
forme de discours complexe en ce qu'il mobilise lui-même une figure
complexe : le sujet individuel. Le sujet sera ainsi
considéré comme étant le centre de cette analyse ;
c'est-à-dire qu'il ne s'agira pas d'étudier les émotions
du côté du spectateur du théâtre mais du
côté du personnage en soulignant les intentions de ce dernier.Pour
approfondir cette étude sur le personnage, nous aurons recours à
la pragmatique et au concept d'acte de langage d'Austin et de Searle en
insistant sur l'acte illocutoire (production d'un énoncé) et sur
l'acte perlocutoire (effets produits). Nous utiliserons principalement la
sémiotique des passions et la sémiotique narrative afin de
parvenir à des analyses plus approfondies. La psychologie nous aiderait
également pour mieux comprendre les différents mécanismes
émotionnels en tant que tels.Nous mettrons enfin l'accent sur la
dimension philosophique des passions, en passant par les émotions en
tant que maladie de l'âme chez Kant aux émotions en tant que
libération de la vie chez Hegel par exemple.
Par ailleurs, nous essaierons de dresser une typologie du
locuteur pour le soliloque.La problématique sera donc la suivante :
comment le soliloque, procédé de technique dramatique et
complexe, véhicule-t-il les affects et les émotions au travers
d'une seule figure ayant à la fois le statut de locuteur et
d'interlocuteur ?Enfin, le corpus serait constitué de
soliloques tirés des pièces de Shakespeare. Les soliloques seront
choisis suivant le type de locuteur et les émotions qu'ils font
paraître. C'est-à-dire que nous ne choisirons pas des soliloques
véhiculant les mêmes émotions ou les mêmes affects
sinon l'analyse serait toujours la même. Etant donné du nombre
d'émotions que nous pouvons retrouver dans ces pièces de
théâtre, nous pensons qu'analyser au moins quatre ou cinq
soliloques seraient pertinents pour rendre compte au mieux des raisons de ces
émotions.
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