La carte nationale d'identité dans l'Adamaoua: 1960-2013( Télécharger le fichier original )par Gabana Jean Francis Université de Ngaoundéré - Master Recherches en histoire 2013 |
Iii-Les réactions des populations À l'Égard de la question d'identification.Au cours de l'histoire, l'autorité politique imposa fréquemment aux gens ordinaires l'exigence de laissez-passer, de documents d'identité ou d'autorisation de circuler. De même, les esclaves américains avaient besoin d'un passeport intérieur pour circuler. La majorité des pays africains après l'indépendance en se dotant du système d'identification basé sur la carte d'identité, ont imposé la possession de ces pièces de la vie civile à leurs citoyens. Ainsi, le Cameroun n'est pas en marge de cette pratique. La finalité de cette partie est d'analyser les comportements des populations de l'Adamaoua vis-à-vis de la question de la carte nationale d'identité. De manière concrète, il s'agira d'examiner les formes de résistance des populations, les raisons d'une ruée dans les postes d'identification à un moment précis et enfin il sera question d'analyser les mobiles de l'abandon des cartes nationales d'identité dans les postes d'identification de l'Adamaoua. 1. Une passivité des populations à l'égard de la carte nationale d'identité.En Afrique en général, la question d'identification n'est pas universellement perçue comme un droit fondamental. De ce fait, il ne lui est accordé qu'une infime priorité. Au Cameroun et dans l'Adamaoua particulièrement, la possession de la carte nationale d'identité n'est pas considérée comme une priorité par certains citoyens. Un tel comportement est justifié par l'ignorance et la méconnaissance des droits relatifs à l'établissement des cartes nationales d'identité et l'ignorance même de ce document d'identité comme pièce officielle. C'est dans cette optique que Jean Marie Adiaffi met en exergue dans son oeuvre un dialogue entre un agent de la force de l'ordre le personnage Malédouman en ces termes : -« Ta carte d'identité ! Ta carte d'identité ! » -« Qu'est-ce que cette histoire de carte d'identité ? Regardez-moi bien. Sur cette joue, cette marque que vous voyez, c'est ma carte d'identité » « ...carte d'identité, quel drôle de mot ! (...) Cela ne veut rien dire (...). Seul le sang, la famille identifient réellement. Seule l'histoire identifie réellement. Seul le temps identifie réellement ».140(*) Ce dialogue traduit combien de fois la carte d'identité est étrangère pour l'Africain qui ne trouve dans ce document aucune importance. En effet, dans les zones rurales de l'Adamaoua, l'établissement des cartes nationales d'identité n'est pas considéré comme important par les citoyens qui sont préoccupés dans leur survie au jour le jour. La valeur de la carte nationale d'identité est négligée face à des problèmes plus immédiats et plus tangibles, en oubliant son potentiel. Le problème majeur qui se pose ici, est l'absence de rapports entre le citoyen et les services d'identification. Dès l'institution de la carte nationale d'identité, le gouvernement camerounais a manqué à mission qui est celle d'informer et de sensibiliser la population. Il se trouve donc que certains citoyens dans l'Adamaoua, face à cette situation, ne pouvaient que manifester une réticence vis-à-vis de la carte nationale d'identité. Ainsi, à cause des affres de la colonisation européenne l'on note tout de même un climat de méfiance des populations au cours des années 1960 à l'égard de toute entreprise de l'État. En fait, il est important de noter que la notion d'identification, qui a été introduite par l'autorité coloniale était en général mal perçue. Les populations y voyaient une pratique étrangère qu'on leur imposait et non un service dont il bénéficiait. L'on pouvait souligner à cette époque la méfiance des populations à l'égard de tout fichage, en raison de son usage pour l'établissement de l'assiette de l'impôt et des listes des imposables. Cette image a perduré chez certains citoyens de l'Adamaoua qui, pendant les années 1960, percevaient en la carte nationale d'identité une pratique étrangère destinée à les asservir. Il ressort donc que, l'une des raisons qui explique par ailleurs, la réticence ou la passivité des populations de l'Adamaoua est le manque de sensibilisation des citoyens au sujet du bien-fondé de la carte nationale d'identité. Par ailleurs, l'identification dans l'Adamaoua est ignorée en tant qu'institution. En dehors d'une franche infime d'intellectuels ou de professionnels de l'identification, certains citoyens des zones rurales de l'Adamaoua n'ont pas la moindre idée du sens ou du bien-fondé de la carte nationale d'identité. Ils perçoivent mieux l'identification comme quelques formalités bureaucratiques que l'on doit remplir dans certaines circonstances de la vie, sans trop de question. L.Tart et M. Francois, analysant l'état-civil en Afrique, justifient cette ignorance en ces termes : En Afrique..., une telle méconnaissance ne peut être que la règle, dans la mesure où la notion d'État moderne représente plus une superstructure ajoutée comme « pièce rapportée » à la vie courante, qu'un élément intégré à celle-ci. On pourrait donc dire que, dans les mentalités, l'état-civil n'existe simplement pas : il y a juste là une émanation de l'Administration, des « gens des bureaux » (Ngomna), qui impose quelques contraintes dans une série de circonstances en rapport avec les exigences de la modernité, mais ce n'est nullement porteur de sens propre141(*). De ce qui précède, il ressort que les législations qui ont été conçues pour l'identification ont été transposées dans un contexte où elles n'avaient pas vocation à s'appliquer. Toutefois, les législateurs de la carte nationale d'identité du Cameroun n'ont pas tenu compte de la culture et des réalités quotidiennes des communautés locales. Ces textes sont donc entrés par effraction chez les populations du Cameroun et de l'Adamaoua en particulier. De même, il faut souligner la légèreté des autorités administratives dans l'Adamaoua au cours des années 1970 en ce qui concerne la gestion de la question d'identification des citoyens. En outre, la loi n° 64 du 13 septembre 1964 rendant obligatoire la carte nationale d'identité combinée à l'article 59 du décret de la gendarmerie instituant le contrôle d'identité n'a pas été scrupuleusement appliquée. Dans l'Adamaoua, à cette époque, les citoyens se déplaçaient d'une localité à une autre sans en permanence présenter leur carte nationale d'identité à un agent de la force de l'ordre. Ainsi, Madame Diza Inès témoigne en ces termes : Au cours des années 1970, il n'existait presque pas de contrôle rigoureux de pièce d'identité dans les postes de contrôle routier. Les femmes n'étaient même pas interpellées pour une question de carte nationale d'identité. C'est souvent les femmes mariées aux « hommes en tenue » et celles qui occupaient des postes de responsabilité qui généralement, détenaient la carte nationale d'identité142(*). Dès lors, il faut dire que la passivité des populations de l'Adamaoua vis-à-vis de la question de la carte nationale d'identité réside surtout dans la méconnaissance du bien-fondé de cette pièce de la vie civile. Cette passiveté résulte également du manque de sensibilisation de la population par l'administration. La carte nationale d'identité avait été instituée sans aucune campagne de sensibilisation de la population camerounaise. Cependant, l'ouverture démocratique au Cameroun notamment les différentes échéances électorales fut à l'origine de la ruée des populations dans les postes d'identification. Aussi, pour atteindre sa mission d'identification des citoyens, l'État camerounais a pris des mesures coercitives envers les citoyens, en instituant des contrôles systématiques d'identité. * 140J.M.Adiaffi, 1980, La carte d'identité, Paris-Abidjan-CEDA, coll. Monde Noir Poche, p. 28 et 29. * 141L.Tart et M. François, 1999, État-civil et recensement en Afrique francophone pour une collecte administrative de données démographiques, Paris, Les documents et manuels du CEPED n°10, p.196. * 142 Entretien avec Diza Inès, ménagère, Ngaoundéré, 12 aout 2014. |
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