La carte nationale d'identité dans l'Adamaoua: 1960-2013( Télécharger le fichier original )par Gabana Jean Francis Université de Ngaoundéré - Master Recherches en histoire 2013 |
2. La ruée des citoyens dans les postes d'identification à partir des années 1990.Les mobiles qui justifient la ruée des citoyens dans les postes d'identification de l'Adamaoua sont une conjugaison de plusieurs faits. En fait, depuis l'institution de la carte nationale d'identité, des mesures coercitives n'étaient pas aussi prises par l'État à l'endroit des citoyens réticents et/ou récidivistes. Il fallut attendre les années 1990, caractérisés par l'ouverture démocratique et la montée fulgurante de l'insécurité dans cette Région frontalière avec la République Centrafricaine, le Tchad et le Nigeria pour assister aux contrôles systématiques des documents. Cette mesure a amené plusieurs citoyens à prendre d'assaut les postes d'identification repartis dans la Région. La montée de l'insécurité dans l'Adamaoua est caractérisée par l'émergence du gangstérisme urbain et rural et la grande criminalité. Face à cette situation l'autorité mit en place la politique « du tout répressif »143(*). Dans le but de reconstruire l'ordre public, la sécurité et la stabilité dans cette Région, le contrôle d'identité dans les centres urbains et même les frontières de l'Adamaoua fut résolument la méthode employée par l'État pour mettre hors d'état de nuire les acteurs de l'insécurité et amener les citoyens qui ne disposaient pas de carte nationale d'identité à s'en procurer. En effet, le contrôle d'identité est une opération de police visant à établir l' identité de la personne contrôlée. Le droit distingue le contrôle d'identité de police judiciaire, qui s'effectue dans le contexte d'une infraction, et le contrôle d'identité de police administrative, qui peut avoir pour objectif de prévenir des infractions, et non simplement de les réprimer. Les contrôles ne peuvent se faire sur le seul fondement de l'apparence extérieure, ni non plus sur le seul fait de parler une langue étrangère144(*). Dès lors, des patrouilles mixtes et les opérations de rafle ont été organisées dans tout l'Adamaoua. L'une des principales missions est de contrôler autant d'identité des personnes dans la Région. Contrairement aux périodes 1960 ; 1970 et 1980 où il y avait quelques contrôles sporadiques d'identité au niveau des postes de contrôle de gendarmerie, de police et au niveau des frontières de l'Adamaoua, il eut cette fois-ci de la rigueur dans les postes de contrôle de l`Adamaoua et des multiples descentes des agents de la force de l'ordre dans les zones rurales. Madame Amina Clémentine rapporte que : Les militaires de Ngaoundal, de Ngaoundéré et les gendarmes de Tibati descendaient à Mbakaou. Les villageois étaient surpris à partir de 4 heures du matin, ceci pour que personne n'échappe au contrôle des cartes nationales d'identité. Ceux qui ne disposaient pas de carte nationale d'identité, étaient immédiatement conduits à Tibati située à 40 Km où ils iront s'expliquer devant un commissaire ou un commandant de brigade et ne regagneront le village que s'ils se sont fait établir leurs cartes d'identité145(*). De ce qui précède, il est à noter que la répression de la force de l'ordre est la base même de la ruée des citoyens dans les postes d'identifications. Il était dont difficile que les récidivistes et les malfrats passent entre les mailles du filet de la police. La seule issue fut donc d'aller dans les postes d'identification se faire établir leur carte nationale d'identité pour éviter toute tracasserie de la police dans les centres urbains et lors des déplacements d'une localité à une autre. Ainsi, comme les postes d'identification étaient insuffisants au début des années 1990, ce fut donc la bousculade au niveau de quelques postes. Par ailleurs, l'avènement de la carte nationale informatisée en 1998, a augmenté les demandes des cartes nationales d'identité dans la région de l'Adamaoua. En plus de la répression policière dont sont victimes les citoyens, la nouvelle carte nationale d'identité en format teslin146(*) a suscité la curiosité des citoyens de l'Adamaoua. Toutefois, de nombreux citoyens se sont dirigés dans les postes d'identification soit pour remplacer l'ancienne carte en format carton (pour ceux qui s'étaient déjà fait identifier), soit pour une première demande (pour ceux qui avaient atteint l'âge requis pour avoir une carte nationale d'identité)147(*). Bien qu'elle soit chère au début pour les citoyens camerounais moyens, plusieurs citoyens de la région de l'Adamaoua surtout les Mbororo qui sont généralement installés dans les zones rurales ont mis les moyens en jeu pour se faire établir leurs cartes nationales d'identité informatisée. En masse et surtout accompagnés des démarcheurs, ceux-ci ne désemplissaient pas les postes d'identification148(*). Cependant, le monisme ne pouvant expliquer un fait en histoire, la répression de la force de l'ordre et l'avènement de la nouvelle carte nationale d'identité ne sont pas les seules causes de la ruée des populations dans les postes d'identification de l'Adamaoua. Il faut également prendre en compte les raisons politiques. En fait, le citoyen est celui qui bénéficie des droits politiques149(*). Par le biais du vote il désigne des personnes à qui il confie les différents pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire). L'État camerounais et les Camerounais en cela ne dérogent donc pas à la règle. La citoyenneté étant un vecteur d'identité nationale. Les citoyens souhaitant s'inscrire sur les listes électorales doivent accomplir un certain nombre d'actes car si le droit de s'inscrire est reconnu aux citoyens en âge de voter (20 ans)150(*), il n'a de sens que si d'autres formalités sont remplies. Dans le cas contraire, le citoyen (n'ayant pas accompli ces autres formalités) n'a pas droit à l'inscription sur les listes électorales. C'est ainsi que le citoyen n'a pas droit à l'inscription s'il ne possède pas de carte nationale d'identité. La possession de la carte nationale d'identité est cruciale dans l'inscription sur les listes et c'est justement pour cette raison que ceux qui ne l'ont pas ne sont pas autorisés à s'inscrire. Cependant, la carte nationale d'identité en cours de validité, constitue le document de base permettant de faire inscrire un citoyen sur les listes électorales. Monsieur Ndjobdi, rapport que : En 2004, à cause de l'échéance électorale, le poste d'identification de la délégation régionale de la sûreté nationale de l'Adamaoua (AD 01) et celui du commissariat central de Ngaoundéré (AD 05) ne désemplissaient pas des demandeurs de carte nationale d'identité. Il a fallu renforcer l'équipe d'identification pour mener à bout l'identification en cette période. Par jour le poste d'identification AD 01 à lui seul, produisait en moyenne 350 à 400 demandes de cartes nationales d'identité.151(*) La gratuité de l'établissement des cartes nationales d'identité et l'action des hommes politiques de l'Adamaoua expliquent également la ruée des citoyens dans les postes d'identification. Pendant les campagnes d'identification gratuite de 2002, 2004, 2011 et 2013, la sensibilisation mené par les élus locaux de l'Adamaoua a permis aux citoyens des zones périphériques et même aux femmes du Saaré152(*)de se rendre dans les postes d'identification. L'exemption des frais d'identification par le président de la République à la veille des échéances électorales a permis aux citoyens démunis de se rendre en masse dans les centres d'établissement des cartes nationales d'identité. Au-delà de ces raisons, La dimension économique explique aussi la ruée de la population dans les postes d'identification. À partir des années 2000, les entreprises bancaires de transfert d'argent en occurrence EXPRESS UNION, EXPRESS EXCHANGE, MONEYGRAM etc. s'installèrent dans la région de l'Adamaoua. Sans publicité, avec l'évolution de la technologie de l'information, ces entreprises permettent en même temps de transférer et recevoir, en toute discrétion, de l'argent à l'intérieur et à l'extérieur du Cameroun. C'est en effet, une manière de déjouer les braqueurs et les coupeurs de route qui jadis avaient l'habitude d'opérer dans les centres urbains et sur les voies publiques. Ainsi, pour bénéficier de leurs services, il faut au préalable posséder une carte d'identité en cours de validité. Vu cette exigence, les citoyens qui ne possédaient pas de carte nationale d'identité ne pouvaient que se rendre dans les postes d'identification pour se faire identifier. Mvuti Pauline explique en ces termes : Pour bénéficier de nos services tout usager doit posséder une carte d'identité permettant de l'identifier. Ce document nous permet de connaître le bénéficiaire, sans confusion avec une autre personne et le destinataire. Nous n'acceptons pas par conséquent les cartes d'identité arrivées à expiration dans nos services ceci pour prévenir les fraudes153(*). Dès lors, le délégué régional de la sûreté nationale de l'Adamaoua fait un bilan de l'identification. Selon ce responsable de l'identification dans l'Adamaoua, les statistiques sont impressionnantes : « Au niveau des postes fixes, la région de l'Adamaoua a établi 87 517 cartes. Au niveau des postes mobiles, ils ont établi 26 166 cartes. Ce qui donne un total de 113 683 cartes nationales d'identité établies gratuitement dans la région de l'Adamaoua entre avril et juin 2013 »154(*). * 143Nteanjignigni Yaya, 2011, « L'impératif sécuritaire dans l'Adamaoua (Cameroun) : 1990-2010 », mémoire de master recherches en Histoire, université de Ngaoundéré. p. 77. * 144 Entretien avec Henri Sanama, Commissaire de Police Principal, Meiganga, 28 mai 2014. * 145 Entretien avec Amina Clémentine, Tibati, 06 juin 2014. * 146 Voir le décret n° 2007/254 du 4 septembre définissant les caractéristiques et les modalités d'établissement et de délivrance de la carte nationale d'identité. * 147 Entretien avec Baino Pagoah, chef de poste d'identification de Banyo, Banyo, 14 juin 2014. * 148 Entretien avec Mohamadou Salissou, chef de poste d'identification de Tibati, Tibati, 06 juin 2014. * 149D.Schnapper, 2000, Qu'est-ce que la citoyenneté, Paris, Gallimard, p. 105. * 150 Lire l'article 11 du code électoral Camerounais. * 151 Entretien avec Ndjobdi Pierre, Personnel d'identification, Ngaoundéré, 03 septembre 2014. * 152 Les femmes cloitrées * 153 Entretien avec Mvuti Pauline, agent EXPRESS UNION de Ngaoundéré, Ngaoundéré, 28 septembre 2014. * 154 Entretien avec Seke Colomban, délégué régionale de la sûreté nationale de l'Adamaoua, Ngaoundéré, 30 septembre 2014. |
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