4.2.2.3 Reproduction sociale
Les représentations que les étudiants se font de
la formation au métier de soin correspondent à l'organisation qui
leur est proposée, c'est-à-dire travailler entre pairs et
s'entraider. Les propos de Clara, P3, illustrent un modèle de
socialisation secondaire de renforcement : « moi, je suis d'une
fratrie où je suis la plus jeune, mon frère et ma soeur sont plus
âgés que moi. Donc, moi, je n'ai pas eu l'habitude d'aider
quelqu'un, mais quand j'étais en P1, ça m'a pas
gênée, j'ai toujours fonctionné comme ça, mon
frère et ma soeur m'aidaient parfois. Donc, ça m'a pas paru
bizarre qu'un P3 s'occupe de moi au début... Ensuite, j'ai toujours eu
des facilités à l'école, depuis toujours, donc j'avais
l'habitude d'être avec des gens qui comprenaient moins vite que moi. Et
du coup, expliquer aux autres, moi je l'ai toujours fait, ça ne me
gène pas, au contraire. Donc, quand je suis passée P3, expliquer
aux autres, c'était facile...219». Fanette, P3, est
très explicite : « je crois que j'ai toujours été
accompagnatrice de quelqu'un, de mon petit frère, mon père ayant
eu pas mal de problèmes de santé... c'est moi, la soignante de la
famille. Comme personne n'est médecin chez moi, et que j'ai quelques
connaissances médicales, ça me donne ce rôle là
facilement. Et puis, j'ai coaché aussi au basket des petites, donc j'ai
toujours eu ce rôle là en fait. J'aime bien. Je ne me force pas.
Moi, ça m'a servi beaucoup d'avoir coaché des équipes,
d'abord d'avoir fait partie d'équipes au basket. Quand j'ai eu fait dix
années de basket, on m'a dit `'maintenant tu peux t'occuper d'une
équipe, tu vas expliquer tous tes gestes à des petites de sept
ans'', j'ai dit O.K. Au début, en expliquant le plus simplement possible
et quand j'ai vu que ça fonctionnait, j'ai trouvé ça
super, donc on continue. Là, j'ai
n'est que bien peu de chose comparé à ce long
passé au cours duquel nous nous sommes formés et d'où nous
résultons. Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas,
parce qu'il est invétéré en nous ; il forme la partie
inconsciente de nous-mêmes.»
217M. Darmon, op. cit., p. 71 et 72.
218En référence, les deux parties que C.
Dubar consacre à la socialisation professionnelle et aux enquêtes
réalisées sur son fonctionnement dans La socialisation,
Paris, A. Colin, 2000, p. 125-233. 219 Cf. annexes entretiens Cl.
4.
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arrêté car je n'ai pas le temps mais
dès que je pourrai, je reprendrai une équipe, j'adore ça,
je trouve que c'est mieux que de jouer, presque (rire)...»
L'étudiante P3 rajoute : « j'ai eu deux frères dont un
beaucoup plus grand que moi [...J ; mon frère s'est toujours
occupé de moi. C'est vrai que quand on arrive en soins, c'est pareil,
c'est des gens qui ont quatre ou cinq ans de plus que nous qui nous coachent.
Moi, ça ne me dérange pas du tout, au contraire, j'ai l'habitude
de ça, ça me va. Pareil, j'ai l'impression, maintenant quand je
vois les P1, de voir mon petit frère, donc moi ça me convient de
m'occuper d'eux.220»
Les situations entre pairs dans lesquelles sont placés
les étudiants correspondent à une socialisation qui serait de
l'ordre d'une reproduction sociale. La majorité des étudiants
enquêtés, formellement ou de façon informelle, sont issus
de fratries et les stagiaires ont appris le partage avec leurs proches. Ils ont
été élevés, éduqués en groupe lors de
leur scolarité et de leurs pratiques sportives. Les étudiants
font un rapprochement avec ce qui se passe dans leurs familles ou leurs groupes
de loisirs et comparent ces situations entre pairs avec leurs
expériences antérieures. Selon eux, le plus «
âgé », le plus expérimenté doit aider le plus
« jeune », celui qui a moins d'expérience, c'est dans l'ordre
des choses. Cette conception est vraisemblablement ce qui fait que le mode
d'apprentissage dans cet institut est accepté et valorisé par les
étudiants.
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