4.2.2.2 Socialisation primaire et secondaire
Le P3 est le plus « avancé » dans la
formation. Pour les étudiants interviewés, il est « normal
» que ce soit lui le responsable du P1, le tuteur,
l'accompagnateur206, celui qui aide. Clara, P3, me confie : «
c'est naturel quand on est en P1 ou en P3 de travailler avec les autres. Y
a pas de raison de se mettre qu'avec un P3 quand on est un P3... je ne sais pas
pourquoi, sans doute parce que c'est une habitude, depuis
longtemps207...» Charlène, P3, explique les mises
en route des pratiques de soin avec patient : « en fait, ça va
de soi : même quand il y a des P2 [dans la salle de soin], c'est marrant,
y a des P2 qui se mettent ensemble mais, nous, on se met toujours avec un P1;
on ne se met ensemble que quand il manque des patients. C'est comme
ça.208 » Il est donc acquis, pour l'ensemble des
étudiants, que celui qui peut le mieux aider le P1, c'est
forcément le P3 et qu'« être le tuteur, c'est presqu'un
devoir.209 » Charlène précise : «
j'ai des connaissances, donc j'ai ce devoir là, j'ai cette chance de
pouvoir transmettre, en fait, à quelqu'un qui va faire la même
formation que moi.210 » Aider celui ou celle qui
appartient au même groupe (étudiants pédicures-podologues)
est une évidence pour les étudiants. Thom, P1, m'explique :
« [...] apporter la connaissance et aider les autres, c'est quelque
chose de quotidien et de naturel.211 »
Couramment, on distingue la famille, l'école, les
groupes de pairs, le métier. La sociologie fait une distinction entre
socialisation primaire et socialisation secondaire. Murielle Darmon explique :
« on appelle socialisation primaire celle qui a lieu dans la famille, et
socialisation secondaire, celle réalisée par toutes les autres
instances.212 »
206 Cf. annexes entretiens, B.14, 30, 34.
207 Cf. annexes entretiens Cl. 2.
208 Cf. annexes entretiens CH 64.
209 Cf. annexes entretiens CH 66.
210 Cf. annexes entretiens CH 66.
211 Cf. annexes entretiens T. 42.
212 M. Darmon, op.cit., p. 9 et 10.
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On peut comprendre que ces distinctions sont fragiles si on
considère que, pendant la socialisation primaire, d'autres instances que
la famille interviennent (comme les crèches, l'école, les
professeurs, les autres enfants...) au même moment qu'elle.
Une autre définition de l'opposition de ces deux
socialisations consiste à qualifier la socialisation primaire comme
celle qui se produit pendant l'enfance et l'adolescence, et la socialisation
secondaire, celle qui a lieu à l'âge adulte. Cette
dénomination semble permettre un usage plus souple des concepts, car les
recherches ont permis de rendre compte de la difficulté à
scinder, de façon régulière et précise, ces
différents moments de la vie, et donc ces deux types de socialisation.
En ce sens, l'école peut apparaître comme une organisation de la
socialisation primaire, associée à la famille, ou bien comme une
instance de la socialisation secondaire, en tant que formation professionnelle.
Ce qui ressort des nombreuses enquêtes menées en sociologie, c'est
que leurs influences ne sont pas les mêmes. Ces différentes
instances évoluent historiquement (l'importance de la famille suivant
les époques, les modes de scolarisation, la culture...) et peuvent plus
ou moins se coordonner. Les actions de ces instances peuvent se
compléter (par exemple, famille et école) ou entrer en conflit en
cas de trop grande distance entre culture familiale et culture scolaire.
Cette socialisation antérieure s'accorde-t-elle avec
celle que les étudiants découvrent en entrant en formation ?
Sont-ils face à des socialisations de renforcement ou de
transformation213?
Peter Berger et Thomas Luckmann214 décrivent
la socialisation primaire comme la première que l'enfant subit dans son
enfance. La socialisation secondaire « consiste en tout processus
postérieur qui permet d'incorporer un individu déjà
socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de sa
société.215 » Selon ces auteurs, une
caractéristique oppose les deux types de socialisation : l'enfant semble
intérioriser le monde familial comme seul monde envisageable alors que
l'adulte a la capacité d'intégrer le monde de son travail (le
travail de formation compris) de manière plus large et relative. Le
processus de socialisation ne provoquerait pas, a priori, les mêmes modes
« d'incrustation » chez l'individu216. Pour autant, Peter
Berger et Thomas
213 M. Darmon, op.cit.
214P. Berger, T. Luckmann, La construction
sociale de la réalité. Paris, Méridiens Klinckieck.
1986. 288 p.
215P. Berger, T. Luckmann, op. cit.,
p.179.
216Pour illustrer ce propos, citons Emile Durkheim
qui écrit, dans L'Evolution pédagogique en France
(1938), p.18-19: « en chacun de nous, suivant des proportions
variables, il y a de l'homme d'hier ; et c'est même l'homme d'hier qui,
par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le
présent
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Luckmann considèrent que cette distinction a ses
limites. Ils expliquent que certaines socialisations secondaires peuvent se
rapprocher des socialisations primaires « tant par leur prégnance
que par leur dimension affective.217 » Certaines professions,
notamment les professions de service, médicales ou paramédicales,
peuvent être le lieu de construction d'une socialisation secondaire
particulière218.
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