4.2.2.1 Processus de socialisation
L'ensemble des mécanismes par lesquels les individus
font l'apprentissage des rapports sociaux entre les hommes et assimilent les
normes, les valeurs et les croyances d'une société est
caractérisé sous le terme de socialisation.
Murielle Darmon, chercheuse au CNRS, définit la
socialisation comme « l'ensemble des processus par lesquels l'individu est
construit, formé, modelé, façonné, fabriqué,
conditionné, par la société globale et locale dans
laquelle il vit, processus au cours desquels l'individu acquiert, apprend,
intériorise, incorpore, intègre, des façons de faire, de
penser, et d'être qui sont situés
socialement.199»
La socialisation de l'enfant nomme le processus par lequel il
s'approprie les normes, les valeurs et les rôles qui gouvernent le
fonctionnement de la vie en société, à travers les
interactions qui s'engagent tout d'abord avec ses proches. Murielle Darmon,
dans
196 Cf. annexes entretiens F. 74.
197 Cf. annexes entretiens CH. 28.
198 Cf. annexes entretiens B.42.
199 M. Darmon, La socialisation. Armand Colin. 2011. p.
6.
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son ouvrage La socialisation, explique que pour
comprendre ce qui est en jeu dans la socialisation, il faut se questionner sur
ce qui permet à un ensemble d'individus de constituer une
société et à chaque individu de trouver sa place au sein
de cet ensemble, tout en en développant une capacité d'action
autonome. Dans l'interaction sociale, il faut retenir des notions essentielles
que sont les rôles, envisagés comme des modalités pratiques
d'exercice d'une fonction, les valeurs, servant d'étalon ou de
critères permettant une justification 200, les normes
envisagées comme les façons acceptées de se conduire. Ces
notions donnent forme aux différents mondes sociaux. Leur acquisition
permet à l'individu d'y être pleinement intégré.
La construction de l'individu en société passe
par la socialisation de l'enfant au contact des autres. Selon Emile Durkheim,
l'éducation des enfants participe d'un processus de socialisation
méthodique, conduit par les parents tout d'abord et les enseignants par
la suite. L'objectif d'apprentissages systématiques serait des
manières de pensées et d'agir attendues par la
société dans laquelle les individus évoluent. Chaque
société, chaque milieu établissent des normes et des
façons d'être et de faire qui influencent fortement les
différents acteurs. Cette socialisation ne se limite pas simplement aux
faits éducatifs, elle assure également une intériorisation
des normes et des valeurs propres au milieu d'appartenance et prépare
les individus à exercer des rôles qu'ils occuperont dans la
société. L'institut de formation en pédicurie-podologie
étudié est un exemple d'institution organisée : «
depuis qu'on est arrivé, on nous a dit vous `'vous mettez avec un
plus grand que vous'', donc, quand on est plus grand, on se met avec un plus
petit (rire), et puis, voilà201» me dit Helena, P3.
« C'est clair, dès le début, qu'il y a aura toujours
quelqu'un avec nous pour faire les soins.202»
Plusieurs courants de pensée ont permis d'analyser la
socialisation : certains sociologues, influencés par le
fonctionnalisme203, ont examiné la socialisation en termes
d'inculcation et de soumission des individus aux impératifs sociaux.
Pierre Bourdieu, par le concept d'habitus, a insisté sur le processus
d'incorporation des
125 S.H. Schwartz, « Les valeurs de base de la
personne : théorie, mesures et applications ». Revue
Française de Sociologie. Presses de Sciences Po., 2006.
201 Cf. annexes entretiens H 26.
202 Cf. annexes entretiens F.66.
203 Talcott Edger Parsons, 1902-1979, sociologue
américain, a élaboré une théorie qu'il appelle
fonctionnalisme systémique de l'action. Cette théorie emprunte
des éléments à différents auteurs (Sigmund Freud,
Émile Durkheim, Max Weber, Pareto, etc.).
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conditions sociales et des expériences passées
par l'acquisition, souvent inconsciente, de manières de parler, manger,
marcher,... propre à chaque milieu social.
Pour autant, la socialisation peut être envisagée
comme un processus plus interactif, à l'instar de la pensée
interactionniste développée par George Herbert
Mead204. L'individu est pensé, à la fois, dans sa
nature sociale et dans sa capacité à réfléchir sur
ses actes et prises de position (ce que l'auteur nomme « intelligence
réflexive »). Il se construit dans une interaction permanente entre
sa subjectivité (« je ») et son image sociale (« moi
»). Pour George Herbert Mead, c'est le contact et la
référence aux autres qui permet à l'individu de se
construire.
L'enfant va s'approprier peu à peu des rôles
sociaux incarnés par ses proches (son père, sa mère, son
frère, sa maîtresse d'école...), souvent par le jeu, et va
structurer sa personnalité. L'enfant imite, reproduit ou copie les
attitudes et les conduites de celui que George Herbert Mead appelle «
l'autre significatif » en se mettant à sa place. L'autre
significatif symbolise la mère, le père, ou toute autre personne
du groupe primaire dont fait partie l'enfant. A la façon d'un acteur,
l'enfant se fait père, mère ou instituteur, de sorte qu'il
endosse les rôles des autres significatifs jusqu'à ce que ces
rôles deviennent les siens. Dans une certaine mesure, ce jeu
contrôle et oriente le développement de sa personnalité.
Puis, il élargit son champ de perception et comprend que le monde est
constitué de tout un ensemble de personnes, ce qui l'amène
à généraliser son point de vue et à se
référer à « l'autre généralisé
». Pour George Herbert Mead, l'autre généralisé
incarne la communauté organisée ou le groupe social
structuré dont fait partie l'individu. C'est à ce moment que le
sujet est vraiment socialisé : il se perçoit lui-même comme
un « autre » et peut réfléchir sur ce qu'il fait et
pourquoi. En passant des « autres significatifs » aux « autres
généralisés », l'enfant prend conscience que la
société est régie par des règles sociales qu'il va
intérioriser. Il s'identifie alors comme « moi », individu
doté d'un rôle et appartenant à un groupe (moi, fille de 13
ans, au collège de mon quartier et basketteuse). L'individu
socialisé est donc un être réflexif qui s'identifie
à une position sociale et qui peut faire jouer sa subjectivité
dans l'interaction à tout moment. L'interactionnisme
symbolique205 a donc mis l'accent sur le rôle actif de
l'enfant dans le processus de socialisation.
204 G.H. Mead, L'esprit, le soi et la société.
Paris. PUF. 2006.
205 Citons ici, entre autres, Anselm Strauss, Herbert Blumer,
Howard Becker ou Everett Hugues.
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J'ai évoqué, dans la première partie de
mes analyses, la notion d'apprenant-partenaire. Au cours de mon étude,
j'ai effectivement pu mettre en évidence que l'injonction à
transmettre ses savoirs à l'autre permet au P3 d'être
auteur/acteur de son apprentissage. Le processus d'analyses des
matériaux de l'enquête m'invite à penser que cette posture
active et socialement située s'effectue notamment en devenant
accompagnateur.
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