4.2.2 Comment devient-on accompagnateur ?
L'étudiant P3 a une relative liberté d'action
dans ce qu'il propose à son binôme : le stagiaire plus
avancé dans la formation suggère en général au P1
de faire ce qu'il peut et veut, de lui poser des questions et lui montrer sa
propre pratique. Ces actions ne sont pas commandées par l'institution
puisque chaque P3 fonctionne comme il le souhaite avec son binôme : les
formateurs ont simplement précisé au début de
l'année que le P3 est présent pour aider son collègue P1.
Fanette, P3, décrit la situation : « en soins, comme tout le
monde doit faire son pied, en début d'année, on nous dit qu'il y
a les premières année qui arrivent, qui n'ont pas
d'expérience, et que petit à petit, il va falloir qu'il fassent
seuls mais que le prof ne va pas être derrière chaque P1 donc que
c'est à nous de faire attention à ce qu'ils font et de les aider
si y'a besoin... s'ils le demandent189.» De la même
façon pour les travaux de groupe en examen clinique, les P3 ont
liberté de fonctionnement avec les P2. Ce sont donc les étudiants
qui gèrent ces situations collectives et les interrelations. Plusieurs
étudiants P3 rapportent que « personne, ni les formateurs, ni
le directeur, nous a dit `'faites comme ça.''190»
Chris, étudiant P3, explique que « personne ne m'a vraiment
expliqué comment faire avec le P1 ou le P2 qui se trouve à
coté de moi. Mais bon, c'est sympa, c'est moins académique. On
fait des choses un peu comme on a envie191.» Le libre
choix dans ces situations est-il illusoire ? Le P3 peut-il par exemple ne rien
montrer, ne rien dire au
188 J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet. Paris. Puf.
1990.397 p.
189 Cf. annexes entretiens, F.4.
190 Cf. annexes entretiens, B.10, Cl. 2.
191 Cf. annexes entretiens CT 6.
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P1 qui est installé à côté de lui ?
Fanette, P3, explique : « c'est toujours le P3 qui est
sollicité, celui à qui on demande et qui ne dit jamais
non.192» Thom, P1, ajoute : « quels que soient
les individus, même ceux qui parlent peu, dès qu'on leur demande
de l'aide, ils ne vont jamais nous envoyer `'bouler'', ils sont toujours
d'accord pour nous apporter leur savoir. Il y en a qui sont plus loquaces que
d'autres. Mais même ceux qui ne parlent pas beaucoup, dès qu'on
leur demande de l'aide, ils nous l'apportent.193» Les
situations de binômes créent de fait une relation entre les
étudiants et ceux-ci se trouvent dans une sorte d'obligation implicite
de communiquer. Concernant le choix des binômes, les P3 ne s'autorisent
pas à désigner leur P1 : « c'est tout le temps, les P3
s'installent, et les P1 disent `'est-ce que je peux me mettre avec toi'' et
`'oui'Ç évidemment dit le P3...et justement, c'est tout le temps
`'oui''...moi, j'oserais jamais dire à un P1 `' non, pas toi'Ç
parce que ce ne sont pas des choses qui se font. Mais ça ne me
choquerait pas non plus sur le fond parce que y'a des gens qui ne sont pas
faits forcément pour bosser ensemble. Mais pour le coup, ici, ça
ne se fait pas194.» C'est donc le P1 qui choisit
avec quel P3 il va travailler. Les étudiants ont bien
intégré un ensemble de règles, de normes et de valeurs
propres à l'institution qui les forme.
D'ailleurs, le formateur présent dans la salle conforte
généralement ce que l'étudiant P3 explique au P1, par
exemple, au niveau de la répartition des opérations à
mener (l'enseignant passe voir chaque binôme au début et au cours
des soins). Ce qui signifie que le P3 connaît le fonctionnement de la
formation, la reconnaît et applique les règles instituées.
Le P3 est également celui qui apprend au P1 comment se comporter avec
les enseignants. Baptiste, étudiant P3, illustre ce
phénomène par ses propos : « quand tu vas être
examiné par tel formateur, faut pas dire ça ; ça
l'énerve.» Ou encore « là, faut le faire parce
que... c'est comme ça, ici195.»
Les activités de groupe entre pairs constituent un
ensemble de rapports sociaux entre des individus. Chacun adopte des
comportements, forme des souhaits et conçoit des projets conformes
à ses normes. Tout cela témoigne d'un rapport au monde, à
l'espace et au temps qui a été précédemment
inculqué. Chaque étudiant intègre un nouveau « monde
», ici, un institut de formation en pédicurie-podologie, avec sa
propre
192 Cf. annexes entretiens F. 21.
193 Cf. annexes entretiens T. 22.
194 Cf. annexes entretiens, F.14.
195 Cf. annexes entretiens, B.14.
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histoire, son vécu, ses habitudes, ses valeurs. Les
stagiaires créent-ils leur propre chemin ? Ou est-ce le milieu
(l'institution) qui s'en charge pour eux ? Les règles de fonctionnement
sont acceptées et respectées par l'ensemble des étudiants.
François, P1, décrit la situation : « quand on est avec
le P3, on est le P1 qui apprend, on est toujours le `'petit» qui apprend.
On a un statut de `'jeune» qui est là en apprentissage.
C'est logique. 196» Les rôles attribués
paraissent légitimes et ne sont pas discutés. Les P3
précisent : « je me souviens, quand j'étais en P1 et
qu'il y avait les P3, je ne sais pas, y'a une notion de respect du fait que le
P3 a des connaissances, ce sont nos ainés, quoi !
(rire)197». Baptiste, P3, se souvient : « moi
quand j'étais en P1, je ne faisais même pas la différence
si c'était un P2 ou un P3 à côté de moi ; pour moi,
c'était quelqu'un qui savait plus que moi, donc j'écoutais ce
qu'il me disait et voilà198.»
Les étudiants emploient des termes comme «
normal, logique, naturel...» lorsqu'ils décrivent ces
situations. Ils ont parfois du mal à expliquer ce qui se passe. Quand je
leur demande les raisons pour lesquelles ils aident leurs confrères, ils
hésitent et répondent par ces mots qui reviennent
fréquemment « je ne sais pas... c'est normal.» Que signifie
l'acceptation de règles, de normes ?
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