4.2.1 Etre accompagnateur
Dans les situations entre pairs autour du soin, les
premières minutes passées avec le patient ont donc permis de
prendre contact avec la personne. L'étudiant P3 évalue ensuite le
travail technique à effectuer sur les pieds : y-a-t-il des ongles
à couper, des durillons, des cors à exérer... C'est lui
qui guide les actions à effectuer, en précisant à son
binôme ce qu'il pourra faire et ce que le P3 terminera, si le P1 n'est
pas en capacité d'effectuer les interventions. Fanette, P3, explique :
« Moi je lui montre comment j'ai fait sur un pied, par exemple, et je
lui dis `'voilà, tu peux faire comme ça, et quand tu auras fini,
je regarderais ton travail''149». Amel, P1, raconte :
« au tout début j'étais avec une P3 qui m'avait vraiment
accompagnée, elle m'avait dit comment elle faisait, comment il fallait
faire, elle m'avait vraiment accompagné et montré les gestes.
Maintenant c'est un peu différent, des fois, on fait un briefing au
départ, on regarde ce qu'il y a à faire. Le P3 dit `'je pense
qu'il y a telle chose'' et il me laisse faire et si j'ai une question par
contre je n'hésite pas à demander et généralement
ils disent `'n'hésite pas à demander'' [...J quand je demande,
ils m'expliquent; par moment ils me montrent sur le pied sur lequel je
travaille. Sinon, ça m'est arrivé deux ou trois fois qu'ils me
donnent des conseils, juste comme ça, pendant que je suis en train de
faire et souvent ils demandent si ça va; ils sont très à
l'écoute [...] comme s'ils me prenaient sous leurs ailes, en
fait150.» Le P3 est donc dans un rôle
d'accompagnateur, de guide, de conseiller. Thom, P1, explique que «
même s'il y a des critiques [de P3], elles sont toujours là
dans un but constructif. Je n'ai jamais eu à faire à un
deuxième ou un troisième année qui me critiquait sans rien
de constructif derrière, sans vouloir ne m'apporter aucune aide.
C'était toujours `'tu as fait ça, c'est bien mais là, tu
l'as fait comme ça, ce n'est pas bien, là il aurait plutôt
fallu que tu le fasses comme çà'' ou alors il vient, il prend les
instruments et il nous montre: `'voilà comme ça c'est mieux,
c'est mieux fini, c'est plus pratique, on soulage mieux le
patient''151».
Les situations d'apprentissages entre pairs étudiants
pédicures-podologues mettent en évidence des rôles
distincts : certains étudiants sont « aidants », tuteurs,
149 Cf. annexes entretiens F.28.
150 Cf. annexes entretiens Amel 8, 26 et 28.
151 Cf. annexes entretiens T. 20.
76
accompagnateurs : ce sont les étudiants les plus «
âgés » dans l'institution de formation, les P3. Les autres
sont « aidés », tutorés, accompagnés : ils sont
les plus jeunes, les premières années, les P1, les « petits
» ou bien les « moyens », les deuxièmes années,
les P2, les futurs « grands ».152
Les rôles sont distribués au début de
l'année par les formateurs, lorsque les P1 arrivent dans la salle de
soin. « On nous avait bien sûr indiqué que l'on allait
travailler en binôme avec un deuxième ou un troisième
année, enfin du moins quelqu'un qui a beaucoup plus d'expérience
que nous. Si on avait des soucis, on pouvait demander soit à
l'intervenant, donc au professeur qui était dans la salle de soin, soit
justement à notre binôme qui était là pour
ça153» explique Thom, P1. C'est le seul moment dans
la formation où les rôles sont définis, succinctement. Amel
explique : « Les professeurs nous ont dit qu'on était en
binôme, ensuite c'est le P3 qui a pris le relais et qui nous a
expliqué ce qu'il fallait prendre et qui nous a guidés ensuite.
Je me rappelle avoir suivi la P3 et j'ai fait pareil en fait [...] Les
professeurs passaient de temps en temps pour voir si ça allait, et si
ça n'allait pas ils nous aidaient mais s'ils voyaient que ça se
passait bien et que le P3 faisait son job, ils laissaient faire, mais ils
surveillaient toujours154». C'est donc bien un nouveau
travail qui est demandé aux P3, celui d'accompagner celui ou celle qui
entre en formation. Les étudiants changent de statut lorsqu'ils passent
en troisième année de formation : ils deviennent des
personnes-ressources155, des accompagnateurs.
Depuis les années 1990, cette notion d'accompagnement
s'est progressivement introduite dans une multitude de champs disciplinaires,
de secteurs professionnels et de situations sociales. Dans chaque situation
d'accompagnement identifiée, les rôles sont définis : une
personne accompagne et une autre personne est accompagnée. La
présence d'une finalité d'accompagnement, pouvant être
explicitée, voire partagée,
152 Les termes «petit, moyen, grand» sont couramment
utilisés par les étudiants en formation et par certains
formateurs pour définir l'appartenance à une promotion.
153 Cf. annexes entretiens T.68.
154 Cf. annexes entretiens Amel 14 et 16.
155 Claudine Cornu, dans son mémoire de fin
d'étude en juin 2004, définit le terme de personne-ressource:
«la notion de personne-ressource vient de la gestion des ressources
humaines. Le plus souvent, elle désigne une personne à laquelle
on fait appel en raison de sa formation, de son expérience et de sa
pondération. Soit parce qu'on pense que son avis peut aider à la
consistance de solutions dans certaines situations difficiles. Soit parce
qu'elle est en mesure de donner son avis sur une question purement technique
relevant d'un domaine bien particulier. Dans les deux cas, une personne devient
personne-ressource dans des occasions précises où ses
connaissances et compétences spéciales peuvent être
utiles».
77
existe dans toutes les situations et les contextes,
finalité qui s'inscrit dans des temporalités vécues par
les personnes impliquées dans la situation d'accompagnement. A condition
ici d'appréhender le verbe accompagner dans le sens de
personnes humaines qui accompagnent des personnes humaines. En effet, d'autres
occurrences du verbe accompagner existent dans des contextes
différents, en musique156 et en cuisine157 par
exemple.
Le recours à l'histoire permet de faire exister les
mots tels qu'ils ont vu le jour et de mieux comprendre aujourd'hui toute la
profondeur de leur sens. Guy Le Bouëdec nous éclaire sur
l'étymologie et les usages anciens du mot accompagnateur. «
Étymologiquement, le mot semble venir de `'cum» qui signifie
`'avec» et de `'panis», pain. Le compagnon serait celui qui mange son
pain en même temps qu'un autre. Et plus généralement,
accompagner, c'est aller avec quelqu'un ou quelque chose. Dans les cours
royales ou princières, accompagner c'était aller de compagnie ;
les courtisans accompagnaient le prince dans ses voyages et dans ses
représentations. Accompagner quelqu'un à son carrosse,
c'était exprimer la considération et l'honneur qu'on lui portait.
À partir du XVe siècle, le mot a commencé à
être employé dans le domaine musical. Accompagner à l'orgue
ou de la voix un thème principal, c'est soutenir la musique ou le chant,
faire harmonie avec une mélodie, la mettre en valeur, en ayant soin de
ne pas l'étouffer ni de la dominer. Plus récemment, le mot a
été employé en aéronautique militaire : une mission
d'accompagnement consiste, pour l'aviation de chasse, à escorter, pour
les protéger, les appareils de reconnaissance, de bombardement ou de
transport. Enfin, dans les chemins de fer, le personnel d'accompagnement des
trains a pour mission de vérifier le bon fonctionnement du
matériel roulant, éventuellement d'assurer les petites
réparations ; mais ce n'est ni le personnel de conduite, ni celui du
contrôle158. »
Ce qui ressort de ces usages, c'est l'idée que
l'accompagnement concerne les situations où il y a un acteur principal.
D'une manière ou d'une autre, il s'agit de marcher à
côté de, de soutenir, de protéger, d'honorer, de servir,
d'aider à atteindre son but, de guider.
156 En musique, le dictionnaire Larousse
définit l'accompagnement comme l'ensemble des
éléments vocaux et instrumentaux qui, subordonnés à
la partie principale, lui donnent son relief, sa puissance expressive, sa
vitalité rythmique, la signification de son déroulement, son
contenu harmonique.
157 En parlant d'une sauce, d'une boisson, d'un légume,
accompagner signifie être servi avec un mets. Larousse
2013.
158 Le Bouëdec G., Du Crest A., Pasquier L., Stahl R.
L'accompagnement en éducation et formation. Un projet
impossible? Paris. L'Harmattan. 2001. p.23.
78
Mais en aucun cas il ne peut être question de supplanter
l'accompagné en prenant sa place ou la direction des
événements, de faire à la place de.
C'est nul doute une posture modeste ... à
côté de... Posture de mise en valeur d'un autre ou d'autre chose,
de service, de retrait, d'ombre, de second plan. Et pourtant, comme dans
l'accompagnement spirituel ou l'accompagnement dans l'éducation, c'est
certainement une posture essentielle159.
Certains auteurs ont fait de l'accompagnement leur
observatoire de recherche, désirant comprendre le sens à donner
à ce nouveau dispositif dans le champ de la formation, pratique qui
s'est essentiellement développée chez l'adulte. La
multiplicité des usages et des définitions a
développé une « nébuleuse » de pratiques, de
postures et de fonctions différentes qui ont fortement bousculé
voire métamorphosé le champ de la formation160.
Pourquoi revendique-t-on de plus en plus souvent cette
démarche d'accompagnement dans les pratiques de la
formation161? Qu'est-ce que l'accompagnement ? Qu'est-ce
qu'accompagner veut dire ? Pour Maela Paul, la notion d'accompagnement n'a pas
encore été fondée conceptuellement et s'étend
au-delà des champs disciplinaires et des secteurs professionnels. Dans
son ouvrage L'accompagnement : une posture professionnelle
spécifique, l'auteur pose l'hypothèse selon laquelle cette
notion met en tension deux pôles : « d'un côté, la
dimension anthropologique de l'accompagnement, fondée sur une
disposition humaine à être en relation avec autrui, et les figures
qui interrogent le sens et l'éthique de ce rapport ; de l'autre, la
dimension conceptuelle de l'accompagnement, ses problématique actuelles
et les logiques qu'elle combine, comme autant de critères
d'adéquation à une situation sociale
spécifique.»162 L'objectif de l'auteur est à la
fois une classification conceptuelle et un étayage du sens. Maela Paul a
choisi de délimiter son observation autour de quatre grands champs:
celui du secteur social, qui fut sans doute le premier historiquement à
utiliser les pratiques d'accompagnement, le champ de la formation compris comme
secteur professionnel, le secteur de la santé impliquant aussi bien
159 J.P. Boutinet, Penser l'accompagnement adulte.
Paris. Puf 2007.376 p.
160 M. Paul, L'accompagnement : une posture professionnelle
spécifique. Paris. L'Harmattan. 351 p.
161 Ce questionnement existe dans la formation au
métier d'infirmiers ; il est fréquemment évoqué
dans des revues professionnelles, comme par exemple, Recherche en soins
infirmiers, n° 110 de septembre 2012.
162 M. Paul, op. cit., p.8.
79
l'accompagnement des personnes de leur naissance à leur
mort que celui des personnes travaillant auprès d'elles et enfin le
champ du travail, incluant toute la diversité des pratiques, du bilan de
compétences au coaching. Au-delà de l'inventaire, l'auteur
explore les différentes formes de l'accompagnement, propose des liens
qui contribueraient à la composition d'un champ commun. Il ressort de
ces travaux que l'accompagnement interroge, dans ses fondements, chacun des
quatre champs : Celui du travail social, invité à aider à
faire face pour s'adapter ; celui de la formation, invité à
s'éloigner de la transmission unilatérale au profit de
l'échange mutuel et à la réflexivité ; celui de la
santé, invité à cesser son activisme prescripteur au
profit d'un accord thérapeutique avec le patient ; celui du travail,
investi du régime d'apprentissages tout au long de la vie par
actualisation des compétences et l'opportunité des
mobilités. Les travaux de Maela Paul participent également
à la construction du champ sémantique de l'accompagnement, tout
en prenant soin de replacer les termes et les formes qui le désignent
dans le contexte où ils prennent sens. L'analyse d'articles
décrivant les divers usages sociaux de cette notion permet à
l'auteure de déchiffrer une ligne directrice au sein de la
complexité du terme : « l'accompagnement est une relation par des
personnes, pour des personnes, avec des personnes163». Elle
considère que quatre éléments sont toujours
inter-reliés : la fonction, la posture, la démarche et la
relation. La fonction est attribuée et entraine une modification de la
posture164 au sens d'une action d'échange et donc un
changement d'attitude dans la relation à l'autre.
Ces éléments apparaissent dans les propos des
étudiants pédicures-podologues : Baptiste, P3, explique que
« tuteur, c'est un rôle qu'on nous
donne165» et que dans cette nouvelle posture, «
on prend la responsabilité du soin166». Clara,
P3, dit que « en tant que P3, on a plus de responsabilités, on
a la responsabilité d'expliquer, de mettre à l'aise, de rassurer
parfois l'autre étudiant, par exemple, s'il fait
saigner167». La fonction d'accompagnateur donnée au
P3 par l'institution provoque donc une
163 Propos recueillis lors d'une conférence de Maela
Paul, dans le cadre des conférences SIFA, Rennes 2, novembre 2013.
164 J'emploie le terme de posture, au sens où
la définit Geneviève Lameul, à savoir « la
manifestation d'un état mental, façonné par nos croyances
et orienté par nos intentions, qui exerce une influence directrice et
dynamique sur nos actions, leur donnant sens et justification».
Geneviève Lameul est enseignante chercheure en sciences de
l'éducation, responsable du master 1 SIFA (Stratégies et
Ingénierie de formation) en coordination avec Jérôme Eneau,
responsable du master ITEF, Rennes.
165 Cf. annexes entretiens B. 34.
166 Cf. annexes entretiens A.70 et B.30.
167 Cf. annexes entretiens Cl.30.
80
modification du rôle de l'étudiant : Franz, P3,
précise que « maintenant, c'est lui qui dit comment on va
fonctionner ensemble168», que l'étudiant P3 doit
par exemple « vérifier que le travail est bien fini, rattraper
quelque chose avant que le formateur arrive169». La
démarche est dans l'échange bienveillant : « il [le P3]
me donne des conseils pendant que je suis en train de faire et souvent il
demande si ça va170», mais aussi une
démarche de responsabilité : le P3 devient plus autonome, en tout
cas vis-à-vis des formateurs, puisque lui-même devient «
transmetteur » de savoirs et organisateur d'un projet (celui de travailler
ensemble sur un même patient). L'attitude des étudiants dans la
relation à l'autre (le pair) est modifiée puisque le P3 devient
celui qui aide, après avoir été P1, puis P2,
c'est-à-dire celui qui a été aidé.
L'accompagné est donc devenu accompagnateur au cours
du processus de formation.
'',
ça
Selon Maela Paul, accompagner signifie créer des
conditions de prise en charge de l'autre par lui-même, donc impliquer la
personne et le projet est l'instrument de la prise en charge de chacun. Alicia,
P3, explique sa manière de procéder avec un P1: « je lui
demande de temps en temps s'il s'en sort [le P1] mais après, c'est
à lui de poser des questions171». Helena,
P3, pense qu'il « faut le laisser tout seul [le P1] par moment, le
pousser à nous demander parce qu'ils n'arrivent pas tout seuls par
moment, ils peinent un peu. Donc, on les laisse aller jusqu'au bout, se
débrouiller et après on intervient et on leur dit ce qui ne va
pas et ce qui est bien.» Clara, P3 pense comme Helena, qu'il
« faut expliquer sans être trop intrusif dans ce que l'autre
fait, il faut attendre que l'autre demande, qu'il se sente en
difficulté. Pour qu'il prenne confiance, il ne faut pas être
toujours derrière lui en lui disant `'fais comme si, comme il
faut qu'il fasse tout seul. Il faut trouver la mesure, savoir être
souple, ne pas
être braque, ne pas laisser penser qu'on donne un
ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider. Il faut y
mettre du coeur, avoir envie d'aider172.» Ce sont des
situations que j'ai observées chez certains binômes : le P3
s'occupe du pied dont il a la charge, discute avec le patient, et quand le P3 a
terminé ses actions techniques, il regarde terminer le P1 et lui
explique ce que lui aurait fait. Tous ne fonctionnent pas ainsi ; certains
regardent régulièrement ce que fait le P1, s'arrêtent de
travailler et lui
168 Cf. annexes entretiens F.28.
169 Cf. annexes entretiens A.70 et H.44.
170 Cf. annexes entretiens Am. 26.
171 Cf. annexes entretiens A.6.
172 Cf. annexes entretiens Cl.36.
81
expliquent ou lui montrent comment faire. Puis le P3 continue
son travail. Chaque étudiant P3 a donc une manière
particulière d'agir avec le P1. Il n'y a pas de règle.
Les étudiants P3 sont des accompagnateurs : ils ne font
pas à la place de, ils sont bien à côté de
et incitent leurs jeunes confrères P1 à s'impliquer dans le
projet de prise en charge d'une personne.
D'une manière générale, la conception de
la notion accompagner peut se penser en termes de liens
interpersonnels à une relation visant la coopération, allant
d'une posture d'empathie à une posture réflexive. Car, pour que
les P1 s'impliquent dans l'action d'apprendre, il est essentiel d'être
dans une situation de confiance : « il ne faut pas qu'il [le P1] ait
peur de poser des questions173», « il faut lui
transmettre notre confiance174» rapportent les
P3. Les étudiants P1 précisent qu'un bon accompagnateur, «
c'est quelqu'un d'ouvert, qui accepte de donner des critiques et qui a
envie de nous apprendre aussi ce qu'il sait faire175.» Les
conditions d'un accompagnement en apprentissage efficace résident dans
une relation bienveillante, constructive car discutée et
réfléchie.
Si le travail de Maela Paul permet d'y voir plus clair quant
à ce que recouvre le terme d'accompagnement, il n'en est pas moins que
cet état des lieux interroge sur la nature transdisciplinaire et
pluri-professionnelle de cette notion. Christian Heslon176 examine
la dimension culturelle qui entoure le terme d'accompagnement. Les pratiques
qui répondent aux lignes principales de cette notion se déploient
au dehors des quatre champs déjà exposés : dans
l'éducation, on parle de soutien scolaire et d'accompagnement parental,
autour des activités de loisirs. Le terme est utilisé dans
l'apprentissage musical et l'entraînement sportif. Des séminaires
de développement personnel, associant thérapeutique et
créativité emploient ce vocable. Aussi, la conduite
accompagnée, les guidances spirituelles et religieuses, les conseillers
politiques, le coaching professionnel... forment un ensemble recouvrant des
réalités plurivoques. Christian Heslon s'interroge sur le sens
à donner à une telle diffusion des pratiques qui sont
associées à l'accompagnement. Pour lui, le
phénomène observé est davantage le produit d'une
indiscipline qui laisse la place à l'improvisation et à
l'intuition qu'une constitution de champs homogènes différents ou
d'une méthode. Cette indiscipline serait le signe d'une « mutation
anthropologique d'une société basée
173 Cf. annexes entretiens Fr. 47.
174 Cf. annexes entretiens A.28.
175 Cf. annexes entretiens Fr. 27.
176 C. Heslon, L'accompagnement, art de l'ajustement.
Paris. L'Harmattan. 2009. 210 p.
82
sur la transmission des pères vers les fils à
une société mixte de pairs dans laquelle frères et soeurs
ainés entretiennent de fraternelles relations de
réciprocité avec leurs cadets et cadettes177?»
Certains étudiants pédicures-podologues pensent d'ailleurs
qu'être accompagnateur, ça ne s'apprend pas : « Y'a pas
de recette miracle puisque chacun est différent. On ne peut pas formater
quelqu'un, on réagit tous différemment178»,
dit Clara, P3. Il semble, à l'instar de ce qu'évoque Christian
Heslon, que le rôle d'accompagnateur se construise à partir des
expériences vécues par l'étudiant qui endosse cette
nouvelle fonction : « les années précédentes
m'ont servi à cela, dire dès fois ce qui m'avait manqué,
ou d'une autre façon. Après, c'est ma façon de voir les
choses, peut être que ça ne convient pas à tout le monde,
mais c'est comme ça que j'ai fait, comment j'aurais moi aimé
qu'on fasse avec moi179.» Fanette explique comment elle
est devenue accompagnatrice et de quelle façon elle fonctionne : «
Ce qu'on nous fait ou nous a dit en P1, qu'on trouve bien ou pas bien
d'ailleurs, ça nous aide à devenir P3 ensuite. Par exemple, j'ai
eu des expériences en soin que je n'ai pas aimées, des choses
qu'on a faites à ma place, et je me suis dit `'quand moi je serai en P3,
je ne ferai pas comme ça, je laisserais faire le plus jeune
expérimenté, pas faire à sa place»[...] Moi,
j'observe le plus jeune, beaucoup, pour voir quand est-ce qu'il a besoin de moi
parce que, moi, quand j'étais en P1, je n'aimais pas trop qu'on fasse
pour moi quand je ne savais pas trop encore comment m'y prendre, je voulais
apprendre. Donc moi, je regarde, et je dis `'si tu as besoin de quelque chose,
tu me demandes»180.» Il n'y aurait donc pas de
méthode pour apprendre à devenir accompagnateur, hormis la
nécessité d'avoir été soi-même un jour
accompagné : « C'est parce qu'on a été
tutoré qu'on sait comment devenir un tuteur181»
explique Franz, P3. Ceci signifie-t-il que chacun sait ce qu'il doit faire ? A
priori, la situation ne pose pas de problème aux étudiants. Pour
Charlène, P3, la situation n'est pas ambiguë : « moi il
[le P1] me demande de l'aide s'il a envie, et autrement, je le laisse,
même si moi, j'aurais envie de lui donner un conseil ; je fonctionne
comme cela182». Franz, P3, précise : «
chacun se fait sa propre méthodologie de ce que je vais apprendre,
comment je vais faire un soin. Et donc quand on devient tuteur, on dit
au
177 C. Heslon, op.cit., p.76.
178 Cf. annexes entretiens Cl.26.
179 Cf. annexes entretiens Cl. 22.
180 Cf. annexes entretiens Fan. 26 et 34.
181 Cf. annexes entretiens F. 32.
182 Cf. annexes entretiens CH 12.
83
P1 comment on a construit sa façon de
faire183.» Ce mode de fonctionnement implique que les
formes d'accompagnement sont différentes puisque propres aux individus,
à leur caractère, à leur vécu, leurs
représentations de ce que doit être cette fonction. Chacun se
croit singulier et apte à inventer des manières de faire. Alors
qu'en réalité, il a intégré des
éléments d'apprentissage et de formation ; il les a faits siens
et a oublié qu'il les a lui aussi appris. Pour autant, des similitudes
apparaissent dans l'attitude des tuteurs : l'ensemble des étudiants
enquêtés expriment qu'il faut être « patient,
confiant, social, généreux », « qu'il faut
expliquer sans être trop intrusif [...] ne pas laisser penser qu'on donne
un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider, qu'il faut
y mettre du coeur184.» Tels des frères et soeurs
aînés qui vivent en bonne entente avec leurs cadets et cadettes.
Cette relation interpersonnelle pourra être dite «
coopérative » puisqu'elle résulte en effet d'une
manière de faire qui procède du partage185: la parole
est partagée, les objectifs sont partagés, les actions de soin
également. Mais pour qu'une relation interpersonnelle se fasse sous le
signe de la coopération186, les deux personnes, ici le P3 et
le P1, doivent se percevoir comme compétentes et percevoir l'autre comme
compétent. De même, la priorité de la tâche à
conduire ensemble, soigner un patient, se traduit par une
définition des rôles. La clarification des rôles et la
détermination d'une tâche commune contribuent à assainir la
relation. Chacun est légitime dans son rôle, le P1 comme le P3.
C'est certainement la raison pour laquelle ces situations entre pairs
fonctionnent dans une ambiance bienveillante.
Le concept de l'accompagnement est donc une notion qui
résulte d'un mélange de logiques imbriquées, liées
aux contextes et aux individus. Les travaux de Maela Paul ont mis en
évidence que l'accompagnement fédère un ensemble de
pratiques qui lui sont co-existantes et qui entretiennent un certain flou :
counseling, coaching, sponsoring, mentoring côtoient tutorat,
conseil, parrainage ou compagnonnage. Chaque terme en usage trouve
aujourd'hui place au sein d'une région spécifique du champ
sémantique d'accompagner187. Au regard des différents
travaux menés, il semble difficile de donner une description qui fasse
unanimité en toute situation. Il y a
183 Cf. annexes entretiens F. 32.
184 Cf. annexes entretiens Cl.36.
185 M. Paul, « L'accompagnement comme posture
professionnelle spécifique : L'exemple de l'éducation
thérapeutique du patient ». Recherche en soins infirmiers,
septembre 2012 ; 110 : 13-20.
186 Le concept de coopération est explicité page
68.
187 M. Paul, op. cit,. 76.
84
pourtant une structure commune dans la diversité des
représentations que suscite la notion d'accompagnement : être avec
et aller vers. Dans nos sociétés fortement influencées par
toutes formes de technologies, l'accompagnement peut appartenir à une
nouvelle forme de contrôle des subjectivités pour répondre
à l'injonction contemporaine qui est faite à chacun d'être
autonome et intégré socialement188. Mais
l'accompagnement est aussi fondé sur des valeurs éthiques
humanistes, dès lors qu'il obéit à un ordre
extérieur à soi mais qui trouve écho en soi. Le rôle
d'accompagnateur, endossé par les étudiant P3, résonne en
eux, pour la majorité de ceux que j'ai enquêtés. Que se
passe-t-il ? Comment les étudiants adoptent et acceptent ces nouveaux
rôles qui leurs sont confiés ?
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