1.2.2 Les instituts de formation
Au cours de la formation en pédicurie-podologie, les
acquisitions de compétences dans le domaine du soin sont construites sur
des mises en situations pratiques et sur des
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bases théoriques. La théorie des soins concerne
les connaissances des différentes pathologies relatives aux pieds (cors,
ongles incarnés, verrues...). Des cours de Santé Publique relatif
à la prise en charge de la personne âgée (la
majorité de la patientèle en soin est une population de
séniors, de plus de soixante ans) sont également dispensés
aux étudiants en formation. Les situations pratiques s'effectuent dans
le cadre de stages en présence de patients sur des sites hospitaliers
(dans des services de gériatrie, de rééducation
fonctionnelle, de diabétologie, de rhumatologie...), extrahospitaliers
(maisons de retraite) mais également au sein même des instituts
qui possèdent tous une clinique de soins. Les instituts de formation en
pédicurie-podologie sont des lieux d'enseignement (salles de cours,
amphithéâtres, salles de travaux pratiques, centres de
documentations, salles informatiques...) mais également des lieux
où l'on reçoit des patients : les personnes prennent des
rendez-vous et sont prises en charge par les stagiaires
pédicures-podologues. C'est aujourd'hui la particularité des
centres de pédicurie-podologie qui, souvent, associés aux centres
de formation en kinésithérapie et en ergothérapie, pour
des facilités organisationnelles et financières (partage des
salles de cours, des centres de documentation, du matériel informatique,
mutualisation de certains cours, d'un centre administratif ...), sont, pour
autant, la seule profession en rééducation à
posséder une clinique de soins (à l'instar de la formation
dentaire).
1.2.3 L'organisation de la pratique des
étudiants
L'apprentissage du métier de pédicure-podologue
est un processus qui met en relation des individus aux statuts
différenciés : enseignants, patients et étudiants. Devenir
un professionnel de la santé nécessite des enseignements
spécifiques, techniques et théoriques pour une prise en charge
thérapeutique.
Dans les apprentissages de l'acte de soin pédicural,
tous les instituts ne procèdent pas comme dans l'institut où j'ai
effectué mon observation. Là, les étudiants interviennent
majoritairement en binôme auprès des patients : un étudiant
de première année (P1) avec un étudiant de
troisième année (P3) soignent en commun un seul patient à
la fois. Les situations pratiques ont lieu à l'institut, deux à
trois fois par semaine pour chacun des stagiaires, durant les trois
années d'études nécessaires à l'obtention du
diplôme d'État. Les étudiants choisissent leur
binôme; l'unique contrainte consiste dans le fait que les groupes de
personnes, deux ensembles de sept étudiants (sept étudiants en
première année, sept étudiants en troisième
année), sont définis par les formateurs
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pédicures-podologues responsables de l'organisation.
Les roulements se font toutes les trois semaines; de fait, les binômes
d'étudiants varient très régulièrement. A la fin de
l'année, tous les étudiants de troisième année ont
été en stage de soins avec la cohorte complète des
étudiants de première année. Les étudiants sont
donc fortement encouragés à travailler conjointement tout au long
de leur formation.
La salle clinique de soins où j'ai effectué mes
observations comporte douze postes de travail. Les étudiants sont en
blouse blanche. Leur prénom et initiale de leur nom de famille sont
indiqués sur le vêtement, ainsi que le logo de l'institut qui les
forme. L'équipe pédagogique m'explique que le choix de mettre le
prénom de l'étudiant sur la blouse tient à leur
volonté de convivialité dans l'institut : les formateurs
appellent les étudiants par leur prénom et les vouvoient ; les
formateurs sont nommés par leur nom de famille et vouvoyés par
les étudiants. Entre eux, les étudiants se tutoient, les
formateurs également. Les formateurs portent des blouses bleues
lorsqu'ils encadrent les stages pratiques, sur lesquelles est inscrit leur nom
de famille ; la couleur bleue a été choisie afin de les
différencier facilement des étudiants dans la salle de soin.
Les binômes ont un espace-temps défini par
l'organisation de l'institut de formation pour effectuer les soins de
pédicurie, d'environ une heure. Pendant cette heure, les
étudiants travaillent ensemble, et plusieurs régulations dans la
conduite du soin sont effectuées par un pédicure-podologue
formateur présent dans la salle ; les consignes données par
l'enseignant podologue portent sur l'acte technique et la prise en charge
globale du patient (conseils, prescriptions). Celui-ci vérifie, à
la fin de la séance, la pertinence des actes effectués et des
diagnostics. Etant donné le nombre de binômes (pour chaque
séance, sept à huit binômes travaillent en même temps
dans une même salle), le formateur ne peut être derrière les
groupes d'étudiants à chaque instant, ce qui fait que les
étudiants doivent être relativement autonomes dans leurs pratiques
pédicurales avec les patients.
Ce sont donc les étudiants qui conduisent leur
activité en binôme : l'apprenant de troisième année
a la responsabilité d'aider son jeune collègue qui effectue un
soin, lui montre comment il coupe des ongles, place ses mains pour tenir un
bistouri, conseille le patient... dans une situation interpersonnelle. Cela se
pratique donc en complément de ce que peut dire, montrer, expliquer le
formateur : il est le garant de la bonne conduite autour des actes techniques,
de la prise en charge du patient et valide le travail effectué. L'acte
de soins, dans ce contexte est par conséquent une situation qui
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met en jeu plusieurs individus, le patient, le formateur et
les étudiants. Bien que l'un des stagiaires soit plus savant que
l'autre, aucun signe extérieur ne les différencie.
Les étudiants de première année se
trouvent dans le rôle d'accompagné, celui qui apprend d'un
individu plus expérimenté qui n'a pas le statut d'enseignant,
leurs collègues de troisième année celui d'accompagnateur,
celui qui prend soin d'un plus jeune, moins expérimenté, qui
apprend au plus novice. Ce fonctionnement suppose des relations
interindividuelles dans lesquelles les étudiants coopèrent dans
une situation pratique, le soin pédicural, en binôme. Les
relations sont souvent asymétriques entre un individu plus averti et un
individu qui l'est moins. J'utilise également le terme de tutorat dans
ce cadre des apprentissages professionnels. Dans la lignée de l'approche
développée par Lev Vygotsky1 et Jérôme
Bruner2, il est ainsi considéré comme relevant d'un
processus d'assistance de sujets plus expérimentés, les tuteurs,
à l'égard de sujets moins expérimentés, les
tutorés.
« Observer et évaluer les troubles cutanés,
morphostatiques et dynamiques du pied et des affections unguéales du
pied, en tenant compte de la statique et de la dynamique du pied et des
interactions avec l'appareil locomoteur afin d'établir un
diagnostic3 » est une des compétences que
l'étudiant pédicure-podologue doit acquérir au cours de sa
formation : cette compétence concerne l'examen clinique podologique.
Dans ces cas, les situations d'apprentissage s'effectuent en groupe : deux
à trois étudiants P3 sont dans une même salle avec deux
à trois stagiaires de deuxième année (ou P2) pour un seul
patient. Les groupes changent toutes les trois semaines. Les étudiants
choisissent, au sein du groupe constitué, les personnes avec lesquelles
ils souhaitent travailler. L'ensemble des étudiants s'organise pour
prendre en charge le patient en fonction de l'avancée de leurs
apprentissages. Par exemple, un étudiant de deuxième année
va commencer à interroger le patient sur ses antécédents
personnels, puis ce sera un P3 qui effectuera les mobilisations articulaires
nécessaires à l'examen (car le P2 ne sait pas encore le faire) et
ainsi de suite jusqu'à ce que la totalité des bilans podologiques
soit réalisée. Comme cela se passe en soin de pédicurie,
un formateur pédicure-podologue vérifie le travail
effectué par les étudiants, passe dans les
1 L. Vygotski, psychologue soviétique, connu
pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie
historico-culturelle du psychisme.
2 J. S. Bruner, psychologue américain dont
le travail porte en particulier sur la psychologie de l'éducation. Il
fut l'un des premiers découvreurs de Pensée et langage
de Lev Vygotski. Les idées de Bruner se fondent sur la
catégorisation, ou « comprendre comment l'homme construit son monde
», partant du principe que l'homme interprète le monde en termes de
ressemblances et différences.
3 Référentiel de compétences,
relatif au diplôme d'Etat de pédicure-podologue, Ministère
des Affaires Sociales et de la Santé. Arrêté du 5 juillet
2012. p. 226.
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différentes salles, valide les pratiques et les choix
thérapeutiques proposés par le groupe d'étudiants. Pour
autant, la responsabilité du suivi du patient, la fabrication de
semelles orthopédiques (faisant suite à l'analyse des
dysfonctionnements posturaux) incombent uniquement à un étudiant
P3. Pour un patient reçu en examen clinique, un référent
P3 est nommé, désigné soit par le groupe soit par le
formateur en charge du stage. C'est bien l'étudiant P3 qui est
responsable de la prise en charge du patient même s'il « partage
» son patient. Au cours d'une année, les situations varient puisque
chaque étudiant acquiert des savoirs qu'il cherche à mettre
à l'épreuve en pratiquant « sur patient ». Cela suppose
des réajustements au sein des groupes, des négociations afin que
chacun trouve son compte dans les apprentissages. Ce mode de fonctionnement
traduit surtout une confiance dans la compétence du P3.
Ce sont donc ces situations, en soin de pédicurie et en
examen clinique podologique, que je nomme « apprentissage entre pairs
».
Que ce soit dans les programmes d'enseignements ou dans les
projets pédagogiques, ce dispositif d'apprentissage en groupe entre
pairs n'est pas, ou peu, évoqué. Lorsque j'interroge les membres
de l'équipe pédagogique, ils m'expliquent que cette
méthode est employée depuis de nombreuses années : il
semble que ce soit essentiellement pour des raisons pratiques. Non seulement ce
dispositif permet de faire travailler deux promotions au cours de la même
séance, mais il permet aussi aux étudiants de
s'autoréguler pendant une même pratique sans qu'un formateur soit
en permanence derrière chaque binôme ou groupe. C'est bien
l'étudiant P3 qui joue le rôle du « sachant », celui qui
garantit à chaque instant la bonne conduite du soin ou de l'examen
clinique, puisque la proximité physique (les étudiants sont l'un
à côté de l'autre ou dans la même salle) lui permet
de conseiller le P1 ou le P2 rapidement et à tout moment : ce sont donc
bien les étudiants qui régulent leurs activités ensemble
et les P3 ont la responsabilité de la prise en charge du patient.
L'équipe pédagogique pense que ce dispositif est fonctionnel et
qu'il n'est pas utile de le formaliser davantage, en expliquant par exemple de
façon plus institutionnelle à chaque étudiant ce que
signifie être accompagnant ou accompagné. Au début de
l'année, les formateurs précisent à l'ensemble des
étudiants que les P3 sont là pour aider les P1 ou les P2 dans
leurs stages et qu'ils doivent travailler ensemble. « Puisque ça
fonctionne bien ainsi et depuis longtemps », comme le disent des
formateurs, « pourquoi en parler davantage ? »
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