4.1.1.2 Relation à autrui
A l'évidence, apprendre entre pairs signifie
améliorer ses connaissances techniques et théoriques. Mais ce que
j'observe et entends m'oblige à penser que c'est plus que cela :
être en binôme sous-entend un regard et une attention du P1 sur la
façon dont procède le P3 pour entrer en communication avec un
patient. Charlène, P3, explique : « on sait comment ça
se passe avec un patient103.» Helena, P3, précise :
« c'est davantage les P3 que les profs qui montrent comment on parle
avec le patient104.» Alicia, P3, confirme : «
c'est le plus «âgé» qui parle le plus avec lui [le
patient], ça se passe toujours comme cela.105»
C'est un apprentissage implicite et empirique qui
101 A. Bandura, Ibid.
102 Cf. annexes entretiens de P1, A. 26 et F.20 :
« on n'apprendrait pas beaucoup de choses si on ne changeait pas de
binôme, si on était toujours avec la même personne
». Clara, P3, pense que « c'est bien de changer de groupe,
ou de binôme [...J c'est ça qui est enrichissant, d'avoir
différentes personnes qui nous expliquent comment faire, car elles n'ont
pas toutes la même façon de montrer, d'expliquer ».Cl.8
et 26.
103 Cf. annexes entretiens Ch. 56.
104 Cf. annexes entretiens H. 12.
105 Cf. annexes entretiens A. 64.
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s'effectue dans ces situations. Implicite parce qu'il n'est
jamais évoqué par l'équipe pédagogique, empirique
car cet apprentissage se passe au cours de mises en situations pratiques,
c'est-à-dire avec des patients. Jusqu'à présent, les
notions de communication, de relation entre un soignant et un soigné
n'étaient pas théorisées dans la formation au
métier de pédicure-podologue. Elles apparaissent aujourd'hui dans
le nouveau référentiel de formation (en application depuis 2012,
dans le cadre des réformes des études paramédicales), dans
le cadre d'unités d'enseignements en sciences humaines, mais ne survient
dans les programmes qu'au cours de la deuxième année. C'est sans
doute une des différences majeures entre les formations au métier
du soin : les études d'infirmiers ou d'ergothérapeutes, par
exemple, abordent depuis très longtemps les disciplines de la
psychologie, sociologie, pédagogie, contrairement aux études de
pédicures-podologues. Ce nouveau référentiel marque sans
doute une volonté des équipes pédagogiques à
changer de paradigme, peut-être moins techno-centré, davantage
tourné vers la personne, vers l'humain...
Jusqu'à présent, les étudiants
pédicures-podologues n'étaient pas vraiment sensibilisés
à ces notions, si ce n'est au travers de ces situations entre pairs, de
façon implicite. Ce qui me laisse penser que ce n'est donc pas seulement
pour des raisons techniques que certaines équipes de formateurs, dans
leurs instituts, ont instauré ce mode d'apprentissage entre soi,
même si les raisons de ces organisations restent opaques dans les projets
pédagogiques que j'ai pu consulter.
Cet apprentissage à la relation à l'autre, ce
que les professionnels en milieu médical nomment « relation
soignant-soigné », s'effectue à deux niveaux. D'un
côté, les formateurs s'entretiennent avec les patients au cours
des stages pratiques, devant les étudiants. Les attitudes, les discours
des enseignants sont perçus par les P1 et les P3. Mais dans l'exercice
de l'apprentissage à l'acte de soin, le formateur passe peu de temps
avec le patient. C'est donc l'étudiant qui échange davantage avec
lui. « C'est nous qui l'accueillons, c'est nous qui lui parlons
pendant le soin, c'est nous qui lui donnons des conseils même si, le
formateur arrive et qu'il complète, mais on l'a [le patient] du
début à la fin, donc oui, c'est plus les P3 qui montrent
ça106». C'est le P3 qui conduit cette relation
privilégiée puisque le P1 considère que c'est son «
ainé » qui est le plus à même de mener les
échanges. Le P3 reproduit donc des savoir-faire inculqués par le
formateur et les reformule à sa façon devant le P1. On est donc
face à
106 Cf. annexes entretiens H.12.
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des savoirs intégrés, retransmis d'une
génération d'étudiants à une autre107,
ce qui permet d'enrichir la relation à autrui par une diversité
des approches. En soi, l'apport des pairs est « complémentaire
de ce que peut apporter le formateur108» : transmettre des
savoirs théoriques et des compétences relationnelles avec un
patient sont des actions partagées entre les enseignants et les tuteurs.
L'apprenant devient un partenaire actif du dispositif de formation.
Savoir comment se comporter avec un patient pour que la
relation soit satisfaisante au regard de l'exigence d'acquisition de
compétences professionnelles, confortable, agréable pour
l'étudiant109 et la personne soignée, s'effectue
essentiellement lors de ces situations entre pairs. Les étudiants
apprennent à communiquer, à échanger lorsqu'ils sont
ensemble.
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