4.1.2 L'étudiant tuteur
4.1.2.1 Production, appropriation et
mémorisation de savoirs
Les étudiants échangent avec le patient et entre
eux dans ces moments de consultation : le P3 explique au P1 ce qu'il faut
regarder sur les pieds, les jambes du patient, comment on prend le pouls
périphérique d'une artère du pied et à quoi
ça sert... et de quelle façon on note sur le dossier du patient
les différents renseignements rassemblés. Le P3 est donc le
tuteur, celui qui guide, celui qui conduit, qui facilite un
apprentissage110.
Franz analyse sa situation de P3 à côté
d'un P1 : « ça oblige à faire un bilan de là
où on en est. Ça oblige à se remettre en
question.111 » Faire la part des choses sur ce que l'on
sait est inévitable pour les étudiants qui accompagnent les plus
novices dans la formation. Fanette, P3, précise que dans certaines
situations « ils (les P1) nous demandent quelque chose et parfois on
se sent un peu bête parce qu'on se dit `'mince, comment
j'explique''112...» Pour Chris, P3, « en
début d'année, c'était difficile pour
107 Baptiste, P3, pense « que ce sont les tuteurs d'avant
qui nous montrent comment on fait avec les autres ». B.10.
108 Cf. annexes entretiens T.36 et 38.
109 Certains étudiants parlent de « bonne
ambiance, de relations sympathiques entre eux-mêmes et les patients
».
110 Définition du Larousse 2013.
111 Cf. annexes entretiens F.26.
112 Cf. annexes entretiens Fan. 24.
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moi d'expliquer aux autres ce que je faisais et pourquoi
je faisais comme ça.113» Apprendre à l'autre
ce que l'on sait devient donc une injonction à « savoir » mais
également à « pouvoir » transmettre des informations.
Les propos d'Amel, P1, illustrent la situation : « je pense qu'il faut
qu'ils(les P3) connaissent bien leurs cours pour pouvoir nous le
répéter.114» « Le tuteur ne doit
pas forcément avoir plus de connaissances que le tutoré
» explique François, P3, « il doit surtout savoir
mieux les exploiter115.» Selon Alain Baudrit, le
tuteur n'est pas un simple pourvoyeur de savoirs et de savoir-faire : «
c'est quelqu'un qui doit aussi réinvestir ce qu'il sait, se livrer
à un travail d'explicitation en direction du
tutoré.116» Comme le P1 a peu de connaissances, le P3
est obligé d'adapter son discours pour qu'il soit compréhensible
: cela permet à l'étudiant de vérifier qu'il domine ses
savoirs. Transmettre ses acquis permet donc une meilleure assimilation de ses
connaissances, donc de progresser. Car ici, les étudiants s'instruisent,
acquièrent des connaissances, apprennent pour eux-mêmes. Celui qui
enseigne à l'autre s'instruit aussi, se forme, apprend,
c'est-à-dire restructure ses savoirs. Cela signifie que les
étudiants sont à la fois acteurs et bénéficiaires
dans ces actions. Mais cette situation dans laquelle se trouve le P3 constitue
également une source importante influençant le sentiment
d'auto-efficacité décrit par Albert Bandura. Selon sa
théorie, la perception qu'a un individu de ses capacités à
exécuter une activité influence et détermine son
comportement et son niveau de motivation.
La dynamique de ces petits groupes correspond bien à la
fois à des espaces de production, d'appropriation et de
mémorisation de savoirs et de savoir-faire.
Les étudiants accompagnateurs, les P3, acceptent cette
situation en binôme certainement parce qu'ils y trouvent un
intérêt : « Le P1 pose des questions qu'on ne se pose pas
ou qu'on a oubliées, donc ça nous fait des rappels, on se rend
compte de certaines lacunes, mais on se rend compte aussi qu'on sait des
choses, que de les expliquer, ça clarifie dans nos têtes, et on
apprend des autres aussi117». Clara, P3, explicite son
propos : « je pense que savoir faire une chose, c'en est une mais
pouvoir l'expliquer, le verbaliser, c'est encore mieux: il faut vraiment
l'avoir tellement bien compris pour le dire de la façon la plus simple
possible ! On est obligé de clarifier ses idées. Rien que
ça, ça apporte aussi. Et puis, si un P1 pose une question
à laquelle on
113 Cf. annexes entretiens CT 32.
114 Cf. annexes entretiens Am.34.
115 Cf. annexes entretiens F. 34.
116 A. Baudrit, Le tutorat. Richesse d'une méthode
pédagogique. Paris. De Boeck Université.2007. p.56.
117 Cf. annexes entretiens Cl.34.
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ne sait pas répondre, on se dit `'tiens là,
j'ai une lacune, et ça, il faudrait que je le
bosse''118». L'effet tuteur qu'Alain Baudrit explicite
dans son ouvrage Le tutorat, richesse d'une méthode
pédagogique, serait précisément provoqué par
une activité de guidage à travers laquelle un individu
élabore et verbalise des explications afin d'en aider un autre à
réaliser une tâche. Chris, P3, précise que «
être avec un P1ou un P2 nous oblige à faire des liens entre ce
que l'on fait et ce que l'on voit. Au lieu de foncer, on a une vision plus
globale [...] ; les P3 aident les autres à faire des liens et
inversement; les P2, par exemple en clinique, vont me dire `'mais pourquoi t'as
fait ça, c'est quoi le lien ?»; donc nous les P3, ça nous
fait réfléchir; on l'exprime à l'oral et ça nous
entraîne, parce que les choses qu'on explique aux P2, on doit savoir les
expliquer aux patients et à nos professeurs.» 119
Fanette, P3, explique qu'elle s'est « améliorée
» depuis qu'elle aide les autres.120 L'activité de
tutorat permettrait donc aux P3 d'améliorer leurs compétences
cognitives et métacognitives, à l'instar de ce que décrit
Alain Baudrit lorsqu'il décrit l'effet tuteur comme « ce travail
d'élaboration et de mise en oeuvre d'un guidage de l'action de l'autre
qui peut être profitable au tuteur à travers le type
d'activité qu'il requiert, surtout s'il ne se contente pas de guider
directement l'action du tutoré, mais cherche à lui expliquer
comment s'y prendre121.»
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