3. Limites et biais de l'enquête
La posture la plus délicate aura été
d'observer « de l'extérieur » un objet situé dans mon
champ professionnel, de le mettre à distance pour espérer
effectuer un travail de recherche. Je n'avais pas le regard affuté et
curieux, méthodo-logique82 du chercheur. C'est
l'écriture besogneuse, tel l'ouvrage constamment remis sur le
métier, qui m'a obligée à être plus précise,
à décortiquer les éléments que je croyais
reconnaître, à retourner fouiller, pour découvrir quelque
chose de nouveau, de plus beau car inédit pour moi. La rigueur des
écrits sur lesquels je me suis appuyée m'a fait comprendre
l'exigence d'une recherche, aussi humble soit-elle. Les concepts
théoriques qui ont éclairé mon objet n'ont
été traités que partiellement, sans doute amputés
d'éléments importants. Mais la conduite de ce travail m'a
obligée à faire des choix, à restreindre les
données théoriques pour garder le cap de ce qui me questionne, en
veillant à garder la couleur de la réflexion sensée
proposer de nouvelles grilles de lectures.
Lorsque j'ai commencé mes entretiens auprès de
ces quelques étudiants, j'ai su que je n'allais pas opérer un
simple prélèvement de discours. Cette expérience de
terrain m'a permis de constater que la manière dont on organise des
rencontres influence la production de parole. Même avec un guide
d'entretien préparé et en étant à chaque fois
très concentrée, je fus parfois directive dans mes interventions,
peut être insuffisamment à l'écoute des silences, des mots
pertinents à relever pour relancer les échanges. Cette
étude fut une première expérience de terrain, et le
terrain, ça s'apprend en faisant. Sans doute les étudiants
interrogés auraient dit d'autres choses si les conditions avaient
été différentes. Mais je suis assurée par mes
enquêtés que les discours furent libres et ouverts : chacun
d'entre eux a pris plaisir à verbaliser sur sa pratique et son histoire,
a oublié que je faisais partie de l'équipe pédagogique, ce
qui m'a permis de rassembler des données aussi riches.
Mon panel d'analyse ne comprend que douze personnes. J'ai
entretenu huit autres étudiants dont les discours n'apparaissent pas
dans mes annexes : quatre furent mes « essais exploratoires » et les
quatre autres n'ont pu être retranscrits à la suite à une
panne du matériel enregistreur. Malgré ce déboire, ces
discours ont été reportés de
82 Néologisme inspiré de mes
entretiens avec mon directeur de mémoire. En effet, ma
«logique» méthodologique n'était pas la même que
celle de mon accompagnateur. Il a fallu plusieurs mois de socialisation
secondaire dans le milieu universitaire pour que j'assimile les devoirs et
exigences de la recherche.
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mémoire dans mon carnet de bord et ont illustré
mes propos. Mon échantillon de douze personnes ne permet pas une
généralisation de mes résultats. Les entretiens
approfondis ne visent pas à produire des données
quantifiés ni à avoir pour vocation d'être
représentatifs. L'objectif de mes travaux n'a jamais été
de théoriser mais de simplement initier de nouvelles réflexions
sur un sujet jusqu'à présent obscur dans le milieu de la
formation en pédicurie-podologie. Par contre, j'aurais dû
interroger des étudiants en deuxième année, « l'entre
deux » dans la formation, ceux qui ont été tutorés,
le sont encore un peu (mais beaucoup moins que les P1) mais qui ne sont pas
encore accompagnateurs. Leurs discours et représentations auraient
sûrement pu éclairer encore différemment mon étude.
J'ai eu la maladresse de me concentrer uniquement sur les acteurs des
binômes, les P1 et P3, sans penser que mon sujet allait traiter
essentiellement d'une construction identitaire professionnelle : ce
thème méritait d'entendre et d'analyser les propos des P2. J'ai
manqué sans doute de lucidité puis de temps : je ne suis pas
retournée sur le terrain. Cela fera partie des perspectives à
venir de cette étude : aller vérifier du côté des P2
si les choses se ressemblent et s'accordent avec mes premières
réflexions.
Le moteur de ce travail a débuté sur le doute de
l'implicite, de ce qui se fait par habitude. Il s'enracine dans le
nécessaire besoin de donner sens à ce que l'on fait et interroge
les évidences, pour retrouver le goût de poursuivre. Cette posture
qui est la mienne reste teintée d'un désir sûrement
irrationnel d'essayer de comprendre pour atteindre « le palier plus serein
d'un raisonnement83». J'ai dû, pour cela, parcourir des
lectures et me frotter à la recherche. Cette traversée a
évidement perturbé mes représentations. Mais elle aura
comblé, au moins pour un temps, une appétence de recherche et un
désir de compréhension.
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