La compulsion de répétition et la
circularité du temps.
Schopenhauer ne conçoit pas d'avenir possible pour
l'homme;pas de progrès technique pas d'amélioration morale et
politique,pas non plus d'évolution de l'espèce. Certes les
péripéties et les personnages de l'histoire changent mais
seulement à la façon d'un décor de
théâtre,laissant se rejouer toujours les mêmes
thèmes. Comme dans le Védanta,la création n'est que
Maya,illusion,et rien ne naît ni ne meurt vraiment:"Je le sais,si
j'allais gravement affirmer à quelqu'un l'identité absolue du
chat occupé en ce moment même à jouer dans la cour et de
celui qui,trois cents ans auparavant,a fait les mêmes bonds et les
mêmes tours,je passerais pour un fou;mais je sais aussi qu'il est bien
plus insensé encore de croire à un différence absolue et
radicale entre le chat d'aujourd'hui et celui d'il y a trois cents ans"45.
L'homme,lui aussi, est condamné à reproduire les mêmes
gestes car c'est la nature du vouloir-vivre de s'affirmer
indéfiniment:"..le sujet du vouloir se trouve continuellement
attaché sur la roue tournante d'Ixion,il remplit éternellement le
tonneau des Danaïdes,il est Tantale subissant ses éternels
supplices"46. La "névrose" est liée à la nature même
des choses et ne saurait être uniquement le sort réservé
à des existences singulières . L'homme va continuer à
faire comme s'il poursuivait vraiment une fin, car la lucidité le
plongerait dans un ennui désespérant. A l'image de la compulsion
de répétition, décrite par Freud,visible plus
particulièrement chez l'enfant et le névrosé,le
comportement général de l'être humain aime
à se reproduire à l'identique , car il ne sait pas et ne peut pas
changer son orientation sous peine de perdre un équilibre fragile et
précaire,maintenu à grand peine mais qui rend la vie
supportable:"..nous ne pouvons résister à la tentation de pousser
jusqu'à ses dernières conséquences l'hypothèse
d'après laquelle tous les instincts se manifesteraient par la tendance
à reproduire ce qui a déjà existé"47. La tendance
à la répétition avoisine la pulsion de mort,et comme pour
Schopenhauer,pour Freud également, la mort est le grand réservoir
de la vie:"..nous pouvons dire:la fin vers laquelle tend toute vie est la
mort;et inversement:le non-vivant est antérieur au vivant".48
Nous sommes attachés à cette vie sans le
vouloir,justement parce que nous sommes "voulus" par la Volonté. Dans
l'amour,où nous pensons désirer et être aimés de
façon unique et irremplaçable,nous découvrons que nous ne
sommes que des produits" en série", façonnés dans cette
grande fabrique qu'est la nature comme les autres espèces. Le sujet du
vouloir est un "autre",pris dans un courant intarissable;le fait même de
venir au monde constitue un choc violent et définitif. Le philosophe a
d'abord l'intuition de ses vérités éternelles mais doit
les confirmer dans sa "chair "et faire l'expérience concrète de
cette vie. Ici aussi,et comme pour Spinoza,la liberté c'est comprendre
la nécessité. Un déterminisme rigoureux que l'on peut voir
à l'oeuvre aussi dans les différents aspects de la transmission
héréditaire chez Schopenhauer.
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