B. Les doutes relatifs à la compétence du
juge dans la mise en oeuvre de la justiciabilité du droit à
l'eau
La critique de la compétence du juge se structure
autour de son manque de connaissance des mécanismes politiques. La
compétence du juge est mise en doute lorsque la réalisation du
droit nécessite d'engager l'intervention de l'État, c'est
à dire, lorsqu'il s'agit d'une exécution positive. La question de
l'allocation de ressources pour la réalisation du droit à l'eau
est une question technique à laquelle le juge n'est pas
préparé. La formation du juge, ses moyens techniques et
financiers sont autant de limite au contrôle de la justiciabilité
du droit à l'eau, le législateur étant le plus à
même d'assurer sa réalisation.355 Ainsi, même si
la Cour a pu, notamment dans le cadre du droit à l'alimentation mettre
en oeuvre des plans d'actions sociaux, D. Annoussamy rappelle « Quand on
se met à défricher, on doit posséder l'art du possible
»356
De même une telle implication du juge ne saurait lui
être bénéfique. En effet « la pratique
d'édicter des règlements ou des plans de redressement dans les
affaires d'intérêt public conduit à diluer
l'autorité de la chose jugée »357 puisque la
réalisation de politiques ou de plans n'est adéquate que pour un
temps et toujours susceptible d'évolution. A l'usage le risque serait de
ne plus accorder « une finalité à la décision du juge
»."
Quand bien même le juge parviendrait efficacement
à prévoir l'exécution positive du droit à l'eau,
encore se heurterait-il à la mauvaise volonté des pouvoirs
publiques. Et dans ce cas, il résulterait alors un blocage359
Un auteur a alors proposé de s'inspirer de la théorie du «
dialogue institutionnel »0. Inspiré par la pratique
canadienne, cette théorie suppose un dialogue dans lequel entreraient le
juge et le législateur afin de permettre un point d'équilibre
entre les principes constitutionnels d'une part et les politiques publiques
d'autre part. Dans ce cadre la question de la compétence ou de la
légitimité du juge ne se
354ROBITAILLE (D.), « Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud »,
op cit,2012, p.170 355NIVARD (C.) La
justiciabilité des droits sociaux: étude de droit conventionnel
européen, op. cit. p.137 356ANNOUSSAMY, (D.). la Justice
en Inde. les Cahiers de I" IBEJ, op. cit. p. 25
3s'Ibid, p.26
35slbid, p.26 35vlbid,
p.26 36°YUSUF (S). The Rise of Judicially Enforced
Economic, Social, and Cultural Rights--Refocusing Perspectives. Seattle
Journal for Social Justice, 2012, vol. 10, no 2, p. 773
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pose plus ; le contrôle du juge de l'action
législative viserait à adapter harmonieusement les politiques
publiques aux principes constitutionnels en se basant sur l'idée d'une
souveraineté partagée et non pas sur l'opposition des pouvoirs ;
autrement une vision plutôt orientée vers la collaboration entre
les pouvoirs que la séparation. L'idée est intéressante et
et pourrait permettre dans le contexte indien une pleine justiciabilité
du droit à l'eau. En effet, la formulation du droit à l'eau ainsi
que ces obligations (et leurs limites) par la Constitution ou un texte
législatif semble un préalable nécessaire à la
pleine justiciabilité du droit à l'eau.
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